Images de page
PDF
ePub

observer seulement que si les belligérants ont chacun le droit incontestable d'enlever les propriétés ennemies partout où ils les trouvent, il ne s'en suit aucunement qu'ils puissent violer arbitrairement les droits des peuples pacifiques. Le véritable noeud de la question se trouve dans la conciliation de ces deux intérêts opposés.

Cas controversés du commerce neutre. Cas licites.

§ 165. Il existe un certain nombre de cas dans lesquels la liberté du commerce et de la navigation des peuples neutres est devenue un objet de controverses particulières. Ce sont notamment les suivants:

I. Le transport direct d'objets nécessaires aux besoins des troupes de terre ou de mer dans les ports de l'un des belligérants, et non compris parmi les objets de contrebande proprement dits. La jurisprudence anglaise et l'américaine appliquent ici les règles rigoureuses ralatives à la contrebande, jusqu'à prononcer la confiscation du navire.1 Au point de vue d'une stricte justice, nous ne pouvons admettre que la simple saisie de ces objets pendant la guerre, ou bien un droit de préemption à leur égard.

II. Le cabotage des ports des belligérants. La neutralité armée a cherché à introduire dans le code international, ainsi que nous l'avons déjà observé, le principe que les vaisseaux neutres peuvent naviguer librement de port en port sur les côtes des nations en guerre. Rien en effet ne s'oppose à ce que les sujets neutres puissent acheter librement des objets dans un des ports des belligérants, pour les revendre dans un autre. Cependant la pratique, et notamment la jurisprudence anglaise, a refusé jusqu'à présent d'admettre ce principe, par le motif que le cabotage pourrait facilement servir de prétexte pour couvrir le commerce de contrebande. Par conséquent elle admet seulement au profit des nations neutres, le commerce des objets de provenance ou d'origine neutre dans les ports

Wheaton, Intern. Law II, p. 219 (édit. franç. p. 166). Oke Manning p. 289. de Kaltenborn II, p. 415.

ennemis. A l'égard des marchandises au contraire qui ont été chargées dans un port ennemi pour être transportées dans un autre port ennemi, elle a établi la présomption juris et de jure qu'elles doivent être considérées comme ennemies. En ce cas elle prononce la confiscation de la cargaison, non celle du navire qui perd seulement le fret acquis. La clause même insérée dans beaucoup de traités, qui permet aux neutres de naviguer librement de port en port et sur les côtes des nations en guerre, ne suffit pas pour écarter tous les doutes, notamment en ce qui concerne la question de savoir si elle s'applique également aux biens ennemis.1

III. Les commerces nouveaux, et spécialement le commerce réservé des puissances belligérantes avec leurs établissements respectifs d'outre-mer, ont encore été fort longtemps l'objet de contestations entre les nations. La guerre peut-elle empêcher l'un des belligérants de déclarer libres, au profit de tous les peuples ou de quelques-uns d'entre eux, le commerce et la navigation jusque-là réservés à ses propres sujets? Peut-elle mettre obstacle à ce que les nations pacifiques acceptent ces nouveaux débouchés et profitent des avantages qu'ils peuvent présenter? Le cabinet de St. James l'a essayé à plusieurs reprises. Il l'a tenté d'abord lors de la proclamation de la loi célèbre:,, Rule of the War" de 1756, sous prétexte que les licences accordées par la France pour le commerce avec ses colonies, profitaient exclusivement aux Hollandais. Les changements survenus depuis dans le régime colonial ne font plus craindre le retour de mesures semblables. Il est à remarquer que Hübner, dont les opinions sont ordinairement si favorables à la cause des neutres, leur a refusé cependant ce genre de commerce.2

1 Jouffroy p. 188 suiv. Pöhls IV, § 521, p. 1137. Hautefeuille II, p. 293. Halleck XXVI, § 19. Gessner p. 266. Des traités qui n'admettent pas le commerce de cabotage, sont indiqués par Oke manning p. 199. de Kaltenborn § 226.

2,, Ce qui pourrait faire envisager ce commerce comme illicite, dit-il, c'est que les mêmes peuples neutres ne le font jamais et n'osent le faire en temps de paix, qu'il ne leur est ouvert qu'en temps de guerre et à cause de la guerre; et qu'enfin, au rétablissement de la paix, ils en sont Heffter, droit international. 3e éd. 21

Les maximes observées dans les cas indiqués ci-dessus sous II et III ne manquent pas à la vérité d'une certaine justification, comme étant une conséquence de la nature spéciale des guerres maritimes, lorsqu'il s'agit d'un transport de marchandises ennemies. Car ces guerres, ainsi que nous l'avons dit, ne se font pas seulement d'État à État. Elles sont dirigées en même temps contre les propriétés privées et contre le commerce des sujets ennemis. Les peuples neutres qui se livrent à ce commerce, semblent ainsi en quelque sorte secourir l'un des combattants contre l'autre et lui porter des secours indirects. C'est sans doute le motif pour lequel les puissances maritimes ne se sont pas opposées jusqu'à ce jour d'une manière plus efficace à un usage si contraire à leurs intérêts. Toutefois la règle de 1756 n'est plus à concilier avec les régles de la déclaration de 1856.

§. 166. Les branches licites du commerce auxquelles les peuples pacifiques peuvent se livrer sans violer des devoirs de la neutralité, sont les suivantes: les assurances des navires et des cargaisons appartenant aux sujets des belligérants;1 l'achat et la vente de denrées et de marchandises qui ne sont pas des objets de contrebande, et tant qu'elles ne sont pas devenues propriétés ennemies; par suite les transports de marchandises dans les ports ennemis, tant qu'elles n'y ont pas été vendues. De même le commerce de commission est libre en temps de guerre. Vouloir refuser aux neutres ce genre d'opérations, ce serait supprimer une des branches les plus importantes du commerce moderne. Ceci est vrai surtout à l'égard des marchandises envoyées d'un port neutre dans les ports de l'un des belligérants, lors même que des avances ont été faites déjà par le commissionnaire. Le commerce de commission fait d'un port ennemi dans un port neutre pourrait plutôt donner lieu

derechef exclus, de telle sorte que le commerce des sujets d'un souverain neutre avec les colonies d'un État qui est en guerre, paraît être un objet du droit rigoureux de la guerre." (De la saisie des bâtiments neutres I, 1, chap. 4, § 6.) V. aussi Jouffroy p. 199. Wheaton, Histoire p. 157. Pöhls p. 1130 suiv. Oke Manning_p.*195. Pando p. 547-556. Hautefeuille II, p. 274 suiv. de Kaltenborn § 227. Halleck XXVI, 20. Gessner p. 271. 1 Moser, Vers. X, p. 324.

à des doutes, par le motif que les marchandises expédiées sont encore la propriété des sujets ennemis, laquelle, d'après la pratique actuelle, est sujette à la confiscation. Seulement le commissionnaire neutre a droit aux avances par lui faites qui doivent lui être remboursées.

Lorsqu'il s'agit d'un commerce direct fait entre les sujets des belligérants et les sujets neutres, les conventions particulières intervenues entre les parties, déterminent si les marchandises continuent, jusqu'à la livraison, à rester la propriété du vendeur, si par suite elles doivent être réputées ennemies ou neutres. Mais rien ne s'oppose à ce que les sujets neutres achètent librement des navires dans le territoire de l'un des belligérants, pourvu que la vente soit faite ,,bona fide" et qu'elle ne soit pas un acte purement simulé. Il est vrai que sur ce point la jurisprudence anglaise et française de même que l'américaine se sont montrées en général très - rigoureuses.2

Les peuples neutres ont de plus le droit incontestable de faire le transport de propriétés neutres dans le pays d'un des belligérants. A cet égard ils doivent se conformer toutefois aux obligations résultant du droit de blocus et de contrebande.

En ce qui concerne les objets de contrebande, la vente faite aux belligérants en territoire neutre, ne saurait être considérée comme un acte illicite et contraire aux devoirs de la neutralité; ce n'est que leur transport qui en rend responsable.3

Droit de visite (jus visitationis).1

§ 167. Le principal moyen pratiqué par les belligérants - dans le but de maintenir le commerce neutre dans ses limites nécessaires ou conventionnelles, c'est l'exercice du droit de visite.

1 Mittermaier, Deutsches Privatr. § 552.

Jouffroy p. 185.

2 Jouffroy p. 206. Jacobsen, Seerecht p. 741. Phillimore, III, 606. Halleck XXI, 15.

3 Pistoye et Duverdy I, p. 394.

4 Pöhls IV, p. 527 suiv. Wheaton, Intern. Law IV, 3. 19 suiv. (§ 524 Dana). Massé § 301. Oke Manning p. 350 suiv. Pando p. 549. Ortolan II, p. 202. Hautefeuille I, p. 86. IV, p. 427 suiv. Phillimore III, 417. Halleck ch. XXV. Gessner p. 278.

Wildman II, p. 119.

C'est le droit qui appartient aux belligérants de faire arrêter, soit par des bâtiments de l'État, soit par des navires armés en commission, les navires rencontrés, de constater leur nationalité et de prendre connaissance de leur destination ainsi que de leur cargaison. Plusieurs publicistes d'une autorité considérable, parmi lesquels nous nommons Hübner en première ligne, ont, vers le milieu du XVIIIe siècle, contesté la légalité du droit de visite, du moins sur la haute mer, ce droit étant attentatoire à l'indépendance des peuples pacifiques.1 Sans prétendre nous prononcer sur la valeur de ces objections, nous nous bornons à établir ce fait incontestable, que toutes les puissances maritimes qui disposaient de forces suffisantes, ont fait usage dans leurs guerres d'un pouvoir, lequel, tant qu'il s'est renfermé dans des limites raisonnables, n'a pas été sérieusement contesté, et qui en même temps a servi de base à de nombreuses conventions publiques. Déjà le Consulat de la Mer atteste l'antiquité d'un usage qui seulement, par suite de l'infinité d'abus auxquels il a donné lieu, a été l'objet des réclamations continuelles des nations neutres.2 Renfermé dans ses limites exactes, le droit de visite ne porte aucune atteinte à leur indépendance et ne leur est nullement préjudiciable. Nous disons en conséquence que, dans l'état actuel des choses, la visite est un moyen généralement admis entre les belligérants, dont il est essentiel de définir le but, les conditions et les limites, conformément aux usages établis entre les nations.

§ 168. Le but de la visite est de faire valoir des droits du belligérant vis-à-vis de l'ennemi et des nations neutres. Le belligérant peut exercer la visite:

1° sur son propre territoire;

2° sur le territoire de son adversaire, c'est-à-dire dans les rades, ports et mers ennemis, sans exception même des fleuves (§ 137);

3o enfin sur la haute mer, la mer libre.

1 Les auteurs qui ont traité spécialement cette question, sont indiqués par Klüber § 283 a. Leurs diverses opinions ont été discutées par

Jouffroy p. 213 suiv. Nau, Völkerseerecht § 216.

2 Nau, Völkerseerecht § 163. de Martens, Ueber Caper. § 21.

« PrécédentContinuer »