Images de page
PDF
ePub

par la Pologne & la Ruffie, & nous donna des lettres & une bonne escorte. Etant arrivez chez Conrad duc de Lancicie, nous y trouvâmes Vafilico duc de Ruffie, qui à la priere du duc Conrad nous mena chez lui, & nous y retint quelque tems. Nous le priâmes de faire venir fes évêques, & nous leur lûmes les lettres du pape qui les exhortoit à se réunir à l'église, & nous efforçâmes de les perfuader; mais ils ne pûrent nous donner de réponse décisive, à cause de l'absence du duc Daniel frere de Vafilico, qui étoit allé trouver Batou chef des Tartares. Vafilico nous fit conduire jufques à Kiovie metropole de Ruffie: mais nôtre vie étoit toûjours en peril, à caufe des Lithuaniens, qui faifoient fouvent des courfes dans le païs, & nous fouffrîmes beaucoup du froid & de la neige.

[ocr errors]

c. 20.

Le fecond jour après la Purification, c'est-à-dire le quatriéme de Fevrier 1246. nous arrivâmes à Canove village dépendant immediatement des Tartares; & le premier vendredi après le jour des cendres, qui étoit le vingt-troifiéme du même mois, nous arrivâmes à la premiere garde des Tartares. Le lendemain matin aprés avoir un peu marché nous rencontrâmes ceux qui y commandoient; & ils nous demanderent Berg. c. 102, pourquoi nous étions venus chez eux, & quelle affaire nous y avions? Nous répondîmes: Nous fommes des envoyez du pape, qui eft le pape, qui eft le pere & le feigneur des Chrétiens, il nous envoye au roi, aux princes des Tartares, & à toute la nation, parce qu'il defire que tous les Chrétiens foient amis des Tartares & ayent la paix avec eux. Il fouhaite de plus qu'ils foient grands auprès de Dieu dans le ciel; c'eft pourquoi il les exhorte tant par fes lettres que par nous à

-21.

fe faire Chrêtiens, parce qu'autrement ils ne peuvent être fauvez. Il leur mande encore qu'il s'étonne de ce qu'ils ont fait mourir tant d'hommes, principalement des Chrétiens, & en particulier des Hongrois, des Moraves & des Polonnois, qui font fes fujets, vû que ces peuples ne les avoient point offenfez. Et parce que Dieu en eft fort irrité, il les exhorte à s'en abftenir déformais & en faire penitence. Il les prie auffi de lui écrire ce qu'ils veulent faire à l'avenir & quelle eft leur intention. Les Tartares ayant oui nôtre réponse, dirent qu'ils nous feroient conduire à Corenza, qui. eft le chef de la garde avancée contre les peuples d'Occident, pour éviter les surprises : & on dit qu'il commande un corps de foixante mille hommes. Il garde le cours de Nieper du côté de la Russie.

venus par

pas

Quand nous fumes arrivez à fa cour il nous fit lo-ger loin de lui, & nous envoïa demander, comment nous voulions. le faluër, c'est-à-dire, quels prefens nous lui voulions faire. Nous répondîmes, que le pape n'envoïoit point de prefens, ne fachant fi nous pourrions arriver jufques à eux: outre que nous étions des lieux fort dangereux. Mais que nous ne laifferions de lui faire honneur du peu que nous avions pour notre fubfiftance. On nous mena à fa horde ou fa tente, & on nous avertit de fléchir trois fois le genou gauche à la porte, & prendre garde de ne pas marcher fur le feuil. Quand nous fumes entrez, il nous fallut nous tenir à genoux pendant que nous expofions nôtre charge devant Corenza & tous les grands qu'il avoit affemblez pour ce fujet : elle étoit telle que nous venons de l'expliquer. Nous prefentâmes aussi les lettres du pape. Mais l'interprete

que nous avions amené de Kiovie n'étoit pas capable de les expliquer, & nous n'en trouvions point d'autre affez habile.

B 11

De-là on nous donna des chevaux & trois Tartares, pour nous cunduire promptement a Batou-can, qui eft le plus puiffant entre-eux après l'empereur, & campe fur le Volga. Nous nous mîmes en chemin le lundi d'après le premier dimanche de Carême, c'est-àdire le vingt-fixiéme de Fevrier 1246. & quoique nous fiffions grande diligence, nous ne pûmes arriver que le mercredi de la femaine fainte, c'est-à-dire, le quatriéme d'Avril. Etant au quartier de Batou, nous fû- в c. mes logez environ à une lieuë de lui; & quand on dut nous mener en fa prefence, on nous dit qu'il falloit paffer entre deux feux. Nous ne le voulions point faire, mais ils nous dirent, que ce n'étoit qu'une précau tion, afin que fi nous avions quelque mauvais dessein, ou fi nous portions quelque poifon, le feu en empêchât l'effet. Nous répondîmes que nous le ferions pour purger ces fortes de foupçons. Nous eûmes audiance avec les mêmes ceremonies que chez Corenza : nous demandâmes des interpretes pour traduire les lettres du pape, & on nous en donna le vendredi faint. Nous les traduisîmes avec eux en Ruffien, en Arabe & en Tartare : & cette derniere traduction fut presentée à Batou, qui la lût attentivement.

Le famedi faint il nous fit dire, que nous irions trou ver l'empereur Couïne, autrement Caïouc; mais il retint quelques-uns des nôtres, fous prétexte de les renvoïer au pape; & nous leur donnâmes des lettres contenant la relation de tout ce que nous avions fait. Mais quand ils furent arrivez au Nieper, on les y

Gcc iij

c. 30.

nous

4. 23. retint jusques à nôtre retour. Le jour de Pâques hui-
tiéme d'Avril après l'office nous nous separâmes de
nos freres avec beaucoup de larmes, ne fachant fi
e. 25. allions à la vie ou à la mort. Deux Tartares nous con-
duifoient, & nous étions fi foibles qu'à peine pou-
vions-nous aller à cheval; car pendant ce Carême nous
n'avions eu autre nourriture que du millet avec de
l'eau & du fel. Il en étoit de même les autres jours de
jeûne, & nous ne bûvions que de la neige fonduë.
Nous ne laifsâmes pas de marcher en grande diligen-
ce, changeant de chevaux fouvent quatre ou cinq
fois par jour, depuis l'octave de Pâques quinzieme
d'Avril 1246. jufques au jour de la Magdelaine vingt-
4.14. deuxième de Juillet. Pendant ce long voïage nous vî-
mes des campagnes femées de têtes & d'os d'hommes
morts, & une infinité de villes & de châteaux ruïnés:
tristes monumens du paffage des Tartares.

LXIII.

[ocr errors]

C. c.
Sup. liv.

LXXIX. n. 2.

320.

P. 358.

A la Magdelaine nous arrivâmes auprès de CouiCaiouc Can ne, mais il ne nous donna pas alors audiance, parce des Tartares. qu'il n'étoit qu'il n'étoit pas élû empereur, & ne fe mêloit pas encore du gouvernement. Pour entendre cet endroit de la relation il faut favoir qu'Octaï fils de GinguizAboulfar. p. can & fecond empereur des Mogols ou Tartares, mouBibl. Orient. rut l'an 643. de l'Ĥegire 1245. de J. C. après avoir défigné pour fon fucceffeur Caïouc-can fon fils aîné, Abulf. p. 821. qui eft ici nommé Couïne, & ailleurs Gino-can. Sa mere gouverna pendant l'interregne, c'est-à-dire jufques l'affemblée generale de la nation, nommée Couriltaï, ou Caïouc, fut élû pour son merite, en 1246. il avoit deux principaux ministres ou Atabecs, J'un nommé Cadac, l'autre Gincaï: Cadac étoit Chrétien & baptifé. Gincaï fans l'être ne laiffoit pas

Haiton. c. 19.

d'être favorable aux Chrétiens; & tous deux leur attirerent la bien veillance de Caïouc-can & de fa mere, en forte qu'ils traitoient bien les évêques & les moines, & eftimoient les peuples Chrétiens, comme les Francs, les Ruffes, les Syriens & les Armeniens. Mais Caïouc-can ne regna gueres que deux ans, & mourut en 647. 1249. Reprenons la relation.

p. 322.

Aprés que nous eûmes été cinq ou fix jours auprés Vinc. Berg.c.3ðide Couïne, il nous envoïa à fa mere au lieu où fe tenoit l'affemblée generale. Nous y fûmes environ qua- c. 31. tre femaines: on y fit l'élection, & Couïne devoit être mis fur le trône le jour de l'Affomption de N. Dame, B. c. 16.. mais la grêle qui furvint l'obligea de differer. Nous demeurâmes là jusques au jour de S. Barthelemi vingtquatriéme d'Août 1246. auquel Couïne fut intronifé: & tous, tant les grands que le peuple, vinrent fléchir les genoux devant lui, excepté nous qui n'étions pas fes fujets. Il paroiffoit avoir quarante ou quarantecinq ans : il étoit de taille mediocre, prudent, rufé & fort ferieux. Les Chrétiens qui étoient de sa maifon nous affuroient qu'il devoit fe faire Chrétien. Ce V. c. 33. qui le faifoit croire, c'eft qu'il tenoit auprès de lui des ecclefiaftiques qu'il entretenoit à fes dépens, & B. c. 194° avoit une chapelle devant fa grande tente, où ils chantoient publiquement, & donnoient le fignal pour les heures à la maniere des Grecs; les autres chefs des Tartares ne donnent point cette liberté aux Chrétiens. Toutefois pendant que nous étions là à cette même affemblée, il leva l'étendart contre l'églife & l'empire Romain, & contre tous les roïaumes Chrétiens & les peuples d'Occident, menaçant de leur faire la guerre, s'ils ne faifoient ce qu'il mandoit au pape

« PrécédentContinuer »