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GORGIBUs.

1

Hé bien hélas! que veut dire ceci? Voyés le bel hélas qu'elle nous donne ici! Hé! que si la colère une fois me transporte. Je vous ferai chanter hélas, de belle forte. Voilà, voilà le fruit de ces empressemens Qu'on vous voit nuit & jour à lire vos Romans ; De quolibets d'amour votre tête est remplie, Et vous parlés de Dieu, bien moins que de Clélie. Jettés-moi dans le feu tous ces méchans écrits, Qui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits; Lisés-moi comme il faut, au lieu de ces fornetttes, Les Quatrains de Pibrac, & les doctes Tablettes Du Conseiller Matthieu, ouvrage de valeur, Et plein de beaux dictons à réciter par cœur. La Guide des Pécheurs est encore un bon Livre; C'est-là qu'en peu de tems on apprend à bien vivre; Et si vous n'aviés lû que ces Moralités, Vous sauriés un peu mieux suivre mes volontés.

CELIF.

Quoi, vous prétendés donc, mon Pere, que j'oublie
La constante amitié que je dois à Lélie?
J'aurois tort, si sans vous je disposois de moi;
Mais vous-même à ses vœux engageâtes ma foi.

GORGIBUs.

Lui fût-elle engagée encore davantage,
Un autre est survenu, dont le bien l'en dégage:
Lélie est fort bien fait; mais appren qu'il n'est rien
Qui ne doive céder au soin d'avoir du bien:

Que l'or donne aux plus laids certain charme pour

plaire,

Et que sans lui le reste est une triste affaire.
Valere, je crois bien, n'est pas de toi chéri;
Mais s'il ne l'est Amant, il le sera Mari.

Plus que l'on ne le croit, ce nom d'époux engage,

Et

Et l'amour est souvent un früit du mariage.
Mais fuis-je pas bien fat de vouloir raisonner,
Où de droit absolu j'ai pouvoir d'ordonner?
Trève donc, je vous prie, à vos impertinences,
Que je n'entende plus vos sottes doléances:
Ce gendre doit venir vous visiter ce soir,
Manqués un peu, manqués à le bien recevoir;
Si je ne vous lui vois faire fort bon visage,
_ Je vous.... je ne veux pas en dire davantage.

Q

SCENE II.

CELIE, SA SUIVANTE.

LA SUIVANTE,

Uoi refuser, Madame, avec cette rigueur
Ce que tant d'autres gens voudroient de tout leur

cœur?

A des offres d'Himen répondre par des larmes,
Et tarder tant à dire un oüi fi plein de charmes ?
Hélas! que ne veut-on auffi me marier!
Ce ne feroit pas moi qui se feroit prier;
Et loin qu'un pareil oui me donnât de la peine,
Croyés que j'en dirois bien vîte une douzaine.
Le Précepteur, qui fait répéter la leçon
A votre jeune frere, a fort bonne raison,
Lorsque nous discourant des choses de la terre,
Il dit que la femelle est ainsi que le Lierre,
Qui croît beau tant qu'à l'arbre il se tient bien serré,
Et ne profite point, s'il en est séparé.
Il n'est rien de plus vrai, ma très-chère Maîtresse,
Et je l'éprouve en moi, chétive pécheresse.
Le bon Dieu faffe paix à mon pauvre Martin;
Mais j'avois, lui vivant, le teint d'un Chérubin,
L'embonpoint merveilleux, l'œil gai, l'ame contente,
Et maintenant je suis ma Commere dolente.
Pendant cet heureux tems, paffé comme un éclair,

Je me couchois sans feu dans le fort de l'Hiver;
Sécher même les draps me sembloit ridicule,
Et je tremble à présent dedans la Canicule.
Enfin, il n'est rien tel, Madame, croyés-moi,
Que d'avoir un mari la nuit auprès de soi,
Ne fut-ce que pour l'heur d'avoir qui vous salue
D'un, Dieu vous soit en aide, alors qu'on éternuë.

CELIE.

Peux-tu me conseiller de commettre un forfait,
D'abandonner Lélie, & prendre ce mal fait?

LA SUIVANTE.

Votre Lélie aussi n'est ma foi qu'une bête,
Puisque fi hors de tems son voyage l'arrête;
Et la grande longueur de son éloignement
Me le fait foupçonner de quelque changement.
CELIE, lui montrant le portrait de Lélie.
Ah! ne m'accable point par ce trifte présage,
Vois attentivement les traits de ce visage,
Ils jurent à mon cœur d'éternelles ardeurs;
Je veux croire après tout qu'ils ne sont pas menteurs;
Et comme c'est celui que l'art y représente,
Il conserve à mes feux une amitié constante.

LA SUIVANTE.

Il est vrai que ces traits marquent un digne Amant, Et que vous avés lieu de l'aimer tendrement.

CELIE.

Et cependant il faut..... Ah! soutien-moi.

laissant tomber le portrait de Lélie.

LA SUIVANTE.

Madame,

D'où vous pourroit venir.... Ah! bons Dieux! elle pâme.

Hé! vîte, holà quelqu'un.

SCENE III.

CELIE, SA SUIVANTE, SGANARELLE.

SGANARELLE.

Qu'est-ce donc? me voila.

LA

LA SUIVANTE.

Ma Maîtresse se meurt.

SGANARELLE.

:

Quoi? n'est-ce que cela?

Je croyois tout perdu, de crier de la forte?
Mais approchons pourtant. Madame, êtes-vous morte?

Hais? elle ne dit mot.

LA SUIVANTE.

Daignés me l'apporter;

Il lui faut du vinaigre, & j'en cours apprêter.

SCENE IV.

CELIE, SGANARELLE, SA FEMME.
SGANARELLE, en paffant la main fur le sein de Célie.
Lle est froide par tout, & je ne sais qu'en dire:
Approchons nous pour voir si sa bouche respire,

FLle

Ma foi je ne sais pas; mais j'y trouve encor moi
Quelque signe de vie.

LA FEMME DE SGANARELLE regardant par la fenêtre.

Ah! qu'est-ce que je voi?

Mon Mari dans ses bras.... Mais je m'en vais def

cendre,

Il me trahit sans doute, & je veux le surprendre.

SGANARELLE.

Il faut se dépêcher de l'aller secourir,
Certes elle auroit tort de se laisser mourir;
Aller en l'autre monde est très-grande fottise,
Tant que dans celui-ci l'on peut être de mise.

Il s'emporte.

SCENE V.

LA FEMME DE SGANARELLE seule.

I
L s'est subitement éloigné de ces lieux,

As

Et

Et sa fuite a trompé mon désir curieux:
Mais de sa trahison je ne suis plus en doute,
Et le peu que j'ai vû me la découvre toute.
Je ne m'étonne plus de l'étrange froideur.
Dont je le vois répondre à ma pudique ardeur;
Il réserve, l'ingrat, ses caresses à d'autres,
Et nourrit leurs plaisirs par le jeûne des nôtres.
Voilà de nos maris le porcédé commun,
Ce qui leur est permis leur devient importun.
Dans les commencemens ce sont toutes merveilles;
Ils témoignent pour nous des ardeurs nompareilles ;
Mais les traîtres bien-tôt se lassent de nos feux,
Et portent autre part ce qu'ils doivent chez eux.
Ah! que j'ai de dépit, que la loi n'autorise
A changer de mari comme on fait de chémise.
Cela feroit commode, & j'en fais telle ici
Qui comme moi, ma foi, le voudroit bien auffi.
En ramassant le portrait que Célie avoit laisse tomber.
Mais quel est ce bijou que le fort me présente ?
L'émail en est fort beau, la gravûre charmante,
Ouvrons.

SCENE VI.

SGANARELLE, & SA FEMME.

ON

SGANARELLE.

N la croyoit morte, & ce n'étoit rien;

Il n'en faut plus qu'autant, elle se porte bien.

Mais j'apperçois ma femme.

SA FEMME.

O Ciel! c'est mignature,

Et voilà d'un bel homme une vive peinture!

SGANARELLE à part, & regardant sur l'épaule de sa femme.

Que confidère-t-elle avec attention?

Ce portrait, mon honneur, ne nous dit rien de bon; D'un fort vilain soupçon je me sens l'ame émuë.

SA

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