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homme violent et rempli de vanité. Cinq jours après son ordination, il entreprit de faire abattre l'église où les ariens s'assemblaient en secret. De désespoir, ils y mirent eux-mêmes le feu, qui, s'étant communiqué aux maisons voisines, les réduisit en cendres. Cet embrasement fit donner à Nestorius le nom d'incendiaire, nonseulement par les hérétiques, mais par les catholiques mêmes. On attribue à ses sollicitations la loi que Théodose publia le trente mai de la même année 428, par laquelle il fut défendu aux hérétiques d'ordonner aucun clerc, sous peine d'une amende de dix livres d'or, ni d'empêcher qui que ce fût d'embrasser la foi orthodoxe. Cette loi renouvelait aussi toutes les anciennes lois faites contre les héré tiques, particulièrement contre les manichéens, qui étaient regardés comme les plus détestables de tous. Il persécuta vivement les quartodécimains, c'est-à-dire ceux qui faisaient toujours la Pâque le quatorze de la lune, comme les Juifs. Les maux qu'il leur fit souffrir occasionnèrent des séditions du côté de Milet et de Sardes, où plusieurs personnes furent tuées. En cela, dit l'historien Socrate, il agissait contre l'usage de l'Eglise 1. A son exemple, Antoine, évêque de Germe dans l'Hellespont, l'un des suffragants de Nestorius, fit souffrir de cruelles persécutions aux Macédoniens, sous prétexte qu'il se conformait en cela aux intentions et aux ordres de son patriarche. Mais ces hérétiques, las des mauvais traitements d'Antoine, le firent assassiner. Nestorius en prit occasion de les persécuter encore avec plus de violence; il obtint de l'empereur qu'ils seraient dépouillés de leurs églises, tant de celles qu'ils avaient à Constantinople qu'à Cyzique et en divers lieux de l'Helléspont.

Il eut, au contraire, trop d'égard pour les pélagiens, dont on prétend qu'il suivait la doctrine, du moins en ce qui regarde les forces du libre arbitre; car, pour le péché originel, il l'admettait, reconnaissant que les peines que souffrent les hommes et les femmes dans les misères de cette vie, sont un effet de la sentence que Dieu prononça contre Adam et Eve par suite de leur péché. Julien, banni d'Italie avec dix-sept évêques de son parti par un décret de l'empereur Honorius, vint à Constantinople avec quelques-uns de ces évêques, vers l'an 429. Célestius s'y trouva en même temps, et, tous ensemble, ils adressèrent leurs plaintes à Théodose et à Nestorius, sur les injustes persécutions qu'on leur faisait souffrir pour la défense de la foi de l'Eglise. Ils demandèrent un concile, où leur affaire fût examinée de nouveau. Nestorius, qui ne pouvait

1 Soc., 1. 7, c. 31.

fei

ignorer que leur demande avait déjà été rejetée plusieurs fois, gnit d'ignorer même de quoi il était question. Il écrivit au pape saint Célestin, comme pour recevoir de lui quelque instruction sur ces personnes et sur ce qui avait fait le sujet de leur condamnation. Mais, sans en attendre la réponse, il les reçut à la célébration des mystères et à la communion, leur faisant espérer qu'ils seraient bientôt rétablis. Il en arriva tout autrement; car un simple fidèle, nommé Marius Mercator, ayant fait connaître à l'empereur Théodose les erreurs de Célestius et de Pélage, la manière dont ils avaient été condamnés par les évêques d'Afrique et par les papes Innocent et Zosime, et comment Julien et ses associés avaient été déposés et bannis de l'Italie, ce prince fit chasser de Constantinople Célestius, Julien et les autres évêques de sa faction. Célestius s'en plaignit à Nestorius, qui, sur la fin de l'année 430, lui écrivit pour l'en consoler. Dans cette lettre, il lui donnait le salut avec la qualité de frère et de très-religieux prêtre, ne rougissant pas de comparer les justes peines que l'on faisait souffrir à cet impie aux souffrances de saint Jean-Baptiste, de saint Pierre et de saint Paul, de dire qu'il soutenait la vérité et de lui demander le secours de ses prières. Il porta même Célestius à se rendre dénonciateur contre le prêtre Philippe, qui, ayant été cité, comparut pour se défendre. Mais Célestius, destitué de preuves, aima mieux se tenir caché que de se présenter devant l'assemblée que Nestorius avait convoquée pour le jugement de ce prêtre.

La vraie cause de cette accusation n'était pas difficile à deviner. Le prêtre Philippe était un de ceux qui avaient hautement repris Nestorius lui-même de ses erreurs, et qui ne voulaient plus avoir de communion avec lui. Ces erreurs étaient des plus graves et attaquaient le fond même du christianisme. Nestorius divisait JésusChrist en deux personnes : l'une, la personne de l'homme JésusChrist; l'autre, la personne de Dieu le Verbe. D'où il suivait que Jésus-Christ n'était pas Dieu, mais un homme uni à Dieu d'une manière plus intime que d'autres; que le Fils de Dieu, le Verbe, ne s'était pas fait homme, mais seulement qu'il s'était uni un homme d'une manière plus intime qu'il ne s'en était uni d'autres; que la sainte Vierge n'était point la mère de Dieu, mais seulement la mère de l'homme, nommé le Christ, et auquel Dieu le Verbe s'était uni. Ce qui, avec la maternité divine de la sainte Vierge, détruisait le mystère de l'Incarnation et la divinité de Jésus-Christ. Nestorius voyant qu'il ne pouvait établir cette doctrine qu'en ruinant celle qui était reçue universellement dans l'Eglise, il ne la produisit d'abord que sous des termes obscurs, ambigus et équivoques, tom

bant quelquefois en contradiction avec lui-même. Il avouait encore que la doctrine qu'il voulait qu'on suivit n'était point celle dont le peuple de Constantinople avait été instruit jusqu'alors. Son hérésie éclata enfin, et commença à exciter du trouble dans l'église de Constantinople, par la manière insolente dont le prêtre Anastase, qu'il avait amené d'Antioche, la débita. Prêchant un jour dans l'église, il avança ces paroles : Que personne n'appelle Marie, mère de Dieu; elle était une femme, et il est impossible que Dieu naisse d'une femme. Le peuple de cette ville, accoutuné à adorer JésusChrist comme Dieu, ne put les écouter sans grand trouble. Beaucoup de laïques et d'ecclésiastiques en témoignèrent leur indignation, et accusèrent Anastase de blasphême. Eusèbe, alors avocat et depuis évêque de Dorylée, fut celui qui s'éleva le premier contre cette impiété. L'émotion du peuple et du clergé ne fit point changer de sentiment à Nestorius, et, dans plusieurs discours qu'il fit luimême ensuite, il soutint ce qu'Anastase avait avancé, et combattit toujours le terme de mère de Dieu, y ajoutant encore de plus grands blasphêmes. Dans le discours qu'il prononça, comme l'on croit, le jour de Noël, l'an 428, il dit que d'appeler la Vierge, mère de Dieu, Théotocos, ce serait justifier la folie des païens, qui donnaient des mères à leurs dieux. Ces excès ayant paru incroyables à l'abbé Basile, à Thalasse, lecteur, et à plusieurs autres moines de Constantinople, qui n'en avaient pas été témoins, ils vinrent lui demander à lui-même ce qui en était. Il les fit arrêter et mettre dans les prisons de l'évêché, où ils furent traités avec autant de cruauté que d'ignominie. Cependant, après plusieurs jours de mauvais traitements, il leur protesta qu'il croyait que le Fils du Père éternel était né de la sainte Vierge, mère de Dieu, et les renvoya. La suite fit voir le peu de sincérité de cet aveu.

Saint Proclus, quoique nommé à l'évêché de Cyzique, continuait à instruire le peuple de Constantinople, parce que ceux de Cyzique n'avaient pas voulu le recevoir. Nestorius l'ayant invité à prêcher en un jour de fête de la sainte Vierge, dans la grande église de Constantinople, il en prit occasion d'établir la doctrine catholique sur l'incarnation, en présence même de Nestorius. Dès l'entrée de son discours, que nous avons encore, il donne à la sainte Vierge le titre de mère de Dieu, puis il fait voir qu'elle mérite ce titre, et que son Fils est véritablement Dieu et homme, sans aucune confusion des deux natures, et sans que Dieu ait souffert aucun changement ni altération en se faisant homme. Il apporte pour cause de l'incarnation, la condamnation et la mort éternelle où tous les hommes étaient tombés par la prévarication d'Adam; aucun

ne pouvant les en délivrer, puisqu'ils étaient tous coupables; aucun ange ne le pouvant non plus, parce qu'ils n'auraient pu trouver de victime propre, il avait été nécessaire que Dieu même se livrât à la mort pour nous racheter. Mais, ajoute-t-il, Dieu demeurant seulement Dieu, ne pouvait mourir. Il fallait donc qu'il se fit homme pour sauver les hommes, et qu'il devint tout à la fois et notre victime pour nous racheter de la mort, et notre pontife pour s'offrir à son père en notre faveur. Dire que Jésus-Christ est un pur homme, c'est être Juif; dire qu'il est seulement Dieu et qu'il n'a point la nature humaine, c'est être manichéen; enseigner que le Christ et le Verbe divin sont deux, c'est mériter d'être séparé de Dieu, et établir une quaternité au lieu de la Trinité que nous adorons1. Le peuple applaudit à ce discours, qui d'ailleurs est très-élégant. Nestorius en fut d'autant plus choqué, et, prenant aussitôt la parole (car c'était l'usage que quand un prêtre ou un autre évêque avait parlé dans l'église en présence de l'évêque, il ajoutât aussitôt quelque instruction), il s'efforça de montrer qu'on ne doit pas dire que Dieu ou le Verbe soit né de la Vierge, ni qu'il soit mort, mais seulement qu'il était uni à celui qui est né et qui est mort. Il s'opposa aussi à ce que saint Proclus avait dit que Dieu s'était fait notre pontife. Il y en eut beaucoup d'autres qui s'élevèrent contre cette nouvelle doctrine, et comme Nestorius disait un jour en pleine chaire, que le Verbe n'était pas né de Marie, mais qu'il habitait et était inséparablement uni avec le Fils de Marie, Eusèbe de Dorylée, qui n'était encore que laïque, l'interrompit et dit à haute voix : Que le Verbe né du Père avant tous les siècles, était né une seconde fois de la Vierge selon la chair. Son zèle fut loué du plus grand nombre des assistants, qui étaient les mieux instruits; mais Nestorius le chargea d'injures. Quelque opiniâtre qu'il parût dans son erreur, on avait toujours eu l'espérance à Constantinople qu'il pourrait y renoncer; mais elle cessa, lorsqu'en sa présence Dorothée, évêque de Marcianople, qui avait épousé tous ses sentiments, dit devant le peuple assemblé dans l'Eglise : Si quelqu'un dit que Marie est mère de Dieu, qu'il soit anathème. A cette parole, tout le peuple jeta un cri et s'enfuit de l'église. Mais Nestorius demeura dans le silence et admit Dorothée à sa communion; ce qui ne laissa aucun lieu de douter qu'il n'eût prononcé cet anathème par ses ordres, Depuis ce temps-là le peuple ne vint plus à l'église; beaucoup de sénateurs s'en absentèrent; divers prêtres se séparèrent ouvertement de la communion de leur évêque, et il fut abandonné

1 Labbe, t. 2, col. 9.

des plus saints abbés et de leurs moines. Saint Dalmace surtout signala son zèle dans cette occasion1.

Nestorius, pour se venger de ses adversaires, assembla contre eux un concile, où il déposa plusieurs ecclésiastiques comme sectateurs des impiétés des manichéens, en excommunia d'autres, ainsi que divers laïques. L'abbé Basile et ses moines, maltraités comme les autres, s'en plaignirent à l'empereur par une requête où, après avoir protesté qu'ils croyaient, sur le mystère de l'incarnation, tout ce que l'Ecriture sainte, les apôtres, les martyrs, les conciles et les saints Pères nous en apprennent, ils lui représentent les violences que Nestorius exerçait continuellement contre les catholiques, appuyé, comme il le disait, de l'autorité de ce prince. Ils priaient Théodose de remédier aux maux de l'Eglise, d'assembler à cet effet un concile général, et, en attendant, d'obliger Nestorius de renvoyer à Antioche les ecclésiastiques qu'il en avait amenés, qui suivaient tous ses dogmes ou ses façons de parler. On afficha contre lui, dans un lieu public de Constantinople, un placard où l'on montrait, par ses propres paroles, qu'il pensait de même que Paul de Samosate sur le mystère de l'incarnation. Ce placard finissait par un anathème contre ceux qui distinguaient le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge. Outre l'hérésie, on blâmait encore dans Nestorius son faste, son orgueil et la hauteur avec laquelle il trai– tait tout le monde.

Ses homélies ayant été portées en Egypte, elles y excitèrent un grand trouble parmi les solitaires : ce qui engagea saint Cyrille à leur écrire pour en réfuter les erreurs. Après les avoir félicités sur la régularité de leur vie et la pureté de leur foi, il témoigne cependant n'être pas peu inquiet. Car j'apprends, dit-il, qu'il y a des gens qui s'insinuent parmi vous avec une foule de vaines paroles, demandant si l'on doit appeler ou non la sainte Vierge mère de Dieu. Il vaudrait mieux vous abstenir tout-à-fait de ces questions et ne pas creuser des mystères où les plus habiles voient à peine comme dans un miroir et en énigme; car des spéculations trop subtiles surpassent la portée des simples. Mais puisqu'enfin vous avez entendu de ces discours, j'ai cru à propos de vous en dire quelque chose, non pas pour vous exciter à des disputes de mots, mais afin que, si l'on vous attaque encore, vous opposiez la vérité à leurs vains discours, et que vous préserviez ainsi de l'erreur et vous et les autres. J'admire qu'il puisse y avoir quelques-uns qui doutent si la sainte Vierge doit être appelée mère de Dieu. Si notre

1 Ceillier, t. 45.

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