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effectivement. Par une espèce de fiction légale on considère généralement ces personnes comme n'ayant pas quitté le territoire de leur nation. C'est peut-être aller trop loin et donner à ce droit un caractère trop absolu. Il en résulterait, par exemple, cette conséquence singulière que tous les actes passés par une personne exemptée dans le territoire étranger, seraient régis exclusivement par les lois de son domicile d'origine, que la règle: „Locus regit actum" ne pourrait être invoquée contre elle, ce qui certainement ne serait pas admissible.1 Le privilége de l'exterritorialité en effet repose sur la considération unique que, dans un intérêt exclusivement international, la juridiction d'un État cesse d'être applicable aux rapports civils de certaines personnes, et que son exercice est suspendu à leur égard. Les personnes qui jouissent de ce privilége sont les souverains, leurs agents diplomatiques et leurs forces militaires, lors de leur admission dans le territoire étranger. Nous aurons à examiner par la suite dans quelle étendue elles sont appelées à en jouir. Nous nous bornerons dans ce paragraphe à retracer les principes généraux et non contestés de l'exterritorialité.

I. Les personnes exemptes conservent en général leur domicile d'origine, et par suite tous leurs rapports civils continuent à être régis par les lois du domicile. C'est ce qui toutefois ne leur enlève pas la faculté d'élire un domicile sur le territoire de leur résidence réelle. De même elles peuvent conserver le domicile qu'elles y avaient précédemment. Ainsi, par exemple, un agent diplomatique accrédité auprès du souverain dont il était le sujet avant sa nomination, peut ne pas renoncer à ces rapports. Rien ne s'oppose non plus à ce qu'une personne exempte ne se soumette librement à la juridiction étrangère: rien, par exemple, n'empêche qu'un souverain ne puisse avoir un domicile en territoire étranger. Cette élection de domicile entraîne la soumission de la personne exempte, dans tous les rapports civils en dehors de son caractère public, à la juridiction des tribunaux étrangers.3

1 V. sur l'origine de cette fiction Evertsen p. 158.

2 V. Bynkershoek c. XI, § 5 suiv.; c. XVIII, p. 6 in fine.

3 C'est ce que le traité de Westphalie (V, § 28) a sanctionné notamment a l'égard des anciens chevaliers de l'Empire dans ces termes: nisi forte

II. L'exterritorialité a pour effet direct l'exemption des personnes et des objets privilégiés de toute espèce de juridiction territoriale. Aucun acte de police, aucun acte du pouvoir judiciaire ne peuvent les atteindre. Mais les autres droits souverains de l'État subsistent dans toute leur force, tels que ceux de sûreté et de défense intérieures, le droit de faire respecter ses lois par une intervention positive du gouverne

ment etc.

III. Lorsqu'il s'agit, pour la personne exempte, de l'acquisition de certains droits qui ne sont accordés qu'aux regnicoles, ceux, par exemple, de diriger une imprimerie ou d'exercer le commerce, elle doit se conformer aux lois du territoire.

IV. La personne exempte n'est pas affranchie non plus des charges qui grèvent l'usage de certaines choses faisant partie du domaine public, par exemple des droits de péage des routes de terre ou d'eau, à moins que le gouvernement étranger ne consente à les en exonérer par courtoisie, ainsi que cela se pratique quelquefois.

V. Il faut en dire autant quant à l'exercice de droits civils en pays étranger. Ainsi, pour l'acquisition d'immeubles y situés, la personne exempte doit se conformer aux dispositions des lois locales.1

VI. L'immunité de la personne exempte se communique aux personnes de sa suite. Elle s'étend en même temps aux effets et aux biens meubles qui lui appartiennent. Néanmoins les personnes comme les biens qui précédemment étaient soumis à la juridiction d'une puissance étrangère, ne peuvent, sans son consentement exprès, être soustraits à sa juridiction; ils ne le pourront pas non plus contrairement aux dispositions formelles des traités internationaux.2

VII. La personne exempte est soumise à la juridiction territoriale du pays où elle réside, dans toutes les affaires privées

in quibusdam locis ratione bonorum et respectu territorii vel domicilii aliis statibus reperiantur subjecti."

1 C'est un principe généralement adopté. V. Bynkershoek chap. XVI. Merlin, Répertoire, m. ministre public. S. 5. § 4. art. 6 et 8. Wheaton I, 2, 3. § 16. En Prusse par le Code de proc. civile: Allg. G.-O. I, 2, 66.

2 Wicquefort, l'Ambassadeur. I, 28. p. 422. Bynkershoek chap. XV. § 6.

pour lesquelles, lors même qu'elle n'y résiderait pas, elle serait tenue de répondre en justice. Car dans les affaires de cette sorte la juridiction territoriale ne saurait être moins compétente dans le cas où la personne exempte réside dans le pays même, que dans le cas contraire.1 La jurisprudence internationale toutefois admet à ce sujet certaines limites, à la vérité non obligatoires; elle ne reconnaît en général la compétence des tribunaux locaux qu'en matière réelle, ou lorsqu'il s'agit de demandes reconventionnelles ou accessoires de la demande principale formée contre la personne exempte, enfin dans le cas d'une continuation d'instances commencées auparavant. Des mesures conservatoires où il ne faut pas le concours de la justice seront également autorisées. Pour les judiciaires, il y a lieu d'en douter; 3 du reste la soumission volontaire à la juridiction du territoire n'est pas exclue, si ce n'est de la part d'un ministre étranger, sans le consentement de son souverain.* Enfin dans le cas où la personne exempte aurait conservé d'une manière non équivoque son précédent domicile dans le territoire, conformément à ce que nous avons dit au n° I du présent paragraphe, elle ne pourra décliner la compétence des tribunaux du pays.

Il est inutile d'ajouter qu'en aucun cas les personnes exemptes ne peuvent être l'objet d'une contrainte ou d'une mesure d'exécution quelconque, et qu'il faut observer envers

Ainsi en principe rien ne s'oppose à ce qu'on n'applique le principe du forum contractus. Un mémoire de la Cour de Versailles de 1772 observe à ce sujet avec beaucoup de raison ce qui suit:,,L'immunité du ministre public consiste essentiellement à le faire considérer comme s'il continuait à résider dans les États de son maître. Rien donc n'empêche d'employer vis-à-vis de lui les moyens de droit dont on userait s'il se trouvait dans son domicile ordinaire." Flassan, Histoire de la diplom. franç. VII, 22.

2 Bynkershoek chap. XIV. § 13. chap. XVI. § 2. Merlin, Répert. Ministre public. V, 4. 10.

3 Bynkershoek chap. IV. § 5. 6. chap. XVI. § 6 admet des saisies arrêts. V. cependant Foelix II, 2, 2, 4. Un arrêt de la Cour imp. de Paris, du 5 avril 1813 (Sirey 1814. 2. 306) a jugé qu'aucune saisie ne peut avoir lieu dans le pays de la résidence du Ministre étranger pour des dettes contractées avant ou pendant le cours de sa mission.

4 Bynkershoek chap. XXIII. Ch. de Martens, Causes célèbres. I, 229.

elles les égards qui sont dus à leur position. Ainsi, par exemple, des sommations ou des citations ne peuvent leur être signifiées que par voie diplomatique.1

VIII. L'exterritorialité cesse avec les causes qui l'ont motivée. On ne reconnaît plus le droit d'asile dans l'hôtel d'un ministre étranger, ni la franchise du quartier.2

4. Servitudes internationales. 3

§ 43. Les rapports naturels des États qui sont appelés à se développer les uns à côté des autres, portent avec eux la nécessité de certaines restrictions des droits souverains, restrictions auxquelles aucun d'entre eux ne peut se soustraire sans léser l'ordre des choses établi et les règles de bon voisinage. On leur a donné le nom de servitudes publiques naturelles (servitutes juris gentium necessariae). Au nombre de ces servitudes naturelles on comprend, par exemple, l'obligation de recevoir les eaux qui découlent naturellement d'un territoire limitrophe,5 la défense de construire sur une rivière des ouvrages tendant à en détourner le cours, à le rejeter sur la rive opposée, et en général de nature à causer quelque préjudice à un État voisin (§ 33 ci-dessus). Les dispositions

1 V. A. G. O. für die preufsischen Staaten. I, 2, § 66. Bynkershoek chap. XVI. § 19 n'est pas tout-à-fait du méme avis.

2 V. ci-après au livre III et au § 63 in fine.

3 V. les ouvrages indiqués par Ompteda, Lit. § 214 et de Kamptz § 101, surtout ceux de Ph. J. Elwert, De servitutib. s. jurib. in alieno territorio. Argent. 1674, de C. J. C. Engelbrecht, De servitutibus jur. publ. Helmst. 1715. 1749. Nic. Thadd. Gönner, Entwicklung des Begriffs und der Grundsätze der deutschen Staatsrechtsdienstbarkeiten. Erlangen 1800. Ces auteurs traitent surtout des rapports anciennement établis entre les États de l'Empire germanique, appelés,, servitutes juris publici germanici" par opposition aux servit. juris gentium." de Steck, dans ses Éclaircissements, traite la matière d'une manière plus générale.

4 V. Hert, Opusc. II. III. p. 103 suiv. Cet auteur, ainsi que Engelbrecht, comprend au nombre des servitudes naturelles les cas de force majeure et de légitime défense; c'est aller trop loin. Klüber § 139. not. a. au contraire, et d'autres nient l'existence des servitudes naturelles.

5 ,,Semper haec est servitus inferiorum praediorum, ut natura profluentem aquam recipiant" (Loi I. § 22. Dig. de aqua). V. sur les développements de ce principe Hert p. 135 suiv.

du droit romain s'appliquent sans difficulté à ces sortes de servitudes.

A côté des servitudes naturelles, on rencontre des servitudes positives consenties librement par les États (servitutes juris gentium voluntariae). Elles ont pour objet l'établissement d'un droit restrictif du libre exercice de la souveraineté territoriale au profit d'un État ou d'un particulier étrangers. Autrefois elles étaient d'une application plus fréquente, surtout en Allemagne, qu'elles ne le sont aujourd'hui.1

Pour la validité de ces servitudes il faut d'une part: un État souverain, quelquefois aussi, ce qui est plus rare, un particulier étranger appelé à en jouir, et d'autre part un État indépendant, obligé de les souffrir. Elles peuvent aussi être réciproques lorsque, par exemple, elles ont pour objet la perception d'un certain impôt de part et d'autres. Le droit régalien des postes, garanti par le recès de l'Empire germanique de 1803 (§ 13) et par l'acte de la Confédération germanique (art. 17), à la maison de Thurn et Taxis dans toute l'étendue du territoire fédéral, où elle en a joui lors dudit recès jusqu'en 1866 et sauf quelques traités spéciaux qui y dérogeaient, était une servitude internationale. Un droit régalien au contraire accordé par un État à un regnicole ou, en dehors d'un traité public, à un étranger, ne constituerait pas une pareille servitude. Ce seraient plutôt des concessions régies par les principes du droit public interne.*

3

Les servitudes dont il s'agit, ont pour objet exclusif des droits souverains ou régaliens, et généralement le domaine public, non le domaine privé de l'État, ni la propriété privée de ses regnicoles, bien que celle-ci puisse se trouver indirectement atteinte par une servitude semblable.4

Les effets des servitudes publiques consistent tantôt à faire jouir un État étranger de certains droits souverains dans un autre territoire, tantôt à lui interdire sur son propre territoire

1 V. Moser, Nachbarliches Staatsrecht. p. 239. Engelbrecht II, 2. Römer, Völkerrecht der Deutschen. p. 230.

2 V. Engelbrecht II, 1. 12.

3 Regalia majora et minora.

4 Gönner, loc. cit. § 27-36. Klüber § 138.

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