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Le commerce une fois régulièrement constitué, un de ses premiers besoins, dès qu'il s'établissait à l'étranger, fut celui d'obtenir une juridiction propre et indépendante, appelée à intervenir non-seulement dans les contestations entre les sujets de la même nation ou avec les habitants du pays, mais aussi dans toutes les occasions où il s'agissait de mettre les intérêts du commerce à l'abri des actes arbitraires des autorités locales. Déjà au XIIe siècle on rencontre, dans les cités commerciales si florissantes de la Méditerranée, des magistrats connus sous le nom de consuls, chargés d'une juridiction en matière commerciale. De même on rencontre lors des croisades, et auparavant déjà dans l'empire byzantin et dans les royaumes chrétiens de la Syrie, sous diverses dénominations, une magistrature analogue, établie au profit des nations et des villes qui trafiquaient dans ces contrées. Dans le XII° siècle toutefois nous ne retrouvons plus en Orient de traces de cette institution, qui reposait encore généralement sur le principe de la personnalité des coutumes, où chaque nation ne consentait à être jugée que d'après ses propres coutumes.

Après l'invasion des royaumes chrétiens d'Orient par les fiers descendants d'Osman, les peuples commerçants de l'Europe durent chercher à obtenir de ces nouveaux maîtres et de leurs vice-rois en Égypte et dans les États barbaresques, des capitulations ou des conventions qui leur permissent d'y continuer leur trafic. Ils durent chercher en même temps à obtenir une juridiction indépendante qui reparaît sous le nom antique de consulaire. C'est vers la même époque que les républiques italiennes, les cités florissantes situées sur les côtes de Provence et de Catalogne, les cités naguère si riches et si puissantes des Flandres et de la ligue hanséatique, commençaient à fonder non-seulement sur les côtes de la Méditerranée, mais aussi sur le littoral des mers du Nord et de la Baltique, des établissements de commerce régis par des autorités particulières, chargées de fonctions judiciaires et dotées de nombreux priviléges par les souverains territoriaux. Ainsi, par exemple, on rencontrait dans les factories de la ligue hanséatique une magistrature connue sous le nom d'Aldermann et d'adjoints, dans d'autres cités ou républiques des gouverneurs, des conservateurs, des

préteurs ou des consuls. Comme l'usage de missions permanentes auprès des Cours souveraines n'existait pas encore, ces magistrats étaient chargés aussi de fonctions diplomatiques.1

§ 245. Une pareille institution, exempte de la juridiction territoriale et engagée dans de fréquents conflits avec les autorités régulières du territoire, ne pouvait guère se concilier avec les développements du système moderne des États et avec la consolidation du pouvoir monarchique. Elle devait au contraire paraître une usurpation sur la liberté et l'indépendance de la souveraineté territoriale. Dès lors commença à se manifester partout la tendance d'assujettir le commerce des étrangers aux lois et aux tribunaux locaux. En créant des juges de commerce spéciaux, quelquefois, ainsi que cela a eu lieu en France, sous le nom même de consuls, on avait soin de les charger également de la protection du commerce étranger dans des limites raisonnables. Par l'établissement de missions diplomatiques permanentes dans les Cours souveraines, les intérêts commerciaux des peuples furent en outre représentés d'une manière plus directe et plus efficace qu'ils ne l'avaient été jusqu'alors. Il ne restait donc tout au plus qu'à pourvoir aux intérêts locaux du commerce étranger par l'emploi d'agents chargés de leur défense auprès des autorités des lieux. C'est ainsi que l'institution de juges consulaires du moyen âge s'est transformée enfin en celle de simples agents, chargés d'une mission protectrice et de certaines attributions de police sur leurs nationaux. Dans ces conditions elle s'est conservée, en vertu de concessions réciproques, d'une manière très-salutaire dans tous les États chrétiens de l'Europe et du Nouveau-Monde. Dans les États musulmans au contraire, notamment aux Échelles du Levant et dans les pays barbaresques, elle a gardé un

1 V. sur ces notices historiques l'ouvrage d'Alex. de Miltitz, principalement le Résumé t. II, part. 1re, p. 394. G. F. Martens, dans son Essai intitulé: Versuch einer historischen Entwickelung des Wechselrechtes, avait déjà fourni des notices précieuses. V. en outre de Steck, Handelsverträge p. 215 et Versuche p. 119. Pawinski, Zur Entstehungsgeschichte des Consulates in den Communen Italiens. Berlin 1867; enfin sur le Consulat d'Uzès en France M. de Rozière dans la Revue de législation publ. par Laboulaye. IIème livraison p. 180.

caractère différent, à la vérité vivement contesté en ce dernier temps, soit en vertu d'anciens priviléges concédés aux diverses nations, soit en vertu de traités et de capitulations qui en garantissent le maintien en termes formels.1 Le même système a été mis en activité par les puissances maritimes envers la Chine, le Japon, la Perse, le Siam, le Maroc. 2

Attributions des consuls actuels.

§ 246. D'après la pratique généralement admise aujourd'hui dans les États européens et du Nouveau-Monde, les consuls, ainsi que nous venons de le dire, forment une espèce particulière d'agents diplomatiques, chargés de la défense des intérêts du commerce de certains pays dans les places où ils sont envoyés. Tantôt sujets du pays qu'ils représentent (consules missi), tantôt sujets du pays même où ils résident (consules electi), ils ne peuvent entrer en fonctions que lorsque les deux gouvernements intéressés sont d'accord sur le choix même de leur personne. En principe aucun gouvernement n'est tenu d'admettre malgré lui des consuls étrangers. Aussi a-t-on soin de se faire accorder expressément cette faculté par des conventions publiques. Dans la plupart des traités de commerce modernes intervenus entre les États où il existe à cet égard des usages incontestés, on trouve des clauses semblables. Il existe cependant certains traités qui excluent expressément l'admission réciproque des agents consulaires, 3

La nomination de l'agent consulaire se fait par lettres de provision délivrées par le gouvernement qu'il représente. D'après la théorie générale, tout État, même l'État mi-sou

1 V. de Miltitz t. II,. part. 2, p. 3 suiv. Ces traités sont indiqués par Mirus § 396. Comparez aussi M. Pradier- Fodéré dans la Revue de p. 113.

droit international I,

2 V. de Martens, Nouveau Recueil général, t. XVII.

3 Comme, par exemple, dans un traité entre la France et les PaysBas: il paraît toutefois que cette clause a été abrogée. Une décision fédérale du 12 novembre 1815 défend l'établissement des consulats dans

les forteresses de la confédération germanique. Comparez aussi de Steck. Essais sur divers sujets internationaux p. 52.

verain en possession d'un pavillon spécial, a le droit de se faire représenter dans les places de commerce étrangères par ces sortes d'agents.

L'agent consulaire ne peut entrer en fonctions qu'après avoir obtenu l'admission du souverain dans le territoire duquel il doit exercer ses fonctions. Cette admission lui est surtout nécessaire s'il est sujet du même souverain.1 Elle est délivrée par un acte d'Exequatur ou de Placet, qui justifie de sa qualité auprès des autorités locales.

Le titre de l'agent consulaire varie selon l'étendue et l'importance de ses fonctions. Il reçoit ordinairement le titre de consul général, lorsque ses fonctions embrassent tout un territoire ou plusieurs places de commerce; ou bien simplement celui de consul, de vice-consul ou de suppléant. Ces titres toutefois n'ont pas toujours une signification aussi précise.

§ 247. Les fonctions ordinaires des consuls consistent:2 1° A surveiller toujours la stricte observation des traités de commerce et de navigation, tant par le gouvernement près duquel ils résident, que par la nation qu'ils représentent. Si la bonne entente vient à être troublée, ils doivent faire auprès des autorités compétentes les démarches nécessaires pour la rétablir. Ils prennent connaissance de l'arrivée des navires de leur nation, de

1 Cela a été expressément stipulé dans le traité entre les ÉtatsGénéraux et le roi des Deux-Siciles, du 27 août 1753, art. XLI. Wenck, Codex juris gent. II, p. 753.

2 Des dispositions très-étendues sur les attributions et les prérogatives consulaires se trouvent dans le traité entre la France et l'Espagne du 13 mars 1769. Wenck, Codex juris gent. III, p. 746. Martens, Recueil t. 1, p. 629. Parmi les traités les plus récents nous citons ceux intervenus entre la France et le Texas du 25 septembre 1839, art. 8-13, entre la France et la Sardaigne du 4 février 1852 (Gazette des tribunaux 11 mars 1852). V. Laget de Podio, Juridiction des consuls de France à l'étranger. 2e édit. Marseille 1843. Pour les autres États v. Mirus § 390. Phillimore II, 247. B. de Cussy, Règlements consulaires des principaux États. Leipzig 1852. König, Preufsens Consular - Reglements. Berlin 1854, et les ouvrages indiqués au § 244, notamment Neumann (pour l'Autriche). Wertheim, Manuel des Consuls des Pays-Bas. Amsterd. 1861. Charles Döhl, Das Consularwesen des Norddeutschen Bundes. Bremen 1870.

leurs chargements et de leurs équipages. Ils sont chargés aussi de la police des passeports.

2o Ils portent des secours ou des conseils aux commerçants et aux marins de leur nation, toutes les fois que ces derniers les réclament. Ils peuvent exiger des autorités étrangères l'extradition des hommes de l'équipage qui se sont enfuis des navires de leur nation, dans les limites établies par les traités ou par les usages.

3° Ils sont investis d'une espèce de juridiction volontaire pour la constatation des faits et des accidents qui touchent les intérêts privés de leurs nationaux. A cet effet ils délivrent aux marins et aux négociants des certificats authentiques.

4° Ils cherchent à arranger à l'amiable les difficultés qui s'élèvent entre les sujets de leur nation, et entre ces derniers et les habitants du pays. Quelques traités leur accordent même le droit d'arbitrage dans les différends des capitaines avec les hommes de l'équipage.1

Les attributions des consuls placés dans les pays dépendants de la Haute Porte, surtout aux Échelles du Levant, et pareillement dans les États asiatiques et africains, sont beaucoup plus étendues. Des traités récents stipulent encore en faveur des consuls européens dans ces contrées le droit de juridiction criminelle sur leurs nationaux. Ils y sont investis en outre, en vertu d'usages traditionnels, de la juridiction civile, nonseulement à l'égard des.contestations de leurs nationaux entre eux, mais aussi avec les indigènes. Enfin ils pourront y être accrédités comme ministres ou chargés d'affaires pour suppléer au défaut d'agents politiques de cette sorte.2

§ 248. Parmi les prérogatives des agents consulaires dans les États européens, nous distinguons notamment l'immunité de

1 V. le traité des Villes hanséatiques avec les États-Unis de l'Amérique de 1852. (N. R. G. XVII, 1, p. 161) et celui de la Prusse avec les PaysBas du 16 juin 1856. (Ibid. p. 187.) Ajoutons de plus le traité de l'Empire germanique avec l'Union Américaine du Nord du 11 décembre 1871 et avec les Pays-Bas du 11 janv. 1872.

2 de Steck, Versuche. 1783. no. XII, p. 88. Mirus § 395. Phillimore II, 271. Halleck X, 21.

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