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sale en famille. » Adieu, cher monsieur, portez-vous bien et tâchez de ne pas vous faire prendre par Kitsos en visitant des antiquités. Lorsque la politique ne vous donnera pas trop de besogne, donnez-moi de vos nouvelles et dites-moi comment vous avez trouvé la petite drôlerie ci-jointe.

Cher Monsieur,

Cannes, 12 décembre 1865.

Vous assistez à un drôle de mélodrame qui serait fort intéressant si les acteurs étaient plus forts. De l'éloignement où je suis ils me paraissent misérables. Je voyais autrefois le général Kalergis, qu'on a fait, je crois, ministre de la Guerre, mais qui probablement ne quittera pas sa partie de baccarat du Cercle Impérial. Les grands hommes de mon temps sont morts ou sont bien vieux. Il y avait alors, du moins il me semblait ainsi qu'il y avait des gens, sinon fort habiles, du moins très désireux de faire quelque chose pour leur pays. Maintenant, tout le monde a l'air de ne chercher qu'à attraper quelque lopin du budget. Je suppose qu'il y a un budget, mais qui paye? Je ne m'en fais pas une idée bien nette. Au lieu de M. de Sponneck, ne pourriezvous pas conseiller au roi de prendre le brave général Eyre, gouverneur de la Jamaïque? Voilà un homme qui gouverne et qui apaise promptement une insurrection en pendant deux mille personnes, dont plusieurs révérends, et qui ne lâche ceux qu'il happe qu'après les avoir bien fouettés par manière de premier avertissement. Je crois que ce mode de gouvernement ne serait pas mal appliqué dans le pays où vous êtes. Malheureusement la mode n'est plus à ces sages pratiques. On veut donner partout les mêmes institutions, et des habits noirs à des gens qui n'ont pas de souliers.

Pour vous distraire du vilain spectacle que vous donnent les Grecs, j'espère que vous fouillez leur pays et que vous trouvez de belles choses dont vous nous ferez part. M. Salzmann a trouvé une mine merveilleuse à Rhodes. J'étais à Londres ce printemps lorsqu'on a apporté au British Museum des vases admirables qu'on s'est empressé d'acheter, car on a toujours de l'argent en Angleterre pour ces occasions-là. Vous m'avez annoncé un nouveau volume, et vous m'aviez dit qu'on me l'enverrait, mais votre éditeur ne s'est pas souvenu de moi. Ici, je ne lis pas grand'chose et je ne fais pas plus d'ouvrage qu'un lézard. Je sors quand il y

a du soleil, et je rentre dans mon trou quand il n'y en a plus. Moyennant quoi, je vis assez tolérablement, c'est-à-dire que je respire beaucoup mieux que je ne fais à Paris.

L'année 1866, que je vous souhaite bonne et heureuse, a l'air de vouloir être fertile en événemens. En Allemagne, en Italie et surtout en Espagne, la déesse "Epts fera des siennes. Ici, nous ne nous préoccupons guère que de la façon dont sera reçu au Corps législatif votre ancien général, nommé député quand il était sénateur, et président avant d'être vérifié. Un neveu de Grasset m'a écrit pour me demander si son oncle avait fait un testament. Je lui ai envoyé copie d'une de vos lettres, qui lui prouvera qu'il n'en a fait que trop. C'était un excellent garçon, qui était heureux de vivre et qui venait d'obtenir ce qu'il désirait le plus, quand la mort l'a pris. Salute a noi, comme on dit à Naples. Adieu, cher monsieur, donnez-moi de vos nouvelles et des nouvelles de la Grèce. Je vous souhaite santé et prospérité. "Epśwoo.

Cher Monsieur,

Paris, 19 juin 1866.

Je suis vraiment honteux d'avoir été si longtemps sans vous écrire, mais vous savez bien que je n'ai rien à faire, ce qui fait que j'ai toujours sur les bras un embarras ou un autre qu'il faut expédier à la hâte, et que le temps me manque pour suivre mon inclination, particulièrement lorsqu'elle est vertueuse.

Et d'abord je dois vous faire mes complimens sur le mariage de Mademoiselle votre fille. Permettez-moi à ce sujet de vous demander pourquoi vous la mariez si jeune, car il me semble qu'à son retour de Perse, elle jouait encore à la poupée. Il y a quelques années de cela, me direz-vous. Mais le temps. passe trop vite depuis quelques années.

Je voudrais bien vous demander encore de quel côté les descendans de Thémistocle jetteront leur épée dans la querelle qui se débat présentement en Allemagne et en Italie. Garibaldi a juré, dit-on, de délivrer les Grecs d'Europe aussitôt qu'il en aura fini avec les Autrichiens, c'est-à-dire dans une quinzaine de jours. Les pauvres Turcs n'ont qu'à se bien tenir.

Vous qui ne détestez pas les comédies à grand spectacle, que dites-vous de celle qui se joue en ce moment en Saxe et en Hesse? Les souverains allemands, ne se trouvant pas assez à leur aise sur leurs trônes, se sont donné le plaisir d'y attacher des

pétards. J'ai bien peur que le dernier acte ne soit une très vi. laine révolution, d'autant plus vilaine que les Allemands sont lourds en tout, et que, s'ils se mettent une fois à la guillotine, il est à craindre qu'ils n'abusent de cet instrument civilisateur à ce que dit le citoyen Barère.

On trouve ici que le rideau tarde trop à se lever, et il y a quinze jours qu'on crie: « La toile! » Jusqu'à présent, point de bataille. Mais le choléra est dans l'armée prussienne et le typhús dans l'autrichienne. Selon toute apparence, dès qu'il y aura contact il en résultera un échange de maladies qui feront du chemin. Ici, après avoir eu une peur bleue, on commence à se rassurer un peu. Il est certain que le ministère de la Guerre ne se préoccupe en ce moment que de la question de savoir si les shakos seront haussés ou baissés d'un centimètre. On ne fond pas de canons, on n'achète pas de chevaux, mais on en vend à tout le monde. Tout l'or nous arrive et on ne sait qu'en faire, sans parler de l'argenterie d'Allemagne qu'on nous envoie par tous les trains, de peur qu'elle ne s'égare. M. de Metternich a dit à un ministre étranger de mes amis, que son gouvernement avait promis au nôtre de ne pas attaquer; de se borner à repousser; il se serait même engagé à ne pas poursuivre au delà du quadrilatère. Ζεὺς ἄν θέλη ! Rien de plus drôle que la figure de nos collègues messieurs les diplomates dans le moment actuel. Le Prince de M. tourne à la pâleur, M. de Goltz à la rougeur. Nigra a toujours l'air d'un joli tiránno d'opéra.

Découvrez-vous quelque belle chose? On vient de nous apporter un gros vase d'Amathonte. J'aimerais mieux quelque chose de plus portatif. Fait-on à Athènes quelque bon recueil de chants populaires? Si oui, prenez-m'en un exemplaire, car j'en suis grand amateur. Je comprends encore ce grec-là, et plus du tout celui de vos grands orateurs. Ici, nous n'écrivons et ne lisons que des platitudes. J'ai essayé de lire les Travailleurs de la mer, mais le courage m'a abandonné avant la fin du premier volume. Il me semblait relire Han d'Islande (1).

Adieu, cher monsieur, je vous souhaite force vases, pierres gravées et inscriptions et peu de révolutions. Je suis toujours poussif, un peu moins depuis qu'il fait chaud. "Eppwoo.

(1) Mérimée, qui avait été très lié avec Victor Hugo, vers 1830, rompit avec lui peu après; il ne perd pas une occasion de critiquer ses ouvrages. Cf. sa lettre à Jenny Dacquin à propos des Misérables. (Lettres à une Inconnue, II.)

Cannes, 7 décembre 1866.

Cher Monsieur,

Je suis ici depuis quelque temps, voulant vous écrire tous les jours; mais tantôt c'est le soleil, tantôt c'est la pluie qui m'empêche. Je regrette bien que vous soyez si loin. J'aurais bien du plaisir à causer avec vous de toutes les drôles de choses qui se sont passées cette année, et de celles qui vont se passer en 1867. Malheureusement, depuis trois semaines que je suis à Cannes, je ne sais plus rien de ce qui se fait et se brasse dans le monde. Selon les renseignemens les plus sûrs, M. de Bismarck était loin d'être bien portant lorsque j'ai quitté Paris. Je veux dire que peu de compagnies d'assurance sur la vie auraient voulu traiter avec lui. On dit que, s'il lui arrivait le même accident qu'à Cavour, les choses iraient au pire en Prusse; que le roi, que ledit Bismarck avait beaucoup de peine à persuader il y a quelques mois, est maintenant trop convaincu de la mission régénératrice que la Providence lui a conférée, et qu'en conséquence il est tout prêt à faire des bêtises. En ce qui concerne le Pape, Odo Russell et Sartiges me disaient, il y a un mois, qu'il resterait à Rome et que tout irait bien; mais je n'en crois pas un mot (1). Le pape reçoit de trop bons conseils de notre clergé, pour être raisonnable. Supposé même qu'il le fût, peut-on espérer que Mazzini, Garibaldi, que Populus Senatusque Romanus ne fassent pas des espiègleries de nature à le faire déménager? Je me demande pourquoi on attache tant d'importance à ses démarches. Qu'importe ce que fera un vieillard quinteux, qui passe son temps dans l'expectative de l'arrivée de la Sainte Vierge Immaculée, pour remettre le monde d'aplomb? Pourquoi fait-on dépendre sa conduite de celle d'un fou? On répond à cela que le peuple le plus spirituel de la terre verrait avec peine qu'on fit endêver le vicaire de J.-C. et que le clergé, si attaché à la dynastie, ferait mal voter dans les élections de 1869. Vous avez dû entendre parler d'un voyage que ferait une grande dame (2) à Rome? J'ai lieu de croire qu'il n'en est plus question; du moins, des gens bien informés me l'écrivent, ce qui ne m'empêche pas d'en avoir un peu

peur.

D'autres alarmistes nous prédisent pour l'année prochaine le

(1) Cf. Lettre à Victor Cousin, du 23 novembre 1866, p. 185. (2) L'Impératrice.

dénouement de la question d'Orient. Dénouement est peut-être trop dire, ouverture serait peut-être plus exact. Il me semble que vous n'êtes pas convaincu de la valeur politique, militaire et morale du grand peuple dont vous habitez la capitale. Thouvenel disait qu'il y avait en Orient trois caput mortuum l'un sur l'autre Turc, Grec et Slave, et que cela faisait trois pourritures d'un décrottage impossible. Refaire un empire grec n'a pas assez réussi à l'Europe pour qu'elle soit disposée à recommencer. Recommencera-t-on la guerre de Crimée. Je n'en crois rien. Qui empêchera les Russes d'aller à C. P... Ce ne sont pas les Anglais, que le Fenianisme et M. Bright occupent exclusivement. Trouvez-vous de plus qu'il y ait grand intérêt à ce que les Russes tardent encore à manger un morceau qui ne peut leur échapper? Je crois à la guerre de Crète comme à celle de Pologne. Les bulletins sortent d'une officine non moins véridique; mais comment voulez-vous que les Turcs se tirent d'affaire, ayant des habits d'amadou, et entourés qu'ils sont d'allumettes chimiques. J'espère que vous faites des fouilles et que vous trouvez de jolies choses. Vous me dites que vous êtes allé à Delphes avec quarante matelots. De mon temps, j'y suis allé avec une canne (qu'on m'a volée), mais dont je n'ai pas eu à faire usage. D'où vient ce banditisme? D'où vient...

Mais le papier me manque, et vous devinez mille et une questions que j'aurais à vous faire. Répondez à quelques-unes et vous ferez bien plaisir à votre tout dévoué.

... Je reçois à l'instant une lettre de Compiègne qui me dit que l'Empereur est parfaitement bien, et travaille beaucoup.

Cher Monsieur,

Paris, 11 avril 1867.

Me voici enfin de retour à Paris après une assez longue campagne à Cannes qui ne m'a pas trop réussi. Je suis toujours outrageusement poussif. J'ai de temps à autre des spasmes très douloureux et je ne suis plus bon à rien. Je crains que vous ne me retrouvicz pas à votre retour d'Athènes.

Iliacos intramuros peccatur et extra.

Vous trouvez qu'on fait des bêtises à Athènes Il me semble que la partie de ces messieurs est une des moins mauvaises de

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