Mais, de grace, Oronte votre pere, Mon bon & cher ami, que j'estime & révère, Que fait-il à présent? est-il toûjours gaillard? A tout ce qui le touche il sait que je prens part, Nous ne nous sommes vûs depuis quatre ans ensemble, Ni, qui plus est, écrit l'un à l'autre, me semble.
Il est, Seigneur Arnolphe, encor plus gai que nous, Et j'avois de sa part une Lettre pour vous: Mais depuis par une autre il m'apprend sa venue, Et la raison encor ne m'en est pas connuë. Savés-vous qui peut-être un de vos citoyens, Qui retourne en ces lieux avec beaucoup de biens, Qu'il s'est en quatorze ans acquis dans l'Amerique?
Non: mais vous a-t-on dit comme on le nomme ?
Mon perem'en parle, & qu'il est revenu, Comme s'il devoit m'être entièrement connu, Et m'écrit qu'en chemin ensemble ils se vont mettre, Pour un fait important que ne dit pas sa Lettre.
J'aurai certainement grande joie à le voir, Et pour le régaler je ferai mon pouvoir.
Après avoir vû la Lettre.
Il faut pour les amis des Lettres moins civiles, Et tous ces complimens font choses inutiles; Sans qu'il prît le fouci de m'en écrire rien, Vous pouvés librement disposer de mon bien.
Je suis homme à saisir les gens par leurs paroles, Et j'ai présentement besoin de cent pistoles.
Ma foi, c'est m'obliger, que d'en user ainsi,
Et je me réjouïs de les avoir ici.
Hébien, comment encor trouvés-vous cette ville?
Nombreuse en citoyens, fuperbe en bâtimens, Et j'en crois merveilleux les divertissemens.
Chacun a ses plaisirs, qu'il se fait à sa guise: Mais pour ceux que du nom de Galans on baptise, Ils ont en ce païs de quoi se contenter, Car les femmes y font faites à coquetter, On trouve d'humeur douce, & la brune, & la blonde, Et les maris aussi les plus benins du monde: C'est un plaisir de Prince, & des tours que je voi, Je me donne souvent la Comédie à moi. Peut-être en avés-vous déja féru quelqu'une ? Vous est-il point encor arrivé de fortune? Les gens faits comme vous, font plus que les écus, Et vous êtes de taille à faire des cocus.
A ne vous rien cacher de la vérité pure, J'ai d'amour en ces lieux en certaine avanture, Et l'amitié m'oblige à vous en faire part.
Bon, voici de nouveau quelque conte gaillard, Et ce sera de quoi mettre sur mes tablettes.
Mais, de grace, qu'au moins ces choses soient secrettes.
Vous n'ignorés pas qu'en ces occafions
Un fecret éventé rompt nos prétentions. Je vous avoûrai donc avec pleine franchife, Qu'ici d'une Beauté mon ame s'est éprise. Mes petits foins d'abord ont eu tant de succès, Que je me suis chez elle ouvert un doux accès; Et fans trop me vanter, ni lui faire une injure, Mes affaires y font en fort bonne posture.
HORACE lui montrant le logis d'Agnès. Un jeune objet qui loge en ce logis, Dont vous voyés d'ici que les murs font rougis; Simple à la vérité, par l'erreur sans seconde D'un homme qui la cache au commerce du monde; Mais qui dans l'ignorance où l'on veut l'asservir, Fait briller des attraits capables de ravir,
Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre, Dont il n'est point de cœur qui se puisse défendre, Mais peut-être, il n'est pas que vous n'ayés bien vû Ce jeune aftre d'amour de tant d'attraits pourvû: C'est Agnès qu'on l'appelle.
C'est, je crois, de la Zouffe, ou Source, qu'on le
Je ne me suis pas fort arrêté sur le nom;
Riche, à ce qu'on m'a dit, mais des plus sensés, non,
Et l'on m'en a parlé comme d'un ridicule.
Le connoissés-vous point?
ARNOLPHE à part.
Hé qui.. je le eonnois. Κ
Qu'en dites-vous? quoi?
Hé? c'est à dire oüi. Jaloux à faire rire?
Sot? je vois qu'il en est ce que l'on m'a pû dire.
Enfin l'aimable Agnès a fü m'assujettir :
C'est un joli bijou, pour ne vous point mentir; Et ce seroit péché, qu'une beauté si rare
Fût laissée au pouvoir de cet homme bizarre.
Pour moi, tous mes efforts, tous mes vœux les plus
Vont à m'en rendre maître, en dépit des jaloux; Et l'argent que de vous j'emprunte avec franchise, N'est que pour mettre à bout cette juste entreprise. Vous savés mieux que moi, quels que foient nos
Que l'argent est la clef de tous les grands refforts, Et que ce doux métal, qui frappe tant de têtes, En amour, comme en guerre, avance les conquêttes. Vous me semblés chagrin, feroit-ce qu'en effet Vous désaprouveriés le dessein que j'ai fait?
Non, c'est que je songéois...
Cet entretien vous lasse;
Adieu, j'irai chez vous tantôt vous rendre grace.
Derechef, veüillés étre discret,
Et n'allés pas, de grace, éventer mon fecret.
Que je sens dans mon ame..
Qui s'en feroit peut-être un sujet de colère. ARNOLPHE croyant qu'il revient encore. Oh.. Oh, que j'ai fouffert durant cet entretien! Jamais trouble d'esprit ne fut égal au mien. Avec quelle imprudence, & quelle hâte extrême, Il m'est venu conter cette affaire à moi-même! Bien que mon autre nom le tienne dans l'erreur, Etourdi, montra-t-il jamais tant de fureur? Mais ayant tant souffert, je devois me contraindre, Jusques à m'eclaircir de ce que je dois craindre, A pouffer jufqu'au bout fon caquet indifcret, Et savoir pleinement leur commerce secret. Tâchons de le rejoindre, il n'est pas loin, je pense, Tirons-en de ce fait l'entière confidence. Je tremble du malheur qui m'en peut arriver, Et l'on cherche souvent plus qu'on ne veut trouver.
Fin du premier Ade.
ACTE 11.
SCENE I.
ARNOLPHE.
IL m'eft, lorsque j'y pense, avantageux fans doute, D'avoir perdu mes pas, & pû manquer sa route: Car enfin, de mon cœur le trouble impérieux N'eût pû se rénfermer tout entier à ses yeux, Il eût fait éclater l'ennui qui me dévore, Et je ne voudrois pas qu'il fût ce qu'il ignore, Mais je ne fuis pas homme à gober le morceau, Et laisser un champ libre aux yeux d'un damoiseau ; J'en veux rompre le cours, & fans tarder, apprendre, Jusqu'où l'intelligence entr'eux a pû s'étendre:
» J'y prens, pour mon honneur, un notable intérêt; » Je la regarde en femme, aux termes qu'elle en est,
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