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soirement accorder de la protection au navire capturé; mais quant au fond du litige, il ne peut être vidé qu'entre le belligérant et le souverain neutre intéressé.

§ 173. Le mode de procéder devant les tribunaux chargés de statuer sur le sort des bâtiments neutres arrêtés, porte le caractère d'un procès en revendication: c'est au neutre saisi à prouver l'illégalité de la prise. Il est vrai que, d'après la maxime ,, spoliatus ante omnia restituendus" et d'après l'analogie de ce qui se pratique en matière de saisie-arrêt, ce serait au capteur à justifier qu'il avait des motifs suffisants pour la prise. Mais on n'y regarde pas de si près.1

En ce qui concerne les formes de la procédure et les règles relatives aux preuves et à la rédaction du jugement, le juge chargé de statuer sur la validité de la prise, doit se conformer aux dispositions des lois intérieures de son propre territoire, à moins que des traités spéciaux conclus avec la puissance neutre à laquelle appartiennent le navire ou les sujets saisis, n'aient disposé autrement. Il n'existe actuellement qu'un nombre très-limité de traités à cet égard. de traités à cet égard. La plupart se bornent à stipuler réciproquement une justice impartiale par l'institution de juges non suspects. Plusieurs prescrivent la communication réciproque des sentences rendues par leurs tribunaux respectifs: comme, par exemple, les conventions conclues entre les États-Unis et les républiques de l'Amérique centrale et de l'Amérique du sud.

En général les modes de procéder et les règles qui président aux motifs de décision des tribunaux des prises, sont peu favorables aux réclamants. Très-souvent ce ne sont que des instruments, des hameçons politiques mis au service d'un égoïsme avide, ainsi qu'on peut s'en convaincre facilement en parcourant les recueils de la jurisprudence des prises; et cela malgré l'admiration que beaucoup de personnes ont professée pour les savants juges des prises" de plusieurs nations. Ordi

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1 Martens, à l'endroit cité § 27.

Pinheiro - Ferreira, dans ses notes sur de Martens, Introduct. § 317. Jouffroy p. 296. V. surtout Wurm, dans le Staats- Lexicon XI, 145.

2 V. par exemple la convention anglo-russe de 1801.

nairement on n'admet comme preuves que les papiers trouvés à bord des navires capturés. A l'appui des faits résultant de l'examen des papiers, on fait subir à l'équipage un interrogatoire qui quelquefois porte un caractère presque inquisitorial!1

D'après les maximes qui ont prévalu dans la pratique maritime moderne, il est facile de se rendre compte de la nature des pénalités qui attendent les propriétaires des objets saisis et condamnés. Les tribunaux, en validant la saisie, prononcent tantôt la prise du navire et de la cargaison, tantôt la prise de l'un ou de l'autre, ou bien la perte d'une partie de la cargaison ou du fret. Lorsqu'ils prononcent la main levée de la saisie, le navire arrêté est mis en liberté, les objets saisis sont restitués à leurs propriétaires: quelquefois même ils accordent à ces derniers des dommages-intérêts Mais le plus souvent ils ménagent le croiseur saisissant. De simples soupçons non entièrement repoussés sont assimilés à cet effet aux contraventions patentes, et suffisent du moins pour faire décharger les corsaires du remboursement des frais. Toutefois il n'existe sur cette matière aucun code international. Tout dépend des dispositions des belligérants, de leur bonne ou mauvaise volonté, de l'impartialité ou de l'esprit prévenu des juges. Les puissances neutres ont incontestablement le droit de s'opposer de toutes leurs forces aux actes d'injustice dont ils auraient à se plaindre à cet égard, ou du moins de réclamer une indemnité.3

1 de Martens, à l'endroit cité. V. aussi les observations sur plusieurs cas très - intéressants dans Jacobsen, Seerecht p. 441 suiv. et p. 544 suiv.

2 Jouffroy p. 299 suiv. a essayé de donner une classification des divers cas qui peuvent se présenter ici. V. aussi de Martens, Ueber Caper, § 30 et surtout l'excellent ouvrage de Hautefeuille aux chapitres: Blocus, Contrebande, Visite et Saisie.

3 Grotius III, 2. 5.

Bynkershoek, Quaest. juris publ. I, chap. 9.
Nous pouvons citer comme un

Vattel II, § 84. Wheaton IV, 2. 15.
exemple les représailles décrétées par le gouvernement prussien contre
l'Angleterre et la correspondance diplomatique qui en est résultée, racontées
par de Martens, Erzählungen I, p. 236 suiv. Ch. de Martens, Causes
célèbres. II, p. 1 suiv.

Mesures extraordinaires des belligérants à l'égard
des neutres.

§ 174. Les belligérants ne se sont pas toujours contentés des mesures ordinaires. Déjà nous avons eu l'occasion de nous expliquer sur quelques-unes de ces mesures normales moins onéreuses, auxquelles le commerce s'est vu parfois assujetti, telles que l'embargo mis sur les navires neutres pour voiler certains buts politiques; la mise en réquisition des navires ou des cargaisons neutres pour des transports de troupes, pour des besoins momentanés ou imminents. Nous avons indiqué les limites rigoureuses de ces diverses mesures (§ 150). Ajoutons-y encore le blocus de rivières communes à l'autre belligérant et à des puissances neutres, à la faveur desquelles des modifications du moins devraient être admises aux rigueurs du blocus, ce qui n'a pas lieu toujours.1

Les restrictions apportées par l'un des belligérants à la liberté du commerce neutre, sous prétexte de la nécessité de réduire l'ennemi, qualifiées d'extraordinaires, sont d'une nature plus grave. Au nombre de ces restrictions on doit ranger: 1° L'augmentation arbitraire de la liste des articles de contrebande, et cela sans aucune indemnité accordée par la voie connue sous le nom de droit de préemption (§ 158); 2° la défense faite aux neutres de tout commerce d'objets ennemis, ou bien la défense de fréquenter les ports de l'ennemi et ceux qu'il fréquente;

3o la défense de communiquer avec l'ennemi et avec le territoire ennemi.

L'histoire moderne a eu à enrégistrer plusieurs exemples de pareilles excentricités. Ce fut le système imaginé par la Coalition qui voulait réduire par la famine la France révolutionnaire, système soutenu surtout en 1793 par l'Angleterre, malgré la résistance des puissances neutres.2 Plus tard il

1 Jacobsen p. 707. Hautefeuille III, 50.

2 V. pour les détails Wheaton, Histoire p. 284. Ibid. Intern. Law. IV, 3, p. 184 suiv. Nau, Völkerseerecht § 309. Büsch, Ueber das Bestreben der Völker etc. chap. 8 et 13. Oke Manning p. 295. V. aussi § 162 ci-dessus.

Heffter, droit international. 3e éd.

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reparaît sous la forme du blocus continental, dont nous avons déjà indiqué l'étendue énorme au § 152.

Les cas qui seuls peuvent légitimer le recours à des mesures aussi rigoureuses, sont:

1° lorsqu'on défend sa propre indépendance contre un ennemi plus puissant;

2o lorsqu'on est en guerre avec un ennemi du genre humain ou de tous les États, notamment dans une guerre contre un souverain qui voudrait établir une monarchie universelle.

Les neutres de leur côté peuvent repousser ces mesures: 1° lorsque les belligérants ne sont pas en état de justifier de motifs suffisants pour en légitimer l'emploi;

2o lorsque ces actes compromettent l'existence des puissances neutres;

3o lorsqu'ils entraînent après eux l'emploi de procédés inhumains ou barbares.

Dès qu'il n'est pas possible aux puissances neutres de s'entendre à cet égard avec les belligérants, elles ne doivent consulter que leurs intérêts et leurs forces. Si, malgré toutes les représentations, les belligérants persistent dans leur système, les neutres n'ont que le choix entre la guerre et la soumission. Il n'existe aucun autre moyen pour vider

un pareil conflit.

Toute puissance neutre a incontestablement le droit de prendre des mesures convenables contre des procédés contraires aux usages internationaux, ainsi que contre des excès arbitraires qui les menacent, de défendre ses prétentions légitimes à main armée et de faire usage de représailles contre les empiétements des belligérants.

Un moyen de sûreté parfaitement juste, c'est l'escorte de navires marchands par des bâtiments de guerre (§ 170). C'est un usage qui a été pratiqué déjà beaucoup par la ligue hanséatique. L'Angleterre elle-même qui, pendant la guerre du nord, avait envoyé, par suite des pertes éprouvées par les corsaires suédois, une escadre dans les mers septentrionales pour la protection de son commerce, ne saurait contester

aux autres nations le droit de faire convoyer leurs navires de commerce.1

Un autre moyen c'est l'établissement d'une force armée pour le maintien des principes de neutralité. Tel fut le but de la neutralité armée du Nord, fondée sur la déclaration faite par les puissances membres de cette coalition, suivant laquelle la mer Baltique devait être considérée comme fermée aux vaisseaux de guerre des belligérants et à l'abri de toute espèce d'hostilités, ce qui ne manqua pas de contestations, notamment de la part de l'Angleterre, qui renouvela encore ses protestations par un acte du 18 décembre 1807.2

Enfin les neutres qui admettent indistinctement dans leurs ports les bâtiments de guerre des belligérants avec une impartialité, une égalité parfaite, pourraient, par réciprocité, stipuler en leur faveur le droit de juridiction en matière de prises sur tous les navires capturés et amenés dans leurs ports respectifs.

Coup-d'oeil rétrospectif sur les droits des neutres.

Voeux de réforme.

§ 175. En jetant un coup-d'oeil rétrospectif sur les droits des neutres, que nous venons de retracer d'après la réalité des choses, nous y apercevons, jusqu'au milieu du présent siècle, beaucoup plus de restrictions et d'entraves que de preuves de respect de la liberté et de l'indépendance des neutres, en même temps des prétentions exagérées de la part des belligérants. Nous pouvons le dire, sans crainte d'être démenti: dans le domaine du droit international on ne trouve rien d'aussi triste que la position des peuples neutres vis-à-vis des puissances maritimes de premier ordre. L'état de guerre survenu entre celles-ci rend précaire le commerce neutre tout entier et le fait dépendre de leurs décisions arbitraires. Toutes les puissances maritimes ont, jusqu'à un certain point, à se reprocher cet état

p. 251.

1 V. ci-dessus § 170. Lamberti, Histoire du siècle XIV. t. IX,

2 de Martens, Recueil II, p. 195. 205. 250.

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