Images de page
PDF
ePub

Le trône seul a droit de me voir suppliante;
Je vais...

VOLFAX.

Un ordre exprès s'oppose à votre attente: Du trône dans ce jour tout doit être écarté, Madame ; et votre nom n'en est pas excepté.

SCÈNE VII.

EUGENIE, ISMÈNE.

EUGÉNIE.

D'un tribunal cruel on m'interdit l'entrée !
O mon père ! ô forfait ! sa perte est assurée;
Du parricide affreux qu'apprête leur fureur
Mon sang glacé d'effroi me présage l'horreur.
ISMÈNE.

Ses amis, sa vertu, la voix de la justice...

EUGÉNIE.

Est-il des droits sacrés, si l'on veut qu'il périsse?
Et des amis, dis-tu ? Quel nom dans ce séjour !
La sincère amitié n'habite point la cour;

Son fantôme hypocrite y rampe aux pieds d'un

maître;

Tout y devient flatteur; tout flatteur cache un traître.
Eût-il gagné les cœurs par ses bienfaits nombreux,
Ose-t-on être encor l'ami d'un malheureux ?
De la cour un instant change toute la face;
Tout vole à la faveur, tout quitte la disgrace :
Ceux même qu'il servit ne le défendront pas ;
Le jour d'un nouveau règne est le jour des ingrats.
Mais quel affreux silence! et quelle solitude!
Chaque moment ajoute à mon inquiétude.
Instruite de ma crainte, Aglaé ne vient pas ;
Allons la retrouver : elle me fuit ; hélas !
Je ne le vois que trop, sa tendresse sans doute
Craint de me confirmer le coup que je redoute.

SCÈNE VIII.

ARONDEL, EUGÉNIE, ISMÈNE.

ARONDEL.

Dans ce séjour coupable où tout change aujourd'hui, Où les cœurs vertueux ont perdu leur appui,

Si par des sentiments au-dessus du vulgaire
Jusque dans ses malheurs la vertu vous est chère,
Qu'en ces funestes lieux par vous je sois guidé;
Parlez; daignez m'apprendre où Vorcestre est gardé.
EUGÉNIE.

Généreux étranger, mortel que je révère,

Qui vous rend si sensible au malheur de mon père ?

ARONDEL.

Vous sa fille? ô bonheur !...

EUGÉNIE.

Quelle tendre pitié,

Quel héroïque effort vous conduit ?

ARONDEL.

L'amitié.

D'un cœur solide et vrai vantez moins la constance,

Le devoir n'a point droit à la reconnoissance;

Le trône est entouré d'un peuple adulateur,

Et l'ami d'un heureux n'est souvent qu'un flatteur.
J'étois de sa vertu l'adorateur fidèle ;

Elle reste à son cœur, je lui reste avec elle.
Je serois ignoré dans ce séjour nouveau ;
Car, quoique cette cour ait été mon berceau,
Mes traits changés aux lieux où j'ai caché ma vie
Me rendent étranger au sein de ma patrie :
Mais puisqu'encor propice en ce jour de courroux

Le ciel daigne m'entendre et m'adresser à vous,
Madame, à vos regards je parois sans mystère;
Vous voyez Arondel, l'ami de votre père.
Tandis qu'on ne l'a vu que puissant et qu'heureux,
J'ai fui de la faveur le séjour fastueux,
Et je n'ai point grossi cette foule importune
Qui venoit à ses pieds adorer la fortune;
Mais lorsque tout s'éloigne, et qu'il est oublié,
Je reviens, et voici le jour de l'amitié.

EUGÉNIE.

O présage imprévu d'un destin plus prospère ! Puisqu'il vous rend à nous, le ciel est pour mon père.

ARONDE L.

Quand, pour lui revenu, j'apportois des secrets
Dus aux soins d'un état heureux par ses bienfaits,
Quoi! je le vois trahi dans ces mêmes contrées
Où je comptois revoir ses vertus adorées!
Quels lâches imposteurs ont causé ses revers?
out abandonne-t-il Vorcestre dans les fers ?
N'est-il plus à la cour une ame assez hardie
Pour oser s'élever contre la calomnie?

O toi qui dans des temps dont je garde les mœurs
Inspirois nos aïeux, et faisois les grands cœurs,
Vérité généreuse, es-tu donc ignorée,

Et du séjour des rois à jamais retirée ?

Nourri loin du mensonge et de l'esprit des cours;
J'ignore de tout art les obliques détours;

Mais, libre également d'espérance et de crainte,
J'agirai sans foiblesse et parlerai sans feinte :
On expose toujours avec autorité

La cause de l'honneur et de la vérité.

Commandez, j'obéis ; nul péril ne m'étonne : Qui ne craint point la mort ne craint point qui la donne.

EUGÉNIE.

Que puis-je décider ? vous-même guidez-moi ;
Je ne sais que gémir en ces moments d'effroi.
Volfax garde mon père, il en veut à sa vie ;
J'ai vu dans ses discours la bassesse et l'envie.
Ah! si dans cet instant des juges ennemis
Décidoient qu'en secret... Ah! mylord, j'en frémis.
Allons, servez de guide à mon ame égarée :
Du lieu qui le renferme environnons l'entrée ;
Et si des assassins lui vont percer le flanc,

Ils n'iront jusqu'à lui que couverts de mon sang.

Non;

ARONDEL.

il faut plus ici qu'une douleur stérile. Forcez des courtisans la cohorte servile; Confondez l'imposture, éclairez l'équité, Et jusqu'au trône enfin portez la vérité.

« PrécédentContinuer »