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SCENE VIII.

LEONOR, LISETTE, SGANARELLE, ARISTE.

LEONOR.

O l'étrange martire! Que tous ces jeunes foux me paroiffent fâcheux! Je me fuis dérobée au Bal pour l'amour d'eux.

LISETTE.

Chacun d'eux près de vous veut se rendre agréable.

LEONOR.

Et moi je n'ai rien vû de plus infupportable,
Et je perférérois le plus fimple entretien

A tous les contes bleus de ces difcours de rien;
Ils croyent que tout cède à leur perruque blonde,
Et pensent avoir dit le meilleur mot du monde,
Lorsqu'ils viennent, d'un ton de mauvais goguenard,
Vous railler fottement fur l'amour d'un vieillard;
Er moi d'un tel vieillard je prife plus le zèle,

Que tous les beaux transports d'une jeune cervelle :
Mais n'apperçois-je pas...

SGANARELLE.

Oui, l'affaire eft ainfi : Ah! je la vois paroître, & fa Suivante auffi.

ARISTE.

Léonor, fans courroux, j'ai fujet de me plaindre,
Vous favés fi jamais j'ai voulu vous contraindre,
Et fi plus de cent fois je n'ai pas protesté
De laiffer à vos vœux leur pleine liberté;
Cependant votre coeur méprifant mon fuffrage,
De foi comme d'amour à mon infçû s'engage;
Je ne me repens pas de mon doux traitement,
Mais votre procédé me touche affûrément,
Et c'est une action que n'a pas méritée
Cette tendre amitié que je vous ai portée.

LEONOR.

Je ne fais pas fur quoi vous tenés ce discours;

Mais croyés que je fuis la même que toûjours;
Que rien ne peut pour vous altérer mon eftime,
Que toute autre amitié me paroîtroît un crime,
Et
que
fi vous voulés fatisfaire mes vœux,
Un faint noeud dès demain nous unira tous deux.
ARISTE.

Deffus quel fondement venés-vous donc, mon frere?

SGANARELLE.

Quoi! vous ne fortés pas du Logis de Valère ? Vous n'avés point conté vos amours aujourd'hui? Et vous ne brûlés pas depuis un an pour lui?

LEONOR.

Qui vous a fait de moi de fi belles peintures,
Et prend foin de forger de telles impostures?

SCENE IX.

ISABELLE, VALERE, LE COMMISSAIRE, LE NOTAIRE, ERGASTE, LISETTE, LEONOR, SGANARELLE, ARISTE.

ISABELLE.

MA. fœur, je vous demande un généreux pardon,

Si de mes libertés j'ai taché votre nom;

Le preffant embarras d'une furprise extrême
M'a tantôt infpiré ce honteux ftratagême:
Votre exemple condamne un tel emportement;
Mais le fort nous traita tous deux diverfement.

Pour vous, je ne veux point, Monsieur, vous faire excufe,

Je vous fers beaucoup plus que je ne vous abuse;
Le Ciel, pour être joints, ne nous fit pas tous deux,
Je me fuis reconnue indigne de vos feux,

Et j'ai bien mieux aimé me voir aux mains d'un autre,
Qui ne pas mériter un cœur comme le vôtre.

VALERE.

Pour moi, je mets ma gloire & mon bien fouverain, A la pouvoir, Monfieur, tenir de votre main.

F 4

ARIS

ARISTE.

Mon frere, doucement, il faut boire la chofe,
D'une telle action vos procédés font cause,
Et je vois votre fort malheureux à ce point,
Que vous fachant duppé, l'on ne vous plaindra point.

LISETTE.

Par ma foi, je lui fais bon gré de cette affaire,
Et ce prix de fes foins est un trait exemplaire.

LEONOR.

Je ne fais fi ce trait fe doit faire estimer,
Mais je fais bien qu'au moins je ne le puis blâmer.

ERGASTE.

Au fort d'être cocu fon afcendant l'expofe,
Et ne l'être qu'en herbe eft pour lui douce chose.

SGANARELLE,

Non, je ne puis fortir de mon étonnement,
Cette rufe d'enfer confond mon jugement,
Et je ne pense pas que Satan en perfonne
Puiffe être fi méchant qu'une telle friponne;
J'aurois pour elle au feu mis la main que voilà.
Malheureux qui fe fie à femme après cela;
La meilleure eft toûjours en malice féconde,
C'est un fexe engendré pour damner tout le monde;
Je renonce à jamais à ce fexe trompeur,
Et je le donne tout au diable de bon cœur.

Bon.

ERGASTE.

ARISTE.

Allons tous chez moi. Venés, Seigneur Valère; Nous tâcherons demain d'appaiser fa colère.

LISETTE.

Vous, fi vous connoiffés des maris loups-garous,
Envoyés-les au moins à l'Ecole chez nous.

FIN.

3.

LES

FACHEUX,

COMEDIE,

Faite pour les divertiffemens du Roi,
au mois d'Août 1661.

Et représentée pour la première fois en Puclic à Paris fur le Théâtre du Palais Royal, le 4 de Novembre de la même année 1661.

Par la Troupe de Monfieur Frere
Unique du Rai.

AU ROI.

SIRE,

Pajoûte une Scène à la Comédie, & c'est une espèce de Facheux affez infuportable, qu'un homme qui dédie un Livre. VOTRE MAJESTE en fait des nouvelles plus que perfonne de fon Royaume, & ce n'eft pas d'aujourd'hui qu'Elle fe voit en bute à la furie des Epîtres dédicatoires. Mais bien que je fuive l'exemple des autres, & me mette moi-même au rang de ceux que j'ai joüés; j'ofe dire toutefois à VOTRE MAJESTE', que ce que j'en ai fait, n'eft pas tant pour lui préfenter un Livre, que pour avoir lieu de lui rendre graces du fuccès de cette Comédie. Je le dois, SIRE, ce fuccès qui a passé mon attente, non-feulement à cette glorieufe approbation, dons VOTRE MAJESTE bonora d'abord la Pièce, & qui a entraîné fi hautement celle de tout le monde ; mais encore à l'ordre qu'Elle me donna d'y ajoûter un caractère de Fâcheux, dont elle eut la bonté de m'ouvrir les idées Elle-même, & qui a été trouvé par tout le plus beau morceau de l'Ouvrage. Il faut avouer, SIRE, que je n'ai jamais rien fait avec tant de facilité ni fi promptement que cet endroit, où VOtre mafestE' me commanda de travailler. J'avois une joie a lui obéir, qui me valoit bien mieux

qu'A.

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