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retrouve dans notre droit des gens moderne. L'autre élément du droit antique, celui d'un droit privé commun à tous les hommes, du moins d'une nationalité reconnue, ne fait partie de la loi internationale qu'autant qu'elle a placé certains droits individuels et certains rapports privés sous la sauvegarde et la garantie des nations.

Existe-t-il un pareil droit public reconnu et valable partout? Certainement non. Ce n'est que dans certaines contrées du globe qu'il s'est développé: c'est surtout dans notre Europe chrétienne et dans les États fondés par elle qu'il a obtenu l'assentiment universel, en sorte qu'avec pleine raison on lui a décerné le nom de droit européen. Dans ce droit les divers États, c'est-à-dire les souverains et leurs peuples, figurent comme personnes ou êtres moraux.

1

Fondement et sanction du droit international.2

§ 2. Le droit en général se manifeste dans la liberté extérieure de la personne. L'homme individu pose son droit luimême lorsque par sa volonté il crée le fait et qu'il la modifie selon les inspirations de sa conviction intime ou selon ses intérêts du dehors. Mais dans les rapports sociaux des individus, le droit s'établit par leur volonté collective ou par celle de l'autorité à laquelle ils obéissent: le droit alors c'est l'ordre social. Aucune association permanente n'existe sans droits et obligations réci

1 Les peuples sauvages, les Musulmans etc. n'observent pas la même loi internationale, ainsi que l'ont judicieusement observé Leibnitz, Codex juris gentium, prooemium; Montesquieu, Esprit des lois I. chap. 3; Ward, Inquirity into the law of Nations I, 156; K. Th. Pütter, Beiträge zur Völkerrechts-Geschichte. Leipz. 1843. p. 50 suiv. Sur le droit international des Chinois, des Indous et des Perses on peut consulter H. Ph. E. Haelschner, de jure gentium apud gentes Orientis. Halae 1842; sur celui des peuples sauvages et demi-sauvages: Fallati, Tübinger Zeitschr. für Rechtswissenschaft 1850; sur celui de la Porte v. au § 7 ci-après.

2 Nous indiquerons au § 9 ci-après les diverses théories et la littérature du droit international. M. Wheaton, dans ses Éléments du droit international, Leipzig 1848. t. I, p. 18, ne nous a compris que d'une manière imparfaite.

proques de ceux qui la composent. A défaut d'un pouvoir supérieur ils maintiendront eux-mêmes l'ordre établi au milieu d'eux. Car: UBI SOCIETAS IBI JUS EST.

Le droit international avec son caractère primordial résulte du même principe. Chaque État commence par poser lui-même la loi de ses rapports avec les autres États. Dès qu'il est sorti de l'isolement, il s'établit dans son commerce avec les autres une loi commune à laquelle aucun ne peut plus se soustraire, sans renoncer en même temps ou du moins sans porter atteinte à son existence individuelle et à ses rapports avec les autres. Cette loi se rétrécit ou s'élargit avec le degré de culture des nations. Reposant d'abord sur une nécessité ou sur des besoins purement matériels, elle emprunte dans ses développements à la morale son autorité et son utilité, et s'affranchit successivement de ses éléments impurs. Fondée en effet sur le consentement mutuel soit exprès soit tacite ou présumé du moins d'une certaine association d'États, elle tire sa force de cette conviction commune que chaque membre de l'association, dans les circonstances analogues, éprouvera le besoin d'agir de même et pas autrement pour des motifs soit matériels soit moraux. Sans doute la loi internationale ne s'est pas formée sous l'influence d'un pouvoir législatif, car les États indépendants ne relèvent d'aucune autorité commune sur la terre.1 Elle est la loi la plus libre qui existe: elle est privée même, pour faire exécuter ses arrêts, d'un pouvoir judiciaire organique et indépendant. Mais c'est l'opinion publique qui lui sert d'organe et de régulateur: c'est l'histoire qui, par ses jugements, confirme le juste en dernière instance et en poursuit les infractions comme Némésis. Elle reçoit sa sanction dans cet ordre suprême qui, tout en créant l'État, n'y a pourtant proscrit ni parqué la liberté humaine, mais a ouvert la terre tout entière au genre humain.

1 Les jurisconsultes anglais notamment, p. ex. Rutherforth, Institutes of national law II, 5. ont par suite nié le caractère positif du droit international. Ils ont perdu de vue que le droit civil s'est pareillement développé dans les États, du moins en grande partie, en dehors de l'intervention de l'autorité suprême: il constitue ce Jus non scriptum, quod consensus fecit. C'est ce que M. Austin (Province of jurisprud. determ. London 1832) a déjà entrevu.

Assurer au développement général de l'humanité dans le commerce réciproque des peuples et des États une base certaine, telle est la mission qu'elle est appelée à remplir: elle réunit à cet effet les États en un vaste faisceau dont aucun ne peut se détacher.1

Caractère des lois internationales.

§ 3. Un grand nombre d'auteurs enseignent que l'accord formel des États souverains, résultant tant des traités conclus entre eux que des modes de conduite réciproque ou bien encore de l'analogie des principes par eux adoptés, est la source constitutive unique des règles du droit international. D'autres auteurs les appuient surtout sur les usages des nations: d'autres encore supposent une loi naturelle supérieure qui oblige tous les États et dont ils découvrent les éléments par une espèce d'intuition philosophique. La vérité, ainsi que nous l'avons déjà observé, est que les États n'admettent entre eux d'autres lois obligatoires que celles résultant d'un consentement réciproque, lequel toutefois, pour être valable, n'a besoin ni de la sanction formelle des traités ni de l'homologation de la coutume. Les traités comme la coutume constituent uniquement des espèces particulières du droit international.2 Nous devons en effet admettre les distinctions suivantes, savoir:

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I. Un droit réciproque des États, de ceux notamment placés au même niveau de culture, qui dérive d'une nécessité intérieure et qui par suite n'a besoin d'aucune sanction formelle. Car il existe certains principes qu'aucun État qui d'une manière régulière et permanente veut participer au commerce international ne saurait renier et dont il suppose

1 L'Espagnol François Suarez (décédé en 1617) dans son ouvrage ,De legibus et Deo legislatore" professait déjà ces idées élevées. Elles sont approfondies par F. A. Trendelenburg, Naturrecht auf dem Grunde der Ethik. Berlin 1860. 2o éd. et par H. Ahrens, Cours de droit naturel. 6e éd. Wien 1868. V. aussi v. Ompteda, Literatur des Völkerrechts, I, 187. R. von Mohl, Staatsr. Völkerr. Polit. Tübing. 1860. I, p. 578.

2 Il est permis d'appliquer au droit international ce que Modestin disait dans la loi 40. D. de legib.,,Omne jus aut necessitas fecit aut consensus constituit aut firmavit consuetudo."

la reconnaissance chez les autres: il éviterait autrement ou romprait ses relations avec eux. Tel est le droit de respect réciproque de la personnalité, fondé sur le besoin de vivre ensemble en paix. Telle est la loi des traités politiques et des ambassades, qui repose sur le besoin d'un commerce international régulier. Telle est encore la loi qui ordonne que les guerres soient faites avec humanité: elle est le résultat de la négation d'un état de guerre permanent. Vouloir méconnaître l'existence de ce droit non écrit et nécessaire, ce serait rabaisser au dernier niveau la morale des États chrétiens.

II. A côté de ce droit intellectuel, on rencontre en outre dans les associations d'États un droit fondé sur certains actes volontaires, établi et constaté:

1° par la reconnaissance universelle expresse ou tacite d'un
principe général dans une espèce déterminée sans y
être limité dans l'application;

2o par le contenu et l'esprit des traités publics;
3° par l'application et l'observation uniformes partout du
même principe dans des cas analogues, laquelle repose
d'une part sur l'opinion d'un engagement envers les
autres, d'autre part sur celle du droit d'en exiger
l'exécution; c'est-à-dire par les usages, les observances
des États dont la preuve résulte surtout de l'existence
des mêmes intérêts réciproques et de la réciprocité
de traitement. De ces usages internationaux il faut
distinguer ceux qui sont purement unilatéraux, adoptés
par un État particulier à l'égard des États et des
sujets étrangers, conformes à sa constitution particu-
lière ou bien commandés seulement par de simples
égards de politesse et d'humanité. Cette comitas gen-
tium et les considérations purement personnelles qui
forment par exemple la Courtoisie des États, ne
créent aucun droit aux profits des autres, à moins
qu'elles n'aient reçu une sanction obligatoire.1

1 La valeur de ce qu'on nomme comitas gentium a été souvent exagérée. Elle peut influer sur le droit municipal, mais elle ne constitue pas

A côté de ce droit commun ainsi établi des associations d'États, il peut exister encore des droits spéciaux pour les rapports internationaux de certains États, dont nous expliquerons les modes d'origine ci-après au § 11.

Parties du droit international: ses rapports avec la politique.

§ 4. Aucune société ne peut compter sur une paix éternelle. Les nations comme les individus pèchent elles-mêmes et entre elles. La guerre est une voie d'expiation et de relèvement. Supposer un âge d'or sans la guerre et sans ses nécessités, c'est supposer un état des nations exempt de péchés. Il est certain que la guerre en provoquant un certain mouvement moral raffermit des forces qui pendant la paix dorment ou s'émoussent sans profit. En offrant une protection contre l'injustice et contre les violations de la volonté libre et rationnelle des nations, elle conduit elle-même au rétablissement de la paix troublée. Loin de vouloir l'ignorer, le droit international doit donc au contraire lui tracer ses lois. Par suite ce dernier comprend essentiellement deux sections distinctes, à savoir:

I. Le droit de paix qui expose les rapports fondamentaux des États entre eux, à l'égard des personnes, des choses et des obligations.

II. Le droit de guerre, analogue au droit des actions du droit civil, qui trace les règles de la justice internationale.

tout d'abord une loi internationale. Comp. John C. Hurd, Topics of Jurispr. New-York 1856. § 78 suiv.

1 ,, Nullum omnino corpus sive sit illud naturale sive politicum, absque exercitatione sanitatem suam tueri queat. Regno autem aut reipublicae iustum atque honorificum bellum loco salubris exercitationis est. Bellum civile profecto instar caloris febrilis est, at bellum externum instar caloris ex motu, qui valetudini imprimis conducit. Ex pace enim deside et emolliuntur animi et corrumpuntur mores." Baco, Serm. fidel. t. X. p. 86. Comparez Polyb. IV, 31.

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2 Jus belli." Isidore, Orig. et après lui can. 9. 10 Dist. 1. l'appelle ,,jus militare."

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