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XXX.

Frideric.

1. 59.

les princes d'Allemagne, qui étoient alors reconnus AN. 1245. pour électeurs; favoir les laïques, les ducs d'AuftriSuite de la che, de Baviere, de Saxe & de Brabant, c'est-à-dire de dépontion de Louvain : les prelats, les archevêques de Cologne, de Matth. Par. Maïence & de Salsbourg. Ils devoient s'affembler feuls dans une isle du Rhein, fans qu'il fût permis à perfonne d'en approcher jufques à ce qu'ils fe fuffent accordez l'élection. Le pape leur écrivit, les priant instamment d'élire un autre empereur, leur promettant fon fecours & celui de toute l'église, & les affurant d'abord de quinze mille marcs d'argent ; mais ces princes furent quelque tems retenus par l'oppofition de Frideric, principalement le duc d'Auftriche fon allié.

Matth. Parif p. 595.

pour

L'empereur apprenant la nouvelle de fa dépofition; fut tranfporté de colere, & dit en regardant de travers les affiftans: Ce pape m'a dépofé dans fon concile & m'a ôté ma couronne, d'où lui vient cette audace? Qu'on m'apporte mes caffettes. Et quand on les eut ouvertes, il dit: Voïez fi mes couronnes font perduës. Il en mit une fur fa tête, puis fe redreffa, & avec des yeux menaçans & une voix terrible, il dit: Je n'ai pas encore perdu ma couronne, & le pape, nile concile ne me l'ôteront point fans qu'il y ait du fang répandu. Un homme du commun aura l'infolence de me faire tomber de la dignité imperiale, moi qui n'ai point d'égal entre les princes. Ma condition toutefois en dévient meilleure : j'étois obligé de lui obéïr en quelque chofe, ou du moins de le refpecter; maintenant je ne lui dois plus rien. Et deslors il s'appliqua plus fortement à faire tout le mal qu'il pourroit au pape, Mon. Paduan. en fes biens, en fes parens & en fes amis. Il étoit à Turin quand il apprit sa déposition; & d'abord il

an. 1245.p.591

retourna à Cremone, où il regla les affaires de l'empi

re; puis il paffa en diligence dans la Pouille, & envoïa AN. 1245. promptement fon fils Conrad en Allemagne.

Matth. Parif

595.

Pour détourner les princes de l'obéïffance du pape, Petr. de Vin. & fe les rendre favorables, il leur écrivit deux lettres. lib. 1. epift. 2. Dans la premiere il les exhorte à profiter de fon t. exemple, & dit : Que ne devez-vous point craindre d'un tel pape chacun en particulier, s'il entreprend de me dépofer, moi qui fuis couronné empereur de la part de Dieu par l'élection folemnelle des princes & l'approbation de toute l'églife, & qui gouverne tant d'autres grands roïaumes? lui qui n'a droit d'exercer aucune rigueur contre nous, quant au temporel, fupposé même qu'il y en eût des caufes legitimes & bien prouvées. Mais je ne fuis pas le premier que le clergé a ainsi attaqué, abufant de sa puissance, & je ne ferai pas le dernier. Vous en êtes cause obéïffant à ces hypocrites, dont l'ambition eft fans bornes. Si vous vouliez y faire attention, combien découvririez-vous dans la cour de Rome d'infamies que la pudeur ne permet pas même de reciter ? Ce font les grands revenus dont ils se font enrichis aux dépens de plufieurs royaumes, qui les rendent insenfez: quelle recompenfe, quelle marque de reconnoiffance vous donnent-ils, pour les 'dîmes & les aumônes dont vous les nourriffez? Et enfuite: Ne croïez pas que je fois abbatu par la sentence du pape, la pureté de ma confcience dont Dieu m'est témoin, m’affure qu'il eft-avec moi. Mon intention a toûjours été de reduire les ecclefiaftiques, principalement les plus grands, à l'état où ils étoient dans la primitive église, menant une vie apoftolique & imitant l'humilité de N. S. Ils voyoient les anges, ils

gueriffoient des malades, reffufcito ient des morts, & ・AN. 1245. foûmettoient les rois & les princes, non par les armes, mais leur vertu. Ceux-ci livrez au fiecle, enyvrez par

XXXI. Lettre de Frie

Matth. Parif.

p. 614
v. Rain. 1246.
The 21. joc.

des delices, méprifent Dieu; & l'excés de leurs richefses étouffe en eux toute religion. C'est donc une œuvre de charité de leur ôter ces richeffes pernicieufes qui les accablent; & c'est à quoi vous devez travailler tous

avec moi.

L'autre lettre de l'empereur Frideric eft adressée au deris à S. Louis. roi S. Louis, & tend principalement à montrer les P.Vin. 1. p. 3. nullitez de la fentence du pape. La premiere eft l'incompetence du juge. Car, dit-il, encore que fuivant la foi catholique nous reconnoiffions que Dieu a donné au pape la plenitude de puiffance en matiere fpirituelle: on ne trouve toutefois écrit nulle part, qu'aucune loi divine, ou humaine lui ait accordé le pouvoir de transferer l'empire à fon gré, ou de juger les rois & les princes pour le temporel, & les punir par la privation de leurs états. Il eft vrai que par le droit & la coûtume il lui appartient de nous facrer; mais il ne lui appartient pas plus pour cela de nous déposer, qu'aux prelats des autres roïaumes qui facrent leurs

rois.

Il vient enfuite aux vices de la procedure. Il n'a procedé contre nous, dit-il, ni par accusation, ni par dénonciation, ni par inquifition; mais fur une pretenduë notorieté, que nous nions, & qui serviroit à tout juge de pretexte pour condamner qui il voudroit, fans ordre judiciaire. On dit que quelques témoins en très-petit nombre fe font élevez contre nous dans le concile, dont l'un favoir l'évêque de Calvi, étoit irrité parce que nous avions fait pendre justement

fon frere & fon neveu convaincus de trahifon. D'autres, comme l'archevêque de Tarragone & celui de AN. 1245. Compostelle venus de l'extremité de l'Espagne, & nullement inftruits des affaires d'Italie, ont été faciles à fuborner. Mais quand il y auroit eu un accufateur & des témoins, il falloit encore que l'accufé fut present ou contumacé dans les formes. Nous n'avions point été cité valablement & nous avons envoïé des procureurs propofer les caufes de notre abfence,qu'on n'a voulu écouter. Or il eft clair, que nous n'étions poursuivi que civilement & non criminellement, puifque la citation même portoit, que nous comparoî trions en perfonne ou par procureur. Suppofé même la contumace, elle ne doit pas être punie par un jugement définitif, qui condamne fans connoiffance de caufe. La forme de la prononciation montre encore la nullité de la fentence, puifque ce n'eft pas nôtre procureur prefent qui eft condamné, mais nous abfent.

"

Nous montrons au fonds l'injustice de la fentence par des monumens publics, comme le porteur des prefentes l'expliquera en détail. On voit la precipitation de la fentence, en ce que le pape n'a pas voulu attendre feulement trois jours l'évêque de Frifingue, le maître de l'ordre Teutonique & Pierre des Vignes, que nous avions envoïez au concile en dernier lieu pour conclure le traité de paix. Enfin la qualité de la peine fait voir l'animofité & la vanité du juge. Il condamne pour crime de leze-majesté l'empereur Romain, il soûmet à la loi celui qui par fa dignité est affranchi des loix, que Dieu feul peut punir de peines temporelles, puifqu'il n'a aucun homme au deffus de lui. Quant aux peines fpirituelles, c'eft-à-dire des

penitences pour nos pechez, nous les recevons avec AN. 1245. refpect & les obfervons fidelement quand elles nous font impofées, non feulement par le pape que nous reconnoiffons au fpirituel pour notre pere & notre maître, mais encore par quelque prêtre que ce foit. Ce qui fait voir manifeftement avec quelle juftice on veut nous rendre fufpect touchant la foi, que nous croïons fermement & profeffons fimplement, Dieu en est témoin, fuivant l'approbation de l'église catholique &

Romaine.

Confiderez donc fi nous devons obéir à cette fentence fi préjudiciable non seulement à nous, mais à tous les rois, les princes & les feigneurs temporels, donnée fans la participation d'aucun des princes d'Allemagne de qui dépend notre élection & notre destination. Confiderez les fuites de cette entreprise. On commence par nous, mais on finira par vous; & on fe vante publiquement qu'on n'a plus aucune refiftance à craindre, après avoir abbatu notre puissance. Défendez donc votre droit avec le nôtre, & pourvoïez désà prefent à l'interêt de vos fucceffeurs. Loin de favorifer notre adverfaire publiquement ou fecretement, ni fes legats ou fes nonces, refiftez-lui courageufement de tout votre pouvoir, & ne recevez dans vos terres aucun de ses émissaires, qui prétendent foulever vos fujets contre nous. Et foiez affurez qu'avec le fecours du roi des rois qui protege toûjours la justice nous nous oppoferons de telle forte à ces commencemens, que vous n'aurez pas fujet d'en craindre les fuites. Dieu demandera compte de ce trouble, qui met en peril toute la Chrétienne, à celui qui en fournit la matiere. Cette lettre eft dattée de Turin le dernier jour

de

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