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des mœurs d'Églé, dans la sixième églogue, et la joue enluminée du dieu Pan dans la dixième, n'ont rien de bas dans le latin; ce sont des situations naïves que la délicatesse de l'expression relève; mais elles ne présenteroient eu françois qu'une idée basse et burlesque : ces légers retranchements sont rachetés et remplacés par un peu plus d'étude dans les endroits riants et favorables. Il n'est pas besoin de justifier quelques changements dans les noms des bergers; chose indifférente, et qui n'ôte rien au sujet ni à la conduite du poëme. On s'est permis une liberté plus considérable, mais qu'on a crue nécessaire à nos mœurs et à notre goût; c'est le changement de quelques noms de bergers en des noms de bergères; par là les sentiments sont ramenés dans l'ordre, l'amour se trouve dans la nature, et le voile est tiré sur des images odieuses et détestées, qui pouvoient cependant plaire au siècle dépravé du poëte. C'est par ces mêmes égards qu'on a risqué la métamorphose de l'Alexis: quelques personnes d'un goût délicat et d'une critique éclairée ont enhardi l'auteur à ce changement. Il étoit difficile d'assez bien différencier les expressions de

cette amitié d'avec celles de l'amour même; le préjugé reçu contre les mœurs de Virgile se seroit toujours maintenu, et auroit rendu aux sentiments de Coridon toute la vivacité passionnée qu'on auroit tâché d'adoucir et de colorer.

ÉGLOGUE PREMIERE.

TITYRE.

MÉLIBÉE, TITYRE.

MÉLIBÉE.

TRANQUILLE, cher Tityre, à l'ombre de ce hêtre,
Vous essayez des airs sur un hautbois champêtre,
Vous chantez; mais pour nous, infortunés bergers,
Nous gémirons bientôt sur des bords étrangers.
Nous fuyons, exilés d'une aimable patrie.
Seul vous ne quittez point cette terre chérie ;
Et, quand tout retentit de nos derniers regrets,
Du nom d'Amaryllis vous charmez ces forêts.

TITYRE.

Un dieu, cher Mélibée, appui de ma foiblesse,

Accorde ces loisirs aux jours de ma vieillesse :
Oui, je mets ce héros au rang des immortels;
Le sang de mes agneaux rougira ses autels.

Si mon troupeau tranquille erre encor sur ces rives
Quand le sort en bannit vos brebis fugitives,
Tandis qu'un vaste effroi trouble nos champs déserts,
Si dans un doux repos je chante encor des airs,
Berger, c'est un bienfait de ce dieu secourable;
C'est à lui que je dois ce destin favorable.

MÉLIBÉE.

Parmi tant de malheurs et de troubles affreux,
Que je suis étonné de trouver un heureux !
Je suis traînant à peine, en cet exil funeste,
De mes nombreux troupeaux le déplorable reste;
Cette triste brebis, l'espoir de mon troupeau,
Dans sa fuite a perdu son languissant agneau :
Déja dans ma douleur j'ai brisé ma musette :
Pourquoi te tiens-je encore, inutile houlette ?
Hélas! souvent le ciel, irrité contre nous,

Par des signes trop sûrs m'annonçoit son courroux!
Trois fois (il m'en souvient) dans la forêt prochaine
Le tonnerre à mes yeux est tombé sur un chêne;
De sinistres oiseaux, par de lugubres chants,
Trois fois m'ont annoncé la perte de nos champs.
Mais pourquoi rappeler ces douloureux présages?...

Berger, quel est ce dieu qui reçoit vos hommages?

TITYRE.

Bien loin de nos hameaux ce héros tient sa cour;
Sa présence embellit un plus noble séjour;
Rome est ce lieu charmant : autrefois, je l'avoue,
Je ne croyois point Rome au-dessus de Mantoue.
Quelle étoit mon erreur! Sur ses bords enchantés
Le Tibre voit briller la reine des cités :
Rome l'emporte autant sur le reste des villes
Que le plus haut cyprès sur les buissons stériles.
MÉLIBÉE.

Quel espoir vous porta vers ces aimables lieux ?

TITYRE.

La liberté, berger, s'y montroit à mes vœux :
D'elle j'obtiens enfin des regards plus propices;
Mes derniers ans pourront couler sous ses auspices.
Mantoue à mes desirs refusoit ce bonheur;
Par d'inutiles soins je briguois sa faveur;

Sans aucun fruit pour moi ces fréquents sacrifices
Dépeuploient mon bercail d'agneaux et de génisses;
Vainement j'implorois l'heureuse liberté :

Mais enfin j'ai fléchi cette divinité.

J'osai porter ma plainte au souverain du Tibre :
J'étois alors esclave; il parla, je fus libre.

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