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Eugénie en ce lieu seroit à vos genoux.

Prête à chercher la mort, résolue à vous suivre,
Ah! si sa tendre voix vous conjuroit de vivre,
Vous refuseriez-vous à sa vive douleur?
Pourriez-vous lui plonger le poignard dans le cœur?
Ignorez-vous l'opprobre où vous expose un traître ?
Volfax peut tout; bientôt un vil bourreau peut-être...
O honte ! quoi ! tomber sous cette indigne main!
Fuyez ; je crois déja voir le glaive assassin.

VORCESTRE.

Quelle que soit la main qui m'ôtera la vie,
Qui meurt dans sa vertu meurt sans ignominie.

ARONDEL.

La gloire, je le sais, devroit suivre une mort
L'ouvrage de la fraude et le crime du sort;
Mais à tout condamner la foule accoutumée
Sur le crime apparent flétrit la renommée.
Qui pourroit se défendre et ne le daigne pas
Veut perdre avec le jour l'honneur de son trépas.

VORCESTRE.

La vertu ne connoît d'autre prix qu'elle-même :
Ce n'est point son renom, ce n'est qu'elle que j'aime.
Que l'univers approuve ou condamne mes fers,
Ami, vous m'estimez ; voilà tout l'univers.

A parler pour mes jours si mon cœur se refuse,

Je sais mon plus grand crime, il n'admet point d'ex

cuse;

Et l'innocence enfin, peu faite à supplier,
Ne descend point au soin de se justifier.

En conservant mes jours, je perdrois votre estime
Si je pouvois ramper sous la main qui m'opprime,
Si l'aspect de ma fin pouvoit m'intimider.

Je sais quitter la vie, et non la demander.
Retournez vers ma fille, et cessant de m'abattre,
Ami, ne m'offrez plus ses larmes à combattre :
Les maux, les fers, la mort, je puis tout surmonter;
Je n'ai que sa douleur et vous à redouter.
Épargnez-moi l'horreur où ce moment me livre :
Au nom de ma tendresse ordonnez-lui de vivre ;
Au nom de l'amitié, dont les augustes nœuds
Survivent au trépas dans les cœurs vertueux,
Qu'elle me trouve en vous, et qu'elle vous soit chère :
Quand je meurs, mon ami de ma fille est le père;
Je vivrai dans vos cœurs ; que ma mort à jamais
Emporte votre estime, et non pas vos regrets.

ARONDEL.

Ainsi rien ne fléchit ce courage intrépide...
Je me livre moi-même au transport qui vous guide.
Eh bien! cruel ami, puisqu'immolant vos jours

Vous refusez de fuir, il faut d'autres secours;

Je vous dois des conseils dignes d'un cœur sublime.
Le supplice a toujours l'apparence du crime;
Sauvez de cet affront votre nom respecté,
Et marquez-le du sceau de l'immortalité.
Périr sous les regards du traître qui vous brave,
Périr dans les tourments, c'est périr en esclave :
Non, il faut mourir libre, et décider sa fin.
Un cœur indépendant doit faire son destin.
Des sens épouvantés étouffant le murmure,
Un cœur vraiment anglois s'asservit la nature;
Il chérit moins le jour qu'il n'abhorre les fers;
Il sait vaincre la mort, l'effroi de l'univers.
Pour vous affranchir donc au sein de l'esclavage,
Pour tromper vos tyrans, et confondre leur rage,
Je vais... glacé d'horreur et saisi de pitié,
Vous fournir un secours dont frémit l'amitié.
Je frissonne en l'offrant... mais un devoir austère
M'impose malgré moi ce cruel ministère.
Vous êtes désarmé... ce poignard est à vous;
Que votre sein ne soit percé que de vos coups.
Prenez ce fer, frappez ; je m'en réserve un autre ;
Trop heureux que mon ame accompagne la vôtre,
Et qu'admirant un jour ce généreux courroux
Londres nomme l'ami qui tomba près de vous!

VORCESTRE.

Quelque honneur qu'à ce sort la multitude attache,
Se donner le trépas est le destin d'un lâche;
Savoir souffrir la vie, et voir venir la mort,
C'est le devoir du sage, et ce sera mon sort.
Le désespoir n'est point d'une ame magnanime;
Souvent il est foiblesse, et toujours il est crime.
La vie est un dépôt confié par le ciel ;
Oser en disposer, c'est être criminel.

Du monde où m'a placé la sagesse immortelle
J'attends que dans son sein son ordre me rappelle.
N'outrons point les vertus par la férocité;
Restons dans la nature et dans l'humanité.
Garde ce triste don : ton ami ne demande
Qu'un service important, que l'état te commande.
Cet écrit, que Volfax adresse aux ennemis,
Par les soins d'un des miens venoit d'être surpris,
Quand, l'apportant au roi, j'ai trouvé l'esclavage.
Porte-le; d'un perfide il y verra l'ouvrage...

SCÈNE VIII.

VOLFAX, VORCESTRE, ARONDEL,

GARDES.

VOLFAX.

Holà, gardes, à moi ! saisissez-les tous deux.
ARONDEL, frappant Volfax du poignard qu'il tenoit encore.
Voilà ton dernier crime; expire, malheureux !
(Il jette le poignard.)

(aux gardes.)

Faites votre devoir; je suis prêt à vous suivre.

Vous vivrez, cher Vorcestre, ou je cesse de vivre. (On l'emmène.)

VORCESTRE.

Séparés si long-temps, deux vertueux amis
N'avoient-ils que les fers pour se voir réunis ?

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

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