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Les bois ne portent plus les funestes poisons ;
Le loup moins affamé laisse en paix nos moutons.

C'est peu: d'autres bienfaits enrichiront le monde; Les fruits seront plus beaux, la moisson plus féconde, Lorsque vous apprendrez de vos aïeux vainqueurs L'héroïsme guerrier, et la loi des grands cœurs; Chaque naïade alors versera de son urne Des flots de pur nectar, comme aux jours de Saturne; Une riche vendange, après d'amples moissons, Offrira des raisins jusque sur les buissons: C'est ainsi qu'aux mortels les faveurs destinées S'accroîtront par degrés et suivront vos années. Pendant ces premiers temps d'un plus bel univers Des vaisseaux couvriront encor les vastes mers, Nos campagnes encor se verront labourées, Nos villes de remparts resteront entourées : Peut-être un autre Argo sous un nouveau Tiphys Portera des guerriers sur les champs de Thétis; Peut-être verra-t-on les murs d'une autre Troie Au fer d'un autre Achille abandonnés en proie : Mais ces restes légers de nos malheurs passés Disparoîtront enfin, pour toujours effacés,

Dès qu'après l'heureux cours d'une jeunesse illustre La Parque filera votre cinquième lustre ;

Et quand, passant des jeux aux soins de votre rang,

Vous marcherez égal aux dieux de votre sang,
Rien ne manquera plus au bonheur de la terre;
La paix au fond du Styx replongera la guerre ;
Féconde également pour tous ses citoyens,
La terre en tous climats produira tous les biens :
A travers les périls des vagues incertaines
Nous n'irons rien chercher sur des plages lointaines;
Sans exiger nos soins, les coteaux, les guérets
Fixeront en tout temps et Bacchus et Cérès;
Les arts laborieux deviendront inutiles;
Les moutons, en paissant sur nos rives fertiles,
Brilleront revêtus des plus riches couleurs;
Sur eux la pourpre et l'or formeront mille fleurs ;
L'industrieux travail de la simple nature,
Sans les secours de l'art, produira leur parure.

Ils seront, ces beaux jours : du temple des destins
Une voix me transmet ces augures certains.
Déja pour accomplir ces fortunés présages,
Les trois fatales sœurs, souveraines des âges,
Ont adouci leurs lois, et Clotho prend encor
Le fuseau qui servit à filer l'âge d'or.
Ouvrez de ces beaux jours l'héroïque carrière;
Sans attendre le temps franchissez la barrière ;
Partez, suivez la gloire, enfant chéri des cieux,
Du beau sang de Vénus rejeton précieux.

Aux honneurs de vos ans tout se montre sensible,
Le ciel est plus riant, Neptune est plus paisible;
L'univers assuré d'un siècle de bonheur

Applaudit au berceau de son restaurateur.
O jours! ô temps heureux ! ô si les destinées
Étendoient jusque-là le fil de mes journées!
Auguste Marcellus, à chanter vos exploits
Je voudrois consacrer les restes de ma voix ;
Pour ces pompeux sujets ma muse rajeunie
Vaincroit tous les concerts des fils de Polymnie;
Pan même, à mes accords s'il comparoit ses sons,
Pan même s'avoueroit vaincu par mes chansons.

Commencez, heureux fils d'une mère charmante, Commencez de répondre à sa plus douce attente; Par de justes retours comblez ses tendres vœux; Que vos premiers souris s'adressent à ses yeux. Pour vous l'Amour élève une jeune déesse Dont il vous offrira la main et la tendresse : Vivez, et que vos ans, égaux à nos desirs, Soient remplis et filés par la main des Plaisirs!

NOTES.

Ce ne sont point des bergers qui parlent dans cette

pièce, c'est le poëte lui-même, à qui des tons plus élevés sont permis. Quelques-uns le blâment d'avoir mis au rang des églogues un sujet si pompeux, et qui paroît plutôt du ressort de l'ode. Si Virgile eût été du sentiment de ses censeurs, nous y eussions perdu une de ses plus belles églogues.

Un consul à vos jeux s'intéresse aujourd'hui.

Pollion.

Sur l'univers paisible il règnera comme eux.

Cette prédiction pouvoit-elle se faire d'un fils de Pollion, dont plusieurs interprètes soutiennent que Virgile chante ici la naissance? Elle ne convenoit sans doute qu'à l'héritier présomptif de l'empire, au seul Marcellus, neveu d'Auguste, et adopté par cet empereur, qui n'avoit point de fils.

Au fer d'un autre Achille abandonnés en proie.

Ce vers et les trois précédents sont allégoriques. Par eux Virgile indique les préparatifs de la flotte qu'équipoient les triumvirs, Octavien et Antoine, pour attaquer Sexte Pompée, fils du grand Pompée, qui soutenoit en Sicile les restes du parti républicain. Il fut défait dans un combat naval. Syracuse fut cette

seconde Troie ; Octavien César fut ce nouvel Achille. Ces applications sont pleines de beautés : nous en devons la découverte au savant P. Catrou.

Du beau sang de Vénus rejeton précieux.

La fable romaine faisoit descendre la famille des Césars de Vénus par Énée, fils de cette déesse.

Pour vous l'Amour élève une jeune déesse.

Julie, fille d'Auguste. Marcellus épousa cette princesse. Les prédictions de Virgile ne furent pas vérifiées dans toute leur étendue. Ce prince aimable, l'espoir et les délices de l'empire romain, mourut à la fleur de son âge. Le sixième livre de l'Énéide finit par une plainte très tendre sur la mort prématurée de ce jeune héros.

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