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Dont le repentir suit les lueurs passagères.
Quel fut votre bonheur? A présent sans desirs,
Vous avez, dites-vous, connu tous les plaisirs.
Eh quoi ! n'en est-il point au-dessus de l'ivresse
Où le monde a plongé notre aveugle jeunesse ?
Ce tourbillon brillant de folles passions,
Cette scène d'erreurs, d'excès, d'illusions,
Du bonheur des mortels bornent-ils donc la sphère?
La raison à nos vœux ouvre une autre carrière:
Croyez-moi, cher ami, nous n'avons pas vécu ;
Employer ses talents, son temps, et sa vertu,
Servir au bien public, illustrer sa patrie,
Penser enfin, c'est là que commence la vie ;
Voilà les vrais plaisirs dignes de tous nos vœux,
La volupté par qui l'honnête homme est heureux:
Notre ame pour ces biens est toute neuve encore...
Vous ne m'écoutez pas ! Quel chagrin vous dévore?

SIDNEI.

Je connois la raison: votre voix me l'apprend;
Mais que peut-elle enfin contre le sentiment?
Marchez dans la carrière où j'aurois dû vous suivre;
Pour moi je perds déja l'espérance de vivre:
En vain à mes regards vous offrez le tableau
D'une nouvelle vie et d'un bonheur nouveau :

Tout vrai bonheur dépend de notre façon d'être;

Mon état désormais est de n'en plus connoître ;
Privé de sentiment, et mort à tout plaisir,
Mon cœur anéanti n'est plus fait pour jouir.

HAMILTON.

Connoissez votre erreur; cet état méprisable,
Le néant, déshonore une ame raisonnable:
Quand il vous faudroit fuir le monde et l'embarras,
L'homme qui sait penser ne se suffit-il pas ?
Dans cet ennui de tout, dans ce dégoût extrême,
Ne vous reste-t-il point à jouir de vous-même ?
Pour vivre avec douceur, cher ami, croyez moi,
Le grand art est d'apprendre à bien vivre avec soi,
Heureux de se trouver, et digne de se plaire.
Je ne conseille point une retraite entière;
Partagez votre goût et votre liberté
Entre la solitude et la société ;

Des jours passés ici dans une paix profonde
Vous feront souhaiter le commerce du monde.
L'absence, le besoin, vous rendront des desirs:
Il faut un intervalle, un repos aux plaisirs ;
Leur nombre accable enfin, le sentiment s'épuise,
Et l'on doit s'en priver pour qu'il se reproduise.
Vous en êtes l'exemple, et tout votre malheur
N'est que la lassitude et l'abus du bonheur.
Ne me redites pas que vous n'êtes point maître

De ces noirs sentiments: on est ce qu'on veut être;
Souverain de son cœur, l'homme fait son état,
Et rien sans son aveu ne l'élève ou l'abat.
Mais enfin, parlez-moi sans fard, sans défiances,
Quelque dérangement causé par vos dépenses
N'est-il point le sujet de ces secrets dégoûts?
Je puis tout réparer, ma fortune est à vous.

SIDNEI.

Je sens,
comme je dois, ces procédés sincères :
Mais nul désordre, ami, n'a troublé mes affaires.
Vous verrez quelque jour que du côté du bien
J'étois fort en repos, que je ne devois rien.

HAMILTON.

Ami, vous m'affligez; votre état m'inquiète;
Ce sinistre discours...

SIDNEI.

Peut-être la retraite

Saura me délivrer de tous ces sentiments:
Il faut, pour m'y fixer, quelques arrangements.
Ma lettre vous instruit ; suivez mon espérance,
Tout mon repos dépend de votre diligence.
Au reste, en attendant que j'aille au premier jour
De ce nouveau bienfait remercier la cour,
Vous m'y justifierez; d'une pareille absence
Ma mauvaise santé sauvera l'indécence:

Après ces soins remplis, je vous attends ici.
Partez, si vous aimez un malheureux ami.

SCÈNE III.

HAMILTON.

Ce ton mystérieux, cette étrange conduite,
Ne m'assurent que trop du transport qui l'agite.
Il cache sûrement quelque dessein cruel;
Et sa tranquillité n'a point l'air naturel...

SCÈNE IV.

HAMILTON, HENRI.

HENRI.

On m'a dit votre nom à la poste prochaine,
Monsieur; d'aller plus loin je n'ons pas pris la peine:
Notre maître vers vous nous envoyoit d'ici ;
Mais puisque vous voilà, voilà la lettre aussi.

HAMILTON.

Donne; cela suffit: tu peux aller lui dire
Qu'elle est entre mes mains.

SCÈNE V.

HAMILTON.

(Il lit.)

Qu'a-t-il donc pu m'écrire?

<< Recevez, cher ami, mes éternels adieux. Vous savez à quel point j'adorai Rosalie,

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«

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Et que j'osai trahir un amour vertueux :

J'ignore son destin. Si la rigueur des cieux

Permet qu'on la retrouve et conserve sa vie,

« Je lui donne mes biens par l'écrit que voici,

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Et remets son bonheur aux soins de mon ami.

Daignez tout conserver, si sa mort est certaine. Épargnez sur mon sort des regrets superflus :

J'étois lassé de vivre, et je brise ma chaîne

Quand vous lirez ceci je n'existerai plus.

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