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L'air eut ses citoyens, l'onde ses habitants :
Ainsi, poursuit Silène, on vit naître les temps.

Les humains vertueux, sous le sceptre de Rhée, Virent du siècle d'or la trop courte durée ; Les coupables enfants de ces premiers mortels Altérèrent les mœurs, foulèrent les autels; La vertu fugitive, aux jours de Prométhée, Reprit son vol aux cieux d'une aile ensanglantée : Par le dieu du trident l'Olympe fut vengé, La mer fut le tombeau du monde submergé. L'époux seul de Pyrrha, dans cette nuit profonde, Survécut avec elle aux ruines du monde ; De la terre en silence il peupla les déserts Sur les vastes débris du premier univers.

Ainsi chante Silène, ainsi sa main retrace Le tableau des malheurs de la mortelle race; Par Mnemosyne instruit des faits de tous les temps, Il en peint aux bergers mille traits éclatants.

Il plaint le jeune Hylas long-temps pleuré d'Alcide: Une nymphe l'entraîne en sa grotte liquide; Alcide en vain l'appelle aux rives d'alentour, Hylas ne répond plus, sa perte est sans retour. L'éloquent demi-dieu chante ensuite et déteste Du monstre des Crétois la naissance funeste; Il chante cette reine, épouse de Minos,

Heureuse si jamais on n'eût vu de troupeaux.
Des filles de Prétus les fureurs sont connues,
Leurs vains gémissements insultèrent les nues;
Mais leur délire ardent, leurs stupides fureurs
N'ont jamais de la Crète égalé les horreurs.

O honte! ô crime affreux ! quels feux brûlent tes veines,

Folle Pasiphaé? qu'attends-tu dans ces plaines ?

Le taureau que tu suis ne comprend point tes pleurs;
Épris d'autres amours, il foule un lit de fleurs,
Et, toujours insensible à tes flammes brutales,
Dans quelque pâturage il te fait des rivales.
Chastes nymphes d'Ida, sortez de vos forêts,
Que ce taureau fatal expire sous vos traits;
S'il ne s'offre à vos coups sur la rive voisine,
Volez, suivez ses pas jusqu'aux murs de Gortine;
Sacrifiez ce monstre, et vengez en ce jour
Les lois de la nature, et l'honneur de l'amour.
Pour égayer ses vers l'ingénieux Silène
Peint le triomphe heureux du galant Hippomène;
Il décrit les fruits d'or dont l'éclat enchanteur
Sut soumettre Atalante à ce jeune vainqueur.

Des sœurs de Phaéton il chante la tendresse :
Il chante aussi Gallus, des rives du Permesse
Conduit par une muse à la cour d'Apollon,

Et reçu par ce dieu dans le sacré vallon :

A le combler d'honneurs tout se plaît, tout conspire;
Linus, ce beau berger, inventeur de la lyre,

Sous un habit de fleurs, le front ceint d'un laurier,
Au-devant de Gallus s'avance le premier.
Agréez, lui dit-il, cette flûte champêtre :
Le pasteur Hésiode en fut le premier maître;
Avec elle il chanta les immortelles sœurs,
Quand il fut rajeuni par leurs tendres faveurs :
Attirés par ses sons, du sommet des montagnes
Les cèdres descendoient au milieu des campagnes.
Pour charmer comme lui ce séjour adoré,
Héritez, cher Gallus, ce hautbois révéré;

Des bois sacrés du Pinde osez chanter la gloire,
Ils en seront plus chers aux filles de Mémoire.
Silene chante aussi ce parricide amour

Qui ravit à Nisus la couronne et le jour.
Il peint cette Scylla, dont les monstres avides
Engloutirent au fond de leurs gouffres perfides
Les nochers gémissants, et les tristes vaisseaux
D'Ulysse poursuivi par le tyran des eaux.

Du barbare Térée il décrit la disgrace;
Il décrit les horreurs et le deuil de la Thrace,
Quand l'innocent Itys, à peine hors du berceau,
De son père coupable eut le sein pour tombeau :

Pour fuir ces lieux sanglants, Philomėle vengée
Prend un nouvel essor, en rossignol changée,
Et le funeste auteur de tant de noirs forfaits
S'envole et traîne au loin d'inutiles regrets.

Qui pourroit bien louer la voix divine et tendre Qu'aux deux bergers charmés le vieillard fit entendre?

Du souverain des vers tels étoient les accords,
Quand l'heureux Eurotas, arrêté sur ses bords,
Instruisit les échos à redire la plainte

Que Phébus adressoit à l'ombre d'Hyacinthe.
Ainsi mille zéphyrs portoient jusques aux cieux
Du maître de Bacchus les chants mélodieux,
Quand la nuit, terminant ce beau jour avec peine,
Sépara les pasteurs de l'aimable Silène.

NOTES.

Silène instruit deux bergers; il leur chante l'origine et la formation de l'univers, né du concours fortuit des atomes, selon le système d'Épicure. Il leur raconte ensuite différents traits de l'histoire des

siècles fabuleux. Quelques critiques condamnent encore ici Virgile, et prétendent que la matière de ce poëme est trop élevée pour l'églogue: d'autres justifient le poëte, et pensent qu'aucun sujet n'est audessus de la poésie bucolique, quand il est présenté aux yeux sous un voile pastoral. Je me rangerois volontiers à ce dernier sentiment, surtout pour le Silène. Cette pièce ne renferme rien qui ne soit à la portée des bergers, qu'on doit supposer cultivés, polis, et d'une imagination exercée aux idées poétiques, tendres et riantes.

Premier imitateur du berger dont la muse...

Théocrite.

Apollon, peu facile à ces hardie projets...

Auguste avoit ordonné à Virgile d'écrire dans le genre pastoral. Ce prince aimoit à se voir désigné sous le nom et les attributs du dieu de la poésie.

Que d'autres, ô Varus, plus chers aux doctes fées...

Quintilius Varus s'étoit acquis quelque réputation dans les armes au temps que Virgile écrivoit ce poëme. Il fut ensuite célèbre par ses malheurs et

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