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peut être ou ne pas être. Le principe de la souveraineté de la Nation une et indivisible a remplacé la monarchie absolue de Louis XIV et la vieille monarchie des ÉtatsGénéraux et des parlements, la souveraineté du roi et la hiérarchie des priviléges.

LE MONDE NOUVEAU EST COMMENCÉ.

CONCLUSION.

Du haut de ces cimes orageuses de 89 qui séparent deux mondes, jetons un coup d'œil en arrière afin de ressaisir l'ensemble des destinées de l'ancienne France, qui renferment tous les présages d'avenir de la France nouvelle. Les institutions, les coutumes, les formes sociales, ont disparu; le fonds essentiel, la nature de la France, n'a pas changé. C'est toujours le même être, pour ainsi dire, qui continue et continuera à se développer dans le bon ou mauvais usage de ses énergies propres. La France nouvelle, l'ancienne France, la Gaule, sont une seule et même personne morale. La France existait longtemps avant de s'appeler France, nom de baptême et d'adoption sous lequel a disparu son nom naturel.

Dès l'origine des temps historiques, le sol de la France apparaît peuplé par une race vive, spirituelle, imaginative, éloquente, portée tout ensemble à la foi et au doute, aux exaltations de l'âme et aux entraînements des sens, enthousiaste et railleuse, spontanée et logicienne, sympathique et rétive à la discipline, douée de sens pratique et encline aux illusions, plus disposée aux éclatants dévouements qu'aux efforts patients et soutenus; mobile quant aux faits et aux personnes, persévérante quant aux tendances et aux directions essentielles de la vie; également active et compréhensive; aimant à savoir pour savoir, à

agir pour agir; aimant par-dessus tout la guerre, moins pour la conquête que pour la gloire et pour les aventures, pour l'attrait du danger et de l'inconnu; unissant enfin à une extrême sociabilité une personnalité indomptable, in esprit d'indépendance qui repousse absolument le joug des faits extérieurs et des forces fatales.

Dans cette antique société se sont développés, sur un fonds patriarcal primitif, deux principes dominants, le principe religieux et le principe héroïque, combinés dans une croyance souverainement propre à cultiver la force1, suivant une de ses maximes, et à inspirer aux hommes le mépris de la mort par la certitude de toujours revivre. La croyance gauloise, le druidisme, dominant d'une immense hauteur les religions toutes terrestres de la Grèce et de Rome, présente, au fond de l'Occident, un développement théologique et philosophique égal à celui des grandes religions d'Orient, mais dans un esprit absolument contraire au panthéisme oriental. La liberté, la personnalité, l'activité partout, en Dieu et en l'homme, l'indestructible individualité humaine s'élevant progressivement du plus bas degré de l'être, par la connaissance et la force, jusqu'aux sommités indéfinies du ciel, sans jamais se confondre dans le Créateur, tels sont les fondements de la foi druidique; tel est le secret de l'intrépidité et de l'indépendance gauloise. La notion la plus ferme, la plus claire, la plus développée qui fut jamais de l'immortalité et de la destinée de l'âme est le caractère essentiel du druidisme.

Une pareille race, appuyée sur un levier si formidable, semblerait devoir envahir le monde. Elle le parcourt triomphalement, l'agite, F'étonne, l'épouvante, mais ne

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<< Honorez les dieux; ne faites pas de mal à autrui; cultivez la force. » Triade druidique, citée par Diogène de Laërte.

le domine pas d'une manière durable. Il y a chez elle les matériaux d'une grande nation : il n'y a pas une nation. Il manque à ces matériaux le ciment qui les relie. Cette religion inspire une force toute individuelle: elle n'enseigne pas le devoir social avec l'autorité de ces religions locales et toutes terrestres qui reposent sur la divinité de la patrie; elle n'a pas non plus en elle cette flamme de l'amour divin et humain, de la charité universelle, qu'il est réservé au christianisme de répandre dans le monde. Les forces de la Gaule ne se coordonnent pas et se tournent contre elle-même. Ces individualités si puissantes n'aboutissent qu'à une faible et anarchique société. Les tribus patriarcales se sont groupées en démocraties guerrières qui subissent l'autorité morale d'un grand sacerdoce recruté par affiliation, corporation savante et non caste héréditaire. C'était l'apogée de la vieille Gaule; mais cet état ne s'est pas soutenu. L'inégalité sociale s'accroît; les aristocraties locales grandissent avec le progrès de la richesse et accaparent les avantages de la civilisation, qui se développe imparfaitement. Les influences se rendent héréditaires; les tribus se scindent en clientèles groupées autour d'un petit nombre d'hommes puissants; on arrive à ce point qu'il n'y a plus que deux classes qui comptent dans les Gaules: les druides et les chevaliers, ou, pour parler le langage moderne, le clergé et la noblesse, qui se disputent le pouvoir et ne s'entendent que pour repousser la royauté héréditaire, antipathique au génie de la Gaule '.

1 Nous résumons ici, sur l'ancienne Gaule, des vues qui ne se rencontrent pas toutes dans notre premier volume, et qui résultent pour nous, en partie d'une nouvelle étude des anciens documents, en partie de documents qui nous étaient inconnus à l'époque de la rédaction de notre premier travail. Notre premier volume, entièrement refondu, sera réimprimé et publié à part.

La décadence se précipite, le ressort moral s'affaiblit ; le peuple s'affaisse, la noblesse s'entre-déchire. L'étranger s'avance. La Gaule est entamée d'un côté par la civilisation politique et militaire la plus fortement organisée qui ait paru sur la terre; de l'autre, par une barbaric systématiquement ennemie de tout développement, de toute richesse, de tout progrès. Des deux compétiteurs, c'est Rome qui l'emporte sur la Germanie. Les divisions de la Gaule, malgré des efforts tardifs et désespérés, la jettent sous l'épée du conquérant. Les prestiges de la civilisation helléno-latine achèvent l'œuvre de la conquête. La noblesse se latinise et se fond dans la société romaine; le corps sacerdotal est proscrit. Les superstitions du Midi envahissent la Gaule, où elles ne doivent laisser de trace que dans les formes classiques des lettres et des arts. Le génie politique de Rome entre plus à fonds et modifie sensiblement la nature gauloise; il apporte à nos pères l'ordre, la discipline, la limite, le poids et la mesure, l'esprit administratif et centralisateur, avec ses grands avantages pour l'organisation extérieure de la société, et, aussi, sa tendance périlleuse à mettre le mécanisme à la place de la vie dans le corps politique. Le matérialisme latin doit aussi laisser chez nous trop de vestiges, en se combinant avec la tendance critique et railleuse qui est comme le contre-poids de notre tendance enthousiaste...

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Nous devons à Rome, par compensation, un progrès, d'un ordre plus élevé que l'aptitude à l'organisation matérielle c'est l'introduction de ce Droit romain transformé par la philosophie grecque, qui est devenu à tant d'égards la raison écrite et le code de l'humanité, et qui éclaire et agrandit les généreux instincts de nos coutumes primitives. A l'unité romaine, à la paix romaine aussi, le mérite d'a

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