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son frère pour qu'il dût se déterminer à abdiquer. Mais l'irritation de Louis Bonaparte le porta à des extrémités d'un tout autre genre. Il se soumit en apparence, signa ce que l'on voulut, et entama immédiatement des négociations avec les cours de Saint-Pétersbourg et de Londres. Ses démarches auprès de ces deux cours n'eurent aucun succès. Alors, décidé qu'il était à ne pas exécuter le traité qu'il avait signé avec son frère, il se prépara à une résistance ouverte : il excita toute la Hollande à la guerre, fit élever des fortifications contre la France, et ne voulut pas céder, même à la force, que Napoléon fut obligé d'employer contre lui. Lorsqu'il vit so. royaume envahi par l'armée que commandait le maréchal Oudinot, il quitta furtivement le pays, et se retira dans je ne sais quel coin de l'Allemagne, léguant à la Hollande toute la haine qu'il avait contre son frère1.

1. Napoléon n'avait placé son frère sur le trône de Hollande que pour maintenir ce pays dans le système continental. Sa tâche était difficile, car les intérêts et les sympathies des Hollandais les rapprochaient de l'Angleterre au lieu que la politique de Napoléon les ruinait. Le roi Louis ne voulut, ou ne put pas défendre dans son royaume les volontés de l'empereur, et laissa la contrebande anglaise s'organiser sur ses côtes. Napoléon se plaignit vivement, et ne négligea rien pour contraindre son frère à entrer dans ses vues. Par le traité du 11 novembre 1807, il lui enleva Flessingue, un des ports les plus importants de la Hollande, contre quelques agrandissements sans conséquence. La situation restant toujours la même, il alla plus loin, et annonça au Corps législatif que les exigences de sa politique pourraient le forcer à annexer la Hollande (discours du 3 déc. 1809). Toutefois, ce moyen extrême lui répugnait; il tenta de l'éviter en signant avec le roi Louis un second traité (16 mars 1810) par lequel celui-ci lui cédait la Zélande et le Brabant hollandais; en même temps, il était stipulé que les côtes de Hollande seraient gardées par les douaniers français assistés d'un corps de troupe. Louis vint à Paris signer ce traité, mais, rentré dans ses États, il évita de l'appliquer. Napoléon fit aussitôt entrer vingt mille hommes en Hollande. Le roi eut un instant la pensée de résister, mais personne n'ayant voulu le suivre, il abdiqua et se réfugia à l'étranger. La Hollande fut réunie à l'empire par un décret en date du 1er juillet 1810.

La réunion de ce pays à la France fut la suite de son départ. L'empereur agrandit par là son empire, mais diminua ses forces; car il devait employer constamment un corps d'armée pour s'assurer de la fidélité de ses nouveaux sujets. Ceuxci craignaient beaucoup plus les levées rigoureuses de la conscription et des gardes d'honneur, qu'ils n'étaient flattés de voir le fort du Helder devenir un des boulevards maritimes de l'empire français, et le Zuydersée fournir une grande école de navigation, où devaient être exercés les équipages des flottes que la France faisait construire à Anvers. Les différents gouvernements par lesquels Napoléon fit passer la Hollande y détruisirent complètement la confiance du peuple, et firent détester le nom français; mais les plus grandes difficultés qu'il eut à éprouver dans ce pays surgirent, on vient de le voir, là, comme dans d'autres de ses créations, de sa propre famille.

L'agrégation d'une vingtaine de petits États, érigés par un décret en royaume de Westphalie, en faveur de Jérôme Bonaparte son frère, apporta à son ambition de nouveaux embarras. Ce royaume, dont la population était d'environ deux millions d'habitants, comprenait en entier les États de l'électeur de Hesse-Cassel. Il faut se souvenir que dans ce pays de Hesse, la volonté du souverain remplaçait à peu de choses près toutes les institutions, et que le peuple, qui n'était point surchargé d'impôts, ne cherchait pas encore d'autre manière d'être gouverné.

Jérôme, peu de temps après sa nomination (c'était le terme dont l'empereur voulait qu'on se servît), se rendit à Cassel, capitale de ses États. Son frère lui avait donné une espèce de régence, composée de M. Beu

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gnot', homme de beaucoup d'esprit, et de MM. Siméon et Jolivet dont il devait suivre les directions. Leurs portefeuilles étaient pleins de décrets organiques de tout genre. Ils avaient d'abord apporté de Paris avec eux une constitution; ensuite, ils devaient y adapter un système judiciaire, un système militaire et un système de finances. Leur première opération fut de partager le territoire et de changer ainsi en un moment,

1. Jacques Claude, comte Beugnot, né en 1761, avocat au parlement de Paris en 1782, procureur syndic du département de l'Aube en 1790, député à l'Assemblée législative en 171. Il fut arrêté en 1793, mais fut délivré au 9 thermidor. Après le 18 brumaire, il fut nommé préfet de la Seine-Inférieure, puis conseiller d'État en 1806. En 1807, il fut un des administrateurs du royaume de Westphalie, puis, en 1808, commissaire impérial et ministre des finances du grand-duché de Berg. En 1814, il fut nommé par le gouvernement provisoire commissaire pour l'intérieur, puis directeur général de la police. Il passa de là à la marine. La seconde restauration le fit directeur général des postes, ministre d'État, et membre du conseil privé. Il fut élu député de la Marne. Il mourut en 1835.

2. Joseph-Jérôme, comte Siméon, né à Aix en 1749, était professeur de droit dans cette ville en 1789. En 1792, il fut un des chefs du mouvement fédéraliste provoqué dans le Midi par les girondins. Il dut s'enfuir en 1793, revint en France en 1735, entra au conseil des Cinq-Cents, et en devint le président. Proscrit au 18 fructidor, il fut détenu à l'ile d'Oléron jusqu'au 18 brumaire. Il fut nommé membre du tribunat en 1800, consciller d'État en 1804, ministre de l'intérieur et de la justice, et président du conseil d'État de Westphalie, ministre de Westphalie à Berlin, puis près la confédération du Rhin. En 1814 il devint préfet du Nord. Sous la seconde restauration, il fut conseiller d'État (1815), puis sous-secrétaire d'État au département de la justice, pair de France, ministre d'État et membre du conseil privé (1821). Il fut président de la Cour des comptes sous la monarchie de Juillet, et mourut en 1812.

3. Jean-Baptiste, comte Jolivet, né en 1754, était avocat à Melun en 1789. Administrateur du département de Seine-et-Marne, puis député à l'Assemblée législative, il siégea dans le parti constitutionnel, fut arrêté sous la Terreur, et ne recouvra la liberté qu'après le 9 thermidor. Il devint conservateur général des hypothèques en 1795, conseiller d'État après le 18 brumaire, liquidateur général de la dette des départements de la rive gauche du Rhin, et ministre des finances de Westphalie (1807). Il se retira en 1815 et mourut en 1818.

sans l'aide de l'esprit révolutionnaire, toutes les traditions. toutes les habitudes et tous les rapports que le temps avait établis. On créa ensuite des préfectures, des sous-préfectures et on mit des maires partout. On transporta ainsi en Allemagne tous les rouages de l'organisation française et on prétendit leur avoir donné le mouvement. La tâche de MM. les conseillers finie, M. Beugnot et M. Jolivet revinrent en France. Jérôme Bonaparte s'empressa de leur faciliter les moyens de s'y rendre. Il garda M. Siméon comme son ministre de la justice, et alors il régna seul, c'est-à-dire qu'il eut une cour et un budget, ou plutôt des femmes et de l'argent.

La cour se forma toute seule; mais le budget, élevé au point où les réserves de Napoléon qui se composaient de la moitié des biens allodiaux forçaient de le porter, fut, dès les premières années, très difficile à établir. Cette dynastie commença par où les autres finissent. On en était aux expédients dès la seconde année du règne. On ne chercha pas les expédients dans les économies qui pouvaient être faites, mais dans la création de nouveaux impôts. Il fallut, au lieu de trente-sept millions de revenu qui eussent été suffisants pour fournir aux dépenses nécessaires de l'État, en trouver plus de cinquante. Pour cela, on eut recours au moyen qui mécontente le plus les peuples: on fit un emprunt forcé, qui, selon le résultat ordinaire de ce genre d'impôt, provoqua beaucoup d'exactions et ne se remplit pas à moitié. De trente-sept millions, les besoins et les dépenses finirent par s'élever à soixante. La cour de Cassel avait la prétention de rivaliser d'éclat avec celle des Tuileries. Le jeune souverain s'abandonnait tellement à tous ses penchants, que j'ai entendu dire au grave et véridique

M. Reinhard', alors ministre de France à Cassel, qu'à l'exception de trois ou quatre femmes respectables par leur âge, il n'en était presque aucune au palais sur la fidélité de laquelle Sa Majesté n'eût acquis des droits, quelque grande que fût la surveillance de la belle madame de Truchsess et celle de madame de la Flèche, qui avait aussi à surveiller les entours du jeune prince de Wurtemberg2.

Le luxe de la cour, ses désordres et le malaise du pays, faisaient détester la France et l'empereur à qui tout était attribué; et si ce malaise ne produisit pas d'explosion immédiate, c'est que la résignation naturelle aux Allemands était augmentée par la terreur que causait l'alliance étroite du roi de Westphalie avec le colosse de la puissance française. De quel œil les graves universités de Göttingue et de Halle, dont Jérôme était le souverain, pouvaient-elles voir ce luxe effréné, ce désordre, si éloignés de la simplicité, de la décence et du bon sens qui distinguaient cette partie de l'Allemagne? Aussi, lorsqu'en 1813 les troupes russes entrèrent en Westphalic,

1. Charles-Frédéric, comte Reinhard, né en 1761, entra dans la diplomatie comme premier secrétaire à Londres en 1791. C'est là qu'il connut M. de Talleyrand. Il passa à Naples en 1793, puis devint, en 1794, chef de division au département des relations extérieures. En 1795, il fut nommé ministre plénipotentiaire près les villes hanséatiques, puis en Toscane (1798). En juillet 1799, il succéda à Talleyrand comme ministre des relations extérieures, puis fut nommé successivement ministre en Helvétie (1800), à Milan (1801), en Saxe (1802), en Moldavie (1805), en Westphalie (1805-1814). En 1815, il entra au conseil d'État, fut ensuite ministre près la confédération germanique (1815-1829). Le gouvernement Je Juillet le nomma ministre à Dresde (1830) et pair de France (1832). Il mourut en 1837. M. de Talleyrand prononça son éloge à l'Académie des sciences morales et politiques.

2. Le prince royal de Wurtemberg, brouillé avec le roi, son père, s'était réfugié, à cette époque, auprès de son beau-frère Jérôme Bonaparte, marié à la princesse Catherine de Wurtemberg.

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