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physionomie sillonnée par la foudre, où se combattent les signes de la passion la plus effrénée et du bon sens le plus profond; grand homme vicieux et bien fâché de l'être, plein de regrets d'un passé qu'il ne peut effacer, d'habitudes qu'il ne peut rompre, et qui reste, dans le vice, trop haut d'esprit et même de cœur pour ne pas sentir le prix de la vertu, de cette vertu qui seule peut-être lui manque pour devenir le premier homme de son temps et le chef incontesté du plus grand mouvement de l'histoire.

Du moins, rendons-lui cette justice à travers les misères morales et les déplorables transactions de sa vie, c'est avec une entière sincérité qu'il poursuivra la conquête des institutions libres, assurant ainsi à son orageuse mémoire l'amnistie de la postérité. Victime de l'abus du pouvoir paternel, fils d'une race féodale conservée dans toute sa force et sa violence primitives parmi l'amollissement général de la caste nobiliaire, révolté contre sa race qui l'opprime, mais en gardant les énergies, les instincts et partie des sentiments, il combat le despotisme, toute espèce de despotisme, comme un ennemi personnel : traîné de prison en prison par les lettres de cachet qu'a obtenues son père, il écrit l'Essai sur le Despotisme au château d'If (1772, à vingt-trois ans '); l'Avis aux Hessois, pour les engager à refuser obéissance à l'indigne prince qui vend leur sang aux Anglais (1777) dans son refuge de Hollande; le livre sur les Lettres de cachet, au donjon de Vincennes (1778). Chacun de ses livres ano

L'homme social est bon, quoi qu'en ait dit Rousseau, etc >>

* C'est là qu'il réfute le despotisme éclairé de son père et des autres économistes, comme incompatible avec la liberté civile, et qu'il écrit cette phrase menaçante : Je demande s'il est aujourd'hui un gouvernement en Europe, les confédérations helvétique et batave et les îles Britanniques seules exceptées, qui, jugé d'après les

nymes, dont l'éloquence abrupte reproduit la vigoureuse originalité et les éclats d'idées de son père, débrouillés du fatras et de la confusion du vieil économiste, chacun de ses livres est une action. Ses écrits sont déjà ce que seront ses immortels discours.

Lui, à son tour, après Turgot, il reprend le dessein de transformer la monarchie, mais par des moyens et dans des conditions tout autres. Le temps a marché. La réforme par en haut ne suffit plus, n'est plus possible. Il faut à Mirabeau la révolution par la nation, mais avec le roi en tête. En deux mots, c'est encore la royauté; ce n'est plus la monarchie. L'hérédité du trône n'est plus un principe, mais un fait subordonné à la souveraineté du peuple '.

La révolution avec la royauté est bien plus difficile encore que n'eût été naguère la réforme par la royauté : les chances de réalisation, surtout les chances de durée, sont bien moindres; peut-être n'y a-t-il pas encore impossibilité absolue, au moins pour une courte période.

A peine sorti de sa longue captivité (vers la fin de 1780), Mirabeau s'évertue à se racheter de sa déconsidé ration, à se rapprocher du pouvoir pour le conseiller, en même temps qu'il continue ses écrits novateurs et, pour mieux dire, révolutionnaires. Il écrit un mémoire à la reine : il rêve pour elle, afin de lui ramener la popularité

principes de la Déclaration du congrès américain, donnée le 4 juillet 1776, ne fût

déchu de ses droits. »

Ce livre est en quelque sorte le Contrat social revu et limité au point de vue de l'application prochaine. Ainsi Mirabeau, tout en posant la souveraineté du peuple, exclut, comme Voltaire et Mabli, les prolétaires du droit politique, exclusion sur laquelle il reviendra plus tard; et, s'il veut que le peuple soit armé (la garde nationale), c'est la portion possédante et fixée du peuple. Il réclame la responsabilité de tous les magistrats, la séparation totale du législatif, de l'exécutif et du judiciaire, l'abolition des substitutions, toutes les lois devant favoriser l'égalité.

• Lettres de cachet, ap. Mém. de Mirabeau, t. V. p. 36.

et d'occuper son activité, une sorte de ministère des beaux-arts: il veut qu'elle fasse achever le Louvre; qu'elle forme la galerie du Musée avec tous ces chefs-d'œuvre des arts entassés obscurément dans les combles des résidences royales; il émet, sur l'embellissement de Paris, une foule d'idées ingénieuses ou grandioses, en partie réalisées depuis. D'une autre part, il publie, sous son nom et avec un grand éclat, à l'instigation de Franklin, ses Considérations sur l'ordre de Cincinnatus, où il attaque toute espèce de priviléges nobiliaires, en attaquant l'espèce de chevalerie républicaine que viennent d'établir entre eux les officiers de l'armée libératrice des États-Unis (septembre 1784)'. Il s'efforce d'avoir un pied chez les ministres et l'autre sur le terrain le plus avancé des écrivains les plus hardis. Durant plusieurs années, sa parole prophétique ne se lassera pas de retentir aux oreilles des puissants, qui vont cesser de l'être! Mais quel prophète les puissances destinées à périr ont-elles jamais écouté!

1 Le péril de cette association était dans le dessein qu'avaient les officiers américains de transmettre la décoration de Cincinnatus à leurs enfants. Ils y renoncerent.

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T. XIX.

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Ministère de Calonne. Chaos des finances. Procès du collier. Calonne veut tenter à son tour la réforme. Assemblée des Notables. Aveu du déficit. Chute de Calonne. Ministère de Brienne. La lutte recommence entre la couronne et les parlements. Le parlement de Paris demande les ÉTATS-GÉNÉRAUX. Abaissement au dehors; affaires de Hollande. Brienne recommence Maupeou contre les parlements. La cour plénière. La noblesse soutient les parlements. Troubles en Bretagne, en Béarn, en Dauphiné. Assemblée de Vizille. Promesse des ÉTATSGÉNÉRAUX pour 1789. Commencement de banqueroute. Chute de Brienne. Rappel de Necker. Seconde assemblée des Notables. Immense mouvement de la presse politique. Lutte entre le tiers-état et les privilégiés. Pamphlet de SIEVES : Qu'est-ce que le tiers-état ? Troubles de Bretagne. Mirabeau en Provence. Élections. Les CAHIERS. Ouverture des ÉTATS-GÉNÉRAUX. Le Tiers-État se déclare ASSEMBLÉE NATIONALE. Fin de l'Ancien Régime et de la Monarchie.

(1785-1789.)

Presque aussitôt après que la fin de la guerre eut remis le pouvoir royal face à face avec les périls intérieurs, nous avons vu tomber le ministère des finances, le principal ministère, dans les mains d'un nouveau contrôleur-général à qui Mirabeau devait prêter, quelque temps, peu de temps, le secours de sa plume.

Quelle était la valeur réelle de ce personnage si contro

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versé? Sur la moralité de Calonne, il n'y a qu'une opinion'; sur sa capacité, il y en a deux. Tous lui reconnaissent un esprit séduisant, une grande facilité de conception et de travail, un don singulier de fascination; mais, en général, on a cru, ou qu'il se laissait emporter lui-même aux illusions dont il fascinait les autres, ou que sa légèreté perverse jouait les destinées de l'État au jour le jour dans un grand jeu de hasard. « Le succès du moment est toujours le dernier terme de votre vue, » lui écrivait Mirabeau dans un jour de colère; «< jamais votre horizon d'idées ne s'étend plus loin. » Un historien de notre temps a cru reconnaître, au contraire, que la frivolité n'était qu'à la surface, et que Calonne avait suivi un dessein profond et un plan fortement conçu. Calonne n'aurait achevé la ruine des finances, comme nous allons le voir, que parce que, persuadé que les demi-mesures seraient impuissantes et que les privilégiés ne renonceraient à leurs priviléges qu'en présence d'une nécessité absolue et au bord d'un gouffre effroyable, il voulait les amener à leur insu jusqu'au bord de ce gouffre et les terrifier en le leur dévoilant soudain.

Nous ne croyons pas à tant de suite et de profondeur chez cet homme. Nous ne croyons pas non plus à tout l'aveuglement que d'autres lui prêtent. Il prenait les finances comme une aventure, mais l'aventurier avait trop d'esprit pour ne pas au moins entrevoir qu'on finirait par arriver à une situation où tous les expédients connus deviendraient

Sa conduite envers La Chalotais avait été plus ignominieuse encore que nous ne l'avons dit il avait reçu les confidences de ce grand magistrat avant d'ourdir une trame perfide pour le perdre.

' V. le vigoureux factum de Mirabeau contre Calonne, ap. Mém. de Mirabeau,

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* M. Louis Blanc, Hist. de la Révolution française, t. II, ch. v.

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