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La conduite suivie presque toujours par les agents du Gouvernement français dans ces départements à l'égard des affaires d'Espagne, trop souvent en désaccord avec les bienveillantes paroles de Votre Excellence, donne la mesure de ce que l'on peut attendre de ces fonctionnaires; et c'est parce que je connais les bonnes dispositions de Votre Excellence à notre égard que je me permets d'attirer si souvent son attention sur une question si désagréable, cherchant à l'éclairer par tous les moyens possibles, afin de faire comprendre au Gouvernement français l'inefficacité des instructions transmises à des agents habitués, sans doute, à agir dans un sens contraire. S'ils étaient animés d'un autre esprit, ils n'attendraient pas les dénonciations des faits pour y porter remède; mais nous avons vu ces fonctionnaires en rester les témoins impassibles, tolérant l'existence des comités pour l'organisation des troupes et des commissariats publics pour l'équipement militaire, et laissant dans l'impunité la contrebande de guerre exercée par la frontière, malgré des dénonciations réitérées, de telle sorte que si des agents subalternes saisissaient quelque convoi, ignorant le déplaisir que cela pourrait causer à leurs chefs, les objets appréhendés n'étaient pas vendus généralement aux enchères publiques, ainsi que la loi le veut, permettant ainsi, peut-être, qu'ils fussent rendus à leur destination.

Plus d'une fois, dit Votre Excellence avec une conviction imprimée par son désir de ne point voir la cause carliste favorisée des agents du Gouvernement français, les informations recueillies démontrent que la contrebande ne s'exerce pas en traversant la frontière, mais bien par la Bidassoa et la côte espagnole, qui ne sont pas suffisamment surveillées et où la contrebande de guerre est transportée sur des bâtiments portant le drapeau d'une autre Puissance, sans que l'Espagne se croie dans le devoir d'attribuer le développement du carlisme à la protection de la nation à laquelle Votre Excellence fait allusion. Je n'ai certainement pas l'intention d'accuser ou de défendre cette nation, et il ne serait pas juste non plus de nier que le carlisme y ait, ainsi qu'ailleurs, puisé des armes et d'autres ressources; mais Votre Excellence saura apprécier la différence qui existe entre ces. fournitures qui doivent braver les risques d'une longue navigation et celles que peut procurer un grand pays voisin qui, par ses nombreuses voies de communication, peut donner une issue facile àtous les éléments nécessaires à une armée en campagne. A ces considé rations il faut ajouter que l'organisation des forces carlistes a coincidé avec la terminaison de la guerre franco-prussienne, et qu'à cette époque il restait entre les mains des particuliers, en France et du Gouvernement français même, une quantité considérable de fusils et

d'équipements militaires que des négociants pouvaient acquérir et vendre facilement aux Carlistes. C'est ce qui est arrivé, sans doute, puisque l'on voit ces insurgés portant des uniformes avec des boutons aux initiales G. M. (garde mobile) qui n'ont pas de signification pour eux et qui démontreraient cependant que ces uniformes auraient été expédiés directement de France en Espagne.

Depuis bien avant la campagne actuelle, alors que les Carlistes défaits à Orequieta et que le Prétendant en fuite se réfugiaient en France, commence cette protection à se montrer d'une manière plus décidée. Cette protection fait échapper Don Carlos à la perspicacité et à la surveillance de la police française, pendant plus d'un an qu'il prépare mystérieusement les éléments qui devront lui servir plus tard à rallumer la guerre civile en Espagne. Aucune autorité française ne peut découvrir le lieu de sa résidence, ni ne veut accepter, pour l'aider dans ses recherches, la coopération d'aucun agent du Gouvernement légitime d'Espagne. Les autorités françaises répondent ou par le silence le plus absolu ou elles font savoir que les réclamations doivent être adressées par la voie diplomatique, voie qui, malgré les inventions modernes, n'a pas pu atteindre la rapidité que ces sortes d'affaires exigent.

Dans la lettre que Monsieur le chargé d'affaires de France a lue à M. le Ministre d'État d'Espagne, et dans la dépèche que j'ai eu l'honneur de recevoir en réponse à ma communication du 16 juillet, Votre Excellence se plaint du caractère vague de ma réclamation, qui ne lui permet pas de répondre comme elle le désirerait, si on lui avait précisé les faits. Ainsi que Votre Excellence a pu le comprendre, ma lettre précitée ne contenait pas un récit avec preuves des réclamations que le Gouvernement espagnol pourrait adresser au Gouvernement français, mais bien une plainte sur la conduite des autorités des départements voisins de la frontière, constatant des faits précis et d'une certaine gravité, auxquels Votre Excellence, elle me permettra de le lui dire, n'a pas répondu d'une manière catégorique. Aussi, à l'égard du passage sur le territoire français du soi-disant général Lizarraga qui, accompagné de vingt-neuf personnes et quinze chevaux, est allé depuis Bayonne jusqu'à Perpignan, Votre Excellence dit que Lizarraga était porteur d'un passe-port émané des autorités espagnoles. L'acquisition d'un passe-port est chose facile, mais ce document comprenait-il aussi les vingt-neuf individus, les quinze chevaux et les vingt-deux gros colis? Quelle responsabilité ne pourrait-on exiger de la police d'un pays qui n'arrête les personnes qu'elle doit poursuivre que lorsqu'elles ne sont pas munies de passe-ports? Un autre fait non moins précis est l'entrée en Espagne

et la rentrée en France avec ostentation de la princesse Marguerite, accompagnée d'un nombreux personnel que MM. les Préfets appelaient sa suite; son séjour dans les départements du Midi, non pas à l'époque où la retraite de son mari échappait aux recherches des préfets, mais bien après que cette princesse eut joué un rôle important à Estella, à la suite des horribles exécutions de l'Abarzura qui précédèrent les vols et les assassinats de Cuenca et l'hécatombe d'Olot.

Quelles réclamations n'adresserait pas la France à l'Espagne si elle se trouvait dans des circonstances analogues? Il ne peut pas être admis, il ne peut pas être accepté par le droit des gens que ceux qui portent le trouble et la désolation dans un pays soient, sinon aidés, au moins tolérés par les agents d'un pays ami.

C'est avec regret, Monsieur le Duc, que je me vois obligé d'entretenir Votre Excellence de la conduite de certains fonctionnaires. Mon désir aurait été que les nouvelles dispositions adoptées par le Gouvernement français eussent rendu inutiles de semblables réclamations; mais un devoir impérieux me met dans la nécessité de revenir sur ce sujet; et, afin de préciser mieux les faits, je prierai Votre Excellence de vouloir bien me permettre de lui envoyer ci-annexé un extrait des réclamations qui ont été faites par les consuls espagnols, et duquel on peut conclure que les autorités françaises, prévenues en temps opportun, n'ont pas fait ce que l'on devait attendre.

L'attitude du Préfet des Basses-Pyrénées à cet égard est par trop connue. Il a été parfaitement prouvé que Don Carlos séjournait dans les environs de Bayonne et de Pau, et qu'il y célébrait des réunions avec ses partisans avant son entrée en Espagne, qui eut lieu le 2 mai 1872, par Sara, suivi de douze ou quatorze Carlistes les plus caractérisés. Le sous-préfet de Bayonne avertit le consul d'Espagne que le jour précité Don Carlos avait été vu à Sara, entre midi et une heure. Le consul avait demandé précédemment l'internement et la surveillance des Carlistes et avait même dénoncé le séjour de Don Carlos dans le département, signalant les maisons où il était descendu et où il aurait pu être arrêté; mais ni ces avis ni les ordres du Gouvernement français n'ont été suivis; et ce qui frappera davantage l'attention de Votre Excellence, je n'en doute pas, c'est le que Préfet des Basses-Pyrénées eût dit officiellement au Président de la République, par un télégramme du 3 mai, c'est-à-dire un jour après l'entrée de Don Carlos en Espagne, qu'il avait parcouru, le 2, la frontière pour se rassurer de l'exécution ponctuelle des ordres de M. le Président de la République, et qu'il était satisfait du zèle et de la vigilance de tous ses subordonnés, ajoutant à la fin de ce télégramme les mots suivants:

<< Je ne puis rien savoir sur Don Carlos; j'ignore même s'il est chez. nous ou en Espagne. Je veille avec beaucoup d'activité à cet égard. >> Le 1er juillet 1873, 53 soldats espagnols prisonniers des Carlistes et conduits par ceux-ci en France arrivèrent à Bayonne. M. le Préfet décida leur internement, et ils étaient déjà installés dans le train qui devait les conduire à Rennes, lorsque, par suite des démarches faites par cette ambassade, il reçut l'ordre de les mettre à la disposition du Consul d'Espagne à Bayonne.

Le 9 septembre 1873, arrivait à Saint-Jean Pied-de-Port une partie de la garnison de Valcarlos, qui s'était vue forcée de capituler. Cette ambassade demanda le même jour que les 7 officiers et 115 soldats provenant de cette garnison fussent mis à la disposition du. Consul d'Espagne à Bayonne, conformément à ce qui avait été fait précédemment, afin de les restituer en Espagne par Irun ou Santander. Mais M. le Préfet donna les ordres pour envoyer ces 7 officiers et 115 soldats de Bayonne à Cette, c'est-à-dire pour les transporter au point extrême de la France qui communique avec l'Espagne, contrariant la réclamation du Consul, qui voulait faire rentrer cette colonne en Espagne par l'endroit le moins coûteux et le plus rapproché du corps d'armée auquel elle appartenait.

Il est aussi à remarquer le motif allégué par ce même fonctionnaire pour ne pas vouloir même écouter le Consul au sujet de divers internements: ce motif était que les individus que l'on désirait éloigner se trouvant près de la princesse Marguerite, de laquelle s'occupait Monsleur le Ministre des affaires étrangères et Monsieur l'Ambassadeur d'Espagne, il ne pouvait pas faire interner les personnes composant la suite de cette princesse. Il serait un peu difficile de savoir si cette excuse pouvait être acceptée, où commenceet où finit cette suite, dans laquelle tous les Carlistes peuvent être compris; et à l'égard du baron de la Torre, dont l'internement avait été aussi réclamé, nous voyons le fonctionnaire dont il s'agit s'attribuer la faculté de ne pas l'éloigner, parce que, bien que carliste, il ne s'occupait pas, d'après son dire, des affaires de son parti, tandis qu'il se trouve actuellement à Pau, où il fait diverses acquisitions de fournitures pour être expédiées aux Carlistes.

C'est aussi bien étrange de voir le Préfet de la Gironde faire la supposition que le duc de la Roca, soi-disant lieutenant général carliste et chef de la maison militaire du Prétendant, se trouvait à Bordeaux, occupé exclusivement de procurer des ressources aux blessés; et ce même Préfet croit également que certains ecclésiastiques, désignés par notre Consul comme des agents actifs du Carlisme, ne peuvent pas être internés, parce qu'ils sont affectés au service de la cathédrale et de diverses autres paroisses.

Je comprends parfaitement bien qu'on ne puisse pas appliquer la même mesure à tous les partisans d'une cause politique indistinctement, et qu'il soit nécessaire de considérer les circonstances particulières de chacun pour agir en conséquence; mais le Préfet auquel l'internement d'un étranger est demandé, si la mesure lui semble injuste, doit la soumettre à son Gouvernement, lequel, d'accord avec le Représentant respectif, pourra adopter la disposition qu'il jugera la plus convenable; mais je ne crois pas que les Préfets puissent s'attribuer à aucun titre cette faculté.

Répondant à mes indications sur la non-observance des Traités, Votre Excellence dit que je ne lui ai pas signalé l'article du Traité dénoncé, et que c'est à tort que, dans une circonstance récente et å propos de la navigation sur la Bidassoa, Monsieur le Chargé d'affaires aurait fait voir la négligence de l'observation des Conventions internationales. Il s'agissait des bâtiments français stationnés sur la Bidassoa et servant d'entrepôts à toutes sortes de marchandises et à la contrebande de guerre; ce fait constitue une violation de l'article 1er des dispositions additionnelles au Traité de limites entre l'Espagne et la France, du 2 décembre 1856, article cité à cette occasion par Monsieur le Chargé d'affaires d'Espagne. Eh bien, malgré que l'administration française ait connaissance de ce fait, les dépôts susdits continuent toujours à la même place.

En m'informant que le commerce de chevaux est libre en France, Votre Excellence dit qu'il appartenait au Gouvernement espagnol d'interdire l'importation en Espagne des chevaux acquis par les Carlistes dans les départements du midi de la France. La frontière a deux côtés, en effet; mais si les autorités françaises limitrophes étaient animées d'un autre esprit, permettez-moi de vous le dire, la surveillance espagnole deviendrait plus facile. Il est évident que ceux qui font la contrebande de guerre n'affrontent pas les passages occupés par les douaniers espagnols, mais bien les passages occupés accidentellement par les Carlistes, et en vertu d'un accord préalable. Ces accords resteraient complètement stériles si, de leur côté, les autorités françaises prenaient des mesures pour éviter les envois à destination d'Espagne qui ne seraient dùment autorisés par le Gouvernement espagnol et dont la France a en premier lieu connaissance.

Votre Excellence me fait savoir que, dès que l'Administration française a été informée de l'existence des comités à Bayonne, elle a pris des mesures pour les dissoudre, en internant les individus désignés comme en faisant partie. Mais j'ai le regret de dire à Votre Excellence que cette fois-ci encore les instructions du Gouvernement français n'ont pas été suivies. Si l'idée de faire changer de séjour a

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