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De ceux qu'on voit toûjours renchérir sur la mode;
Et qui dans ces excès, dont ils font amoureux,
Seroient fâchés qu'un autre eût été plus loin qu'eux;
Mais je tiens qu'il est mal, sur quoi que l'on se fonde,
De fuir obstinement ce que fuit tout le monde,
Et qu'il vaut mieux souffrir d'étre au nombre des fous,
Que du sage parti se voir seul contre tous.

SGANARELLE.

Cela sent son vieillard, qui pour en faire accroire
Cache ses cheveux blancs d'une perruque noire.

ARISTE.

C'est un étrange fait du soin que vous prenés,
A me venir toûjours jetter mon âge au nés;
Et qu'il faille qu'en moi sans cesse je vous voye
Blâmer l'ajustement, auffi-bien que la joye:
Comme si condamnée à ne plus rien chérir,
La vieillesse devoit ne fonger qu'à mourir,
Et d'assez de laideur n'est pas accompagnée,
Sans se tenir encor mal-propre & rechignée.

SGANARELLE,

Quoiqu'il en soit, je suis attaché fortement, A ne démordre point de mon habillement: Je veux une coëffure en dépit de la mode, Sous qui toute ma tête ait un abri commode : Un bon pourpoint bien long, & fermé comme il faut, Qui pour bien digérer tienne l'estomach chaud; Un haut-de-chausses fait justement pour ma cuiffe, : Des foulieurs où mes pieds ne soient point au supplice, Ainsi qu'en ont use sagement nos ayeux.

Et qui me trouve mal n'a qu'à fermer les yeux.

SCENE II.

LEONOR, ISABELLE, LISETTE, ARISTE, SGA

NARELLE.
LEONOR à Isabelle.

E me charge de tout, en cas que l'on vous gronde.

JE

C

L1

LISETTE à Isabelle.

Toûjours dans une chambre à ne point voir le monde?

Il est ainsi bâti.

ISABELLE.

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Bien vous prend que son frere ait toute une autre

humeur,

Madame, & le destin vous fut bien favorable,

En vous faisant tomber aux mains du raisonnable.

ISABELLE.

C'est un miracle encor, qu'il ne m'ait aujourd'hui Enfermée à la clef, ou meneé avec lui.

LISETTE.

Ma foi je l'enverrois au diable avec sa fraise,

Et.... Rencontrant Sganarelle.

Où donc allés-vous? qu'il ne vous en déplaise.

LEONOR.

Nous ne savons encore, & je pressois ma sœur
De venir du beau tems respirer la douceur:
Mais....

SGANARELLE.

Pour vous, vous pouvés aller où bon vous

semble;

Vous n'avés qu'à courir, vous voilà deux ensemble: Mais vous, je vous défens, s'il vous plaît, de sortir.

ARISTE.

Ah! laiffes-les, mon frere, aller se divertir.

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La jeunesse est sotte, & par fois la vieillesse.

ARISTE.

Croyés-vous qu'elle est mal d'être avec Léonor?

SGANARELLE.

/ Non pas, mais avec moi je la crois mieux encor,

Mais....

ARISTE,

SGANARELLE,

Mais ses actions de moi doivent dépendre,

Et je sais l'intérêt enfin que j'y dois prendre.

ARISTE.

A celles de sa sœur ai-je un moindre intérêt?

SGANARELLE,

Mon Dieu, chacun raisonne, & fait comme il lui plaît.
Elles sont sans parens, & notre ami leur pere
Nous commit leur conduite à son heure derniére,
Et nous chargeant tous deux, ou de les épouser,
Ou fur notre refus un jour d'en disposer,
Sur elles par contrat nous fùt, dès leur enfance,
Et de pere & d'époux donner pleine puissance;
D'élever celle-là vous prites le fouci,
Et moi je me chargeai du foin de celle-ci;
Selon vos volontés vous gouvernés la vôtre,
Laissés-moi, je vous prie, à mon gré régir l'autre.

Il me semble.....

ARISTE.

SGANARELLE,

Il me semble, & je le dis tout haut,

Que fur un tel sujet c'est parler comme il faut,
Vous fouffrés que la vôtre aille lefte & pimpante,
Je le veux bien: qu'elle ait & laquais & suivante,
J'y consens: qu'elle courre, aime l'oisiveté,
Et soit des damoiseaux fleurée en liberté,
J'en suis fort fatisfait: mais j'entens que la mienne
Vive à ma fantaisie, & non pas à la fienne,
Que d'une ferge honnête elle ait fon vêtement,
Et ne porte le noir qu'aux bons jours seulement,

Qu'enfer

Qu'enfermée au logis en personne bien sage,
Elle s'applique toute aux choses du ménage;
A recoudre mon linge aux heures de loisir,
Ou bien à tricorer quelque bas par plaifir;
Qu'aux discours des muguets elle ferme l'oreille,
Et ne forte jamais sans avoir qui la veille.
Enfin la chair est foible, & j'entens tous les bruits,
Je ne veux point porter des cornes, sije puis;
Et comme à m'épouser sa fortune l'appelle,

Je prétens corps pour corps, pouvoir répondre d'elle.

ISABELLE.

Vous n'avés pas sujet, que je crois.

SGANARELLE.

Taisés-vous.

Je vous apprendrai bien, s'il faut sortir sans nous.

LEONOR.

Qui donc, Monfieur?....

SGANARELLE.

Mon Dieu, Madame, fans langage,

Je ne vous parle pas, car vous êtes trop sage.

LEONOR,

Voyés-vous Isabelle avec nous à regret ?

SGANARELLE.

Qüi, vous me la gâtés, puisqu'il faut parler net.
Vos visites ici ne font que me déplaire,

Et vous m'obligerés de ne nous en plus faire.

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Voulés-vous que mon cœur vous parle net aussi?
J'ignore de quel œil elle voit tout ceci :
Mais je fais ce qu'en moi feroit la déiance;
Et quoiqu'un méme sang nous ait donné naissance,
Nous sommes bien peu fœurs, s'il faut que chaque

jour

Vos manières d'agir lui donnent de l'amour.

LISETTE.

En effet, tous ces soins sont des choses infâmes:

Som

Sommes-nous chez les Turcs pour renfermer les

femmes ?

Car on dit qu'on les tient esclaves en celieu,
Et que c'est pour cela qu'ils font maudits de Dieu.
Notre honneur est, Monfieur, bien sujet à foiblesse,
S'il faut qu'il ait besoin qu'on le garde sans cesse:
Penfés-vous, après tout, que ces précautions
Servent de quelque obstacle à nos intentions?
Et quand nous nous mettons quelque chose à la tête,
Que l'homme le plus fin ne soit pas une bête?
Toutes ces gardes-là font visions de fous,
Le plus fûrest, ma foi, de se fier en nous;
Qui nous gêne, se met en un péril extrême,
Et toûjours notre honneur veut se garder lui même.
C'est nous inspirer presque un désir de pécher,
Que montrer tant de soins de nous en empêcher;
Et si par un marije me voyois contrainte,
J'aurois fort grande pente à confirmer sa crainte.

SGANARELLE,

Voilà, beau Précepteur, votre éducation,
Et vous fouffrés cela sans nulle émotion!

ARISTE.

Mon frere, fon discours ne doit que faire rire,
Elle a quelque raison en ce qu'elle veut dire.
Leur sexe aime à joüir d'un peu de liberté,
On le retient fort mal par tant d'austérité;
Etles soins défians, les verroux & les grilles
Ne font pas la vertu des femmes, ni des filles;
C'est l'honneur qui les doit tenir dans le devoir,
Non la sévérité que nous leur faisons voir.

C'est une étrange chose, à vous parler sans feinte,
Qu'une femme qui n'est sage que par contrainte.
En vain sur tous ses pas nous prétendons regner,
Je trouve que le cœur est ce qu'il faut gagner;
Et je ne tiendrois moi, quelque foin qu'on se donne,

Mon

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