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en 506, étaient encore soumis aux Visigoths. Après saint Remi, qui d'ailleurs n'assista point à ce concile, le plus célèbre de tous est saint Mélaine, évêque de Rennes. Il était né dans le territoire de Vannes, et il ne songeait qu'à pratiquer la pénitence dans les exercices de la vie monastique qu'il avait embrassée, lorsque les principaux citoyens de Rennes vinrent le conjurer d'être leur pasteur après la mort de saint Amand, qui l'avait désigné pour son successeur. Clovis ayant soumis l'Armorique à sa domination, appela Mélaine auprès de lui, et l'honora de sa confiance. C'était son conseil, particulièrement dans les affaires de la religion; et ce fut surtout par ses avis et par ceux de saint Remi que ce prince assembla le concile d'Orléans. Mélaine en fut l'âme par son érudi– tion à combattre les erreurs des hérétiques. C'est ce qu'on pouvait connaître, selon l'auteur de sa vie, par les actes de ce concile. Mais nous ne les avons plus. Il ne nous reste que les canons que les évêques envoyèrent au roi avec la lettre suivante :

A leur seigneur, le très-glorieux roi Clovis, fils de l'Eglise catholique, tous les évêques assemblés au concile par son ordre. Comme c'est l'ardeur de votre zèle pour le culte de la religion catholique et de la foi qui vous a porté à faire assembler ce concile où nous pussions traiter ensemble, comme il convient à des évêques, de plusieurs points nécessaires, nous vous envoyons les réponses que nous avons jugé à propos de faire aux articles que vous nous avez proposés. Si vous jugez ces règlements dignes de votre approbation, l'accord d'un si grand roi avec tant d'évêques en assurera l'observation avec une plus grande autorité 1.

L'évêque d'Orléans se nommait Eusèbe. Il dédia, peut-être vers ce temps, l'église du monastère que Clovis fonda dans son diocèse en faveur de saint Euspice et de saint Maximin; voici à quelle occasion. Les habitants de Verdun s'étant révoltés, Clovis assiégea leur ville et était sur le point de la prendre, lorsqu'ils lui députèrent un saint prêtre nommé Euspice, à la place de saint Firmin, leur évêque, qui venait de mourir. Euspice était également recommandable par son grand âge et par ses vertus. Il se prosterna devant Clovis, qui lui ordonna respectueusement de se lever et d'exposer la cause de sa venue. Euspice le supplia de pardonner aux habitants en vue de Dieu, et pour remporter sur lui-même une victoire plus glorieuse que toute autre. L'aspect et les paroles du saint vieillard désarment Clovis ; il accorde une amnistie générale. Aussitôt, au commandement d'Euspice, qui tenait le roi par la main, les portes

1 Labbe, t. 4, 1404.

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s'ouvrent, le clergé s'avance en procession pour recevoir le monarque, qui entre dans la ville aux acclamations du peuple.

Clovis, charmé de la sagesse et de la vertu d'Euspice, voulut le faire ordonner évêque de Verdun ; mais le saint homme s'en excusa sur son grand âge, et fit tomber le choix du prince sur saint Viton ou saint Vannes, un de ses neveux. Il en avait encore deux autres, savoir: Loup, qui fut depuis évêque de Troyes, second du nom, et Maximin, qui était sa consolation et le bâton de sa vieillesse. Le roi souhaita qu'Euspice et Maximin le suivissent jusqu'à Orléans, où il leur donna la terre de Mici pour y bâtir un monastère. En voici l'acte. Clovis, roi des Francs, homme illustre. Nous vous donnons, vénérable vieillard Euspice, à vous et à Maximin, votre neveu, la terre de Mici et tout ce qui appartient à notre fisc entre les deux rivières, avec la chênaie, la saussaie et les deux moulins, le tout exempt de charge et de péage, tant au-dessous qu'au-dessus de la Loire et du Loiret, afin que vous et ceux qui vous succéderont imploriez la divine miséricorde pour notre conservation, pour celle de notre chère épouse et de nos enfants. Et vous, saint évêque Eusèbe (c'était l'évêque d'Orléans), ayez soin de la vieillesse d'Euspice, protégez Maximin. Défendez-les, eux et leurs biens, de toute injure dans l'étendue de votre diocèse; car on ne doit faire aucun tort à des personnes que le roi honore de son affection. Vous tous, évêques de la religion catholique, agissez de la même manière à leur égard. Vous donc, Euspice, et vous, Maximin, cessez de vous regarder comme étrangers parmi les Francs. Habitez comme votre patrie les terres que nous vous donnons au nom de la sainte, indivisible, égale et consubstantielle Trinité. Qu'il soit fait ainsi que moi, Clovis, l'ai voulu. Moi, Eusèbe, l'ai confirmé 1.

Voici donc quel était, d'après ce que nous avons vu, le gouvernement du premier roi chrétien des Francs. Les évêques, pasteurs et pères de leurs peuples, et alors leur unique refuge, lui conseillent de gouverner de manière à s'en faire aimer, protégeant les faibles, soulageant les pauvres, rachetant les captifs, accueillant bien les étrangers. Clovis écoute des conseils aussi sages, qui deviennent ainsi les premiers fondements du royaume de France. Sa bonne intelligence avec les évêques en rend l'exécution facile et durable. L'effet en fut prodigieux. Toutes les populations des Gaules gravitèrent dès-lors à devenir France, et obligèrent par contrecoup les Burgondes et les Visigoths à devenir eux-mêmes plus humains. C'est à cet ensemble du gouvernement de Clovis qu'on

'Spicileg., t. 5, p. 303.

peut, avec Grégoire de Tours, appliquer ces expressions empruntée à l'Ecriture sainte : Que Dieu lui abattait chaque jour ses ennemis sous la main, et agrandissait son royaume, parce qu'il marchait de vant lui avec un cœur droit et faisait ce qui était agréable à ses yeux.

Cependant il ne faut pas s'imaginer que, dans le roi des Francs, l'élément barbare fût absorbé dès-lors par l'élément chrétien. La barbarie lui fit encore commettre des actes étranges, non pas sur les peuples, mais sur des membres de sa famille qui régnaient ailleurs, ou dont il pensait avoir quelque chose à craindre. Nous avons vu Attila tuer Bléda, son frère, pour régner seul ; Genséric, tuer son frère, avec sa femme et ses enfants, pour régner seul; Húnéric, tuer ou exiler ses frères et ses neveux pour laisser le royaume à son fils seul; trois frères visigoths se succéder par le meurtre l'un de l'autre; le grand Théodoric lui-même, tuer de sa main Odoacre, après lui avoir assuré la vie; enfin Gondebaud, tuer ses trois frères pour régner seul sur les Burgondes. C'était ainsi une chose commune à tous les Barbares. D'ailleurs, nous l'avons vue aussi fréquente chez les rois grecs de Syrie et chez les rois grecs: d'Egypte. Au commencement de l'histoire romaine, nous voyons un frère tuer son frère. Et même au commencement de l'histoire humaine, nous voyons le premier frère tuer son frère dans les champs. Or, l'élément barbare fit commettre à Clovis plusieurs actes de cette nature.

Il engagea insidieusement le fils de Sigisbert, roi des FrancsRipuaires de Cologne, à tuer son père, et puis le fit tuer lui-même. Après quoi il assembla le peuple et dit : Pendant que je remontais l'Escaut, Clodéric a tué son père, et ensuite a été tué lui-même par je ne sais qui. Pour moi, je n'en suis nullement coupable; car je ne puis verser le sang de mes proches, attendu que c'est un crime. Mais puisque la chose est faite, je vous conseille de vous joindre à moi et de vous mettre sous ma protection. Les FrancsRipuaires y répondent par des acclamations, l'élèvent sur un bouclier et le proclament roi. Après s'être ainsi emparé des états et des trésors de Sigisbert, il s'empara de ceux de son parent Cararic, roi de Térouanne, en le faisant d'abord ordonner prêtre et son fils diacre, et puis, sur quelques paroles menaçantes de ce dernier, mettre à mort l'un et l'autre, sous prétexte que le père était resté neutre lors de son expédition contre Syagrius. Un autre de ses parents, Ragnacaire, roi de Cambrai, s'étant rendu méprisable par son inconduite, il séduit par des présents plusieurs de ses officiers, qui, dans une rencontre, le lui livrèrent les mains liées derrière le dos, avec son frère Richar. Clovis dit à Ragnacaire Pourquoi as-tu déshonoré notre race, en te laissant gar

rotter? il valait mieux mourir. En même temps, levant sa hache, il lui en fendit la tête. Puis se tournant vers Richar: Si tu avais soutenu ton frère, on ne l'aurait pas lié; et en disant cela, il l'abattit pareillement d'un coup de hache. Il en agit de même avec un autre de leurs frères, nommé Rignomer, qui régnait au Mans. Enfin, dit saint Grégoire de Tours, de qui nous tenons ces détails, après avoir fait mourir beaucoup d'autres rois ou de ses principaux parents et s'être emparé de leurs domaines et de leurs trésors, on rapporte qu'il dit un jour aux siens : Je suis bien malheureux! me voici délaissé au milieu des étrangers; je n'ai plus de parent qui puisse venir à mon aide, au cas qu'il m'arrive malheur. Mais, ajoute Grégoire, il parlait ainsi, non pas qu'il fût affligé de leur mort, mais par malice, pour voir s'il trouverait encore quelqu'un à tuer. Après avoir fait ces choses, conclut l'historien des Francs, il mourut à Paris et fut enseveli dans la basilique des Apôtres, qu'il avait fondée avec la reine Clotilde. Il trépassa la cinquième année après la bataille de Vouillé, la trentième de son règne, et la quarante-cinquième de son âge (511) 1.

Au commencement de son Histoire des Francs, Grégoire de Tours déplore la décadence de la belle littérature, et confesse humblement qu'il ne s'y entendait guère lui-même. La manière dont il raconte la conduite de Clovis envers ceux de sa famille, le fait assez voir.

Si les Francs, comme les Grecs, avaient eu pour premiers historiens des poètes, leur histoire serait sans doute plus belle, mais moins vraie. Leur principal conquérant, Clovis, eût été métamorphosé en une espèce de dieu Chronos ou Saturne; ses trois fils légitimes eussent été Jupiter, Neptune et Pluton; certaines de leurs actions, qui nous paraissent un peu barbares, eussent été comme divinisées par une mythologie riante. Avec la rude franchise de Grégoire de Tours, Clovis est demeuré à tout jamais Clovis; ses enfants seront à tout jamais Clodomir, Childebert et Clotaire, avec son bâtard Théodoric. Au lieu d'une agréable poésie, nous n'avons que la vérité.

Mais que parlons-nous de poètes? Tite-Live eût transformé les rudes commencements de l'histoire franque, comme il a fait de ceux de l'histoire romaine, en un drame poétique. Un Hérodote, ne relevant que le bien et dissimulant le mal, eût montré les Francs, comme il a fait les Grecs, supérieurs à tous les peuples. Encore Hérodote a-t-il été accusé par Plutarque comme d'une méchanceté

1 Greg. Tur., 1. 2, c. 40-45.

insigne, d'avoir dit du bien d'autres peuples que des Grecs. Si seulement Grégoire de Tours eût été des historiens modernes, il eût voilé certaines choses, excusé les autres par ce qu'on appelle des raisons d'état ou de haute politique. Mais non; il raconte le tout avec une naïveté désespérante, il nous montre à nu le Barbare, à la fois cruel et fourbe.

On voit quelle terrible tâche c'était que d'humaniser, de civiliser, de christianiser complètement cette barbarie originelle; on conçoit surtout, quand on y joint le fond corrompu de l'humanité même, que cela ne pouvait être l'œuvre d'un jour, et que même avec les siècles, elle ne serait jamais parfaite, quoique se perfectionnant toujours. Du moins Clovis avait reconnu le vrai principe de toute civilisation, la foi chrétienne; il en avait reconnu la règle vivante, l'Eglise catholique. Avec cela, si le bien ne se fait pas toujours vite, au moins il se fait.

Il n'en était pas de même avec l'empereur Anastase de Constantinople. A son couronnement, il avait assuré avec serment et par écrit qu'il recevait le concile de Calcédoine, et qu'il n'innoverait rien dans la religion; et, pendant tout son règne, il ne cessa de brouiller l'empire et l'Eglise, pour manquer à sa parole. Il fit déposer et exila le patriarche Euphémius, qui l'avait couronné. Il espérait plus de complaisance du nouveau patriarche Macédonius, qui, en effet, eut la faiblesse, le jour de son ordination, de souscrire à l'hénotique de Zénon. Il lui redemanda la promesse écrite par laquelle il s'était engagé, à son couronnement, de maintenir le concile de Calcédoine, et qui avait été remise entre ses mains. Le nouveau patriarche s'y refusa constamment. Il assembla même un concile, où la foi du concile de Calcédoine fut confirmée par écrit, Anastase dissimula son ressentiment. D'autres soins l'occupaient.

Cabad, roi de Perse, après être remonté sur le trône, était entré avec une puissante armée dans l'Arménie romaine et dans la Mésopotamie. Il prit la forte ville d'Amid, après un siége long et meurtrier. Tous les habitants devaient être passés au fil de l'épée, et l'ordre s'exécutait, lorsque Cabad, faisant son entrée dans la ville, un vieux prêtre alla au-devant et lui représenta qu'il n'était pas digne d'un roi d'égorger des vaincus. Et pourquoi, dit Cabad en colère, m'avez-vous si opiniâtrément résisté? C'est que Dieu voulait, répondit aussitôt le vieux prêtre, que vous dussiez cette conquête à votre valeur, et non à notre volonté. Cette réponse flatta le monarque persan; il fit aussitôt cesser le massacre 1. Les historiens de

1 Procop. De bello Persic., 1. 1, c. 7.

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