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rencontrerions pour en exhortèr le chef &tous ceux AN. 1247 qui luy obéiffent à ceffer cette deftruction, principalement des Chrétiens, & fe repentir de crimes qu'ils ont commis. C'est pourquoi nous prions vôtre maître de recevoir les lettres du pape & y faire réponse.

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Les Tartares s'en allerent & revinrent quelque tems après revêtus d'autres habits & demanderent aux freres, s'ils apportoient des prefens. Ascelin repondit: Le pape n'a pas accoûtumé d'envoyer des prefens, principalement à des inconnus & des infideles au contraires les Chrétiens fes enfans lui en envoyent, & fouvent les infideles même. Les Tartares demandoient aux freres avec empreffement fi les Francs pafferoient encore en Syrie : car ils difoient avoir appris par leurs marchands que plufieurs devoient y venir bien - toft. Et peut être fongeoient-ils à leur tendre des pieges en feignant de vouloir embraffer la foy ou autrement, pour les détourner de leurs terres & fe les rendre amis au moins pour un temps. Car au rapport des Georgiens & des Armeniens, ils craignent les Francs fur toutes les nations du monde. Enfuite les offi- c. 425 ciers Tartares revinrent & dirent aux freres: Si vous voulez voir nôtre maître & lui prefenter les lettres du vôtre, il faut que vous l'adoriez par trois genuflections, comme le fils de Dieu regnant fur la terre ; car telle est l'ordre du Can, que Baïothnoi foit honoré comme lui-même. Quelques-uns des. Freres craignoient que cette adoration ne fût une idolâtrie; mais frere Guichard de Cremone qui favoit les coûtumes des Tartares, leur répondit :: Ddd iij

Ne craignés rien, on ne vous demande cette forte AN. 1247. de reverence, que pour marquer que que pour marquer que le pape & toute l'église feront foûmis aux ordres du Can, & tous les ambassadeurs font cette ceremonie, Les freres aiant déliberé fur ce fujet, réfolurent tout dune voix de perdre plûtôt la tête que de faire ces genuflections, tant pour conferver l'honneur de l'églife, que pour ne pas fcandalifer les Georgiens les Armeniens & les Grecs; même les Perfans, les Turcs & toutes les nations Orientales. D'ailleurs ils ne vouloient pas donner occasion aux ennemis de l'église de se réjouir, & aux Chrétiens captifs des Tartares de defefperer de leur délivran

ce.

Afcelin declara cette réfolution à tous les affiftans, & ajoûta : Pour vous montrer que nous ne parlons pas ainfi par orgueil ou par une dureté inflexible, nous fommes prêts de rendre à vôtre maître tout le refpect que peuvent rendre avec bien-feance des prêtres de Dieu & des religieux nonces du pape. Nous lui rendrons le même refpect qu'à nos fuperieurs, à nos rois & à nos princes. Que fi Baiothnoi vouloit fe faire Chrétien fuivant le fouhait du pape & le nôtre, non feulement nous féchirions le genou devant lui, & devant vous tous, mais nous vous baiferions la plante des piés. A cette propofition les Tartares entrerent en fureur & dirent aux freres: Vous nous exhortés à nous faire Chrétiens, & à devenir des chiens comme vous ? Vôtre pape n'est-il pas un chien, & tous vous autres des chiens? Afcelin ne pût répondre que par une fimple negative, tant

étoient grandes leurs clameurs & leurs emporte- AN. 1247.

mens.

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Les réponses des freres étant rapportées à Baïothnoi il les condamna à mort; mais quelques-uns de fon confeil étoient d'avis de n'en tuer que deux,& renvoyer les deux autres au pape. D'autres difoient: II faut en écorcher un, emplir fa peau de paille, & la renvoyer à fon maître par fes compagnons. On propofoit encore d'autres manieres de s'en défaire. Enfin une des fix femmes de Baïothnoi lui dit : Si vous faites mourir ces envoyés, vous vous attirerez la haine de tout le monde vous perdrez les prefens que l'on vous envoye de toutes parts, & on fera mourir fans mifericorde vos envoyés. Baïothnoi se rendit à la raifon. Les Tartares revinrent aux freres & leur demanderent comment les Chrétiens adoroient Dieu. Afcelin répondit : En plufieurs manieres, les uns profternez, d'autres à genoux, d'autres autrement. Plufieurs étrangers adorent votre maître comme il lui plaît, épouvantés par fa tyrannie; mais le pape & les Chrétiens ne la craignent point, & ne reconnoiffent point les ordres du Can, dont ils ne font point fujets. Les Tartares dirent: Mais vous adorez du bois & des pierres, c'està-dire les croix qui y font gravées ? Afcelin répondit: Les Chrétiens n'adorent ni le bois ni la pierre ; mais la figure de la croix, à caufe de Notre-Seigneur JESUS-CHRIST qui y a été attaché pour notre falut.

c. 44.

c. 454

Enfuite Baiothnoi leur fit dire d'aller trouver 6. 4. le Can, pour voir eux-mêmes la grandeur de fa puissance, & lui rendre les lettres du pape. Mais

Afcelin inftruit des artifices du Tartare répondit : AN. 1247 Mon maître ne m'a pas envoyé au Can qu'il ne connoît point, mais à la premiere armée de Tartares que je rencontrerois. Je n'irai donc point au Can ; & fi votre maître ne veut pas recevoir les lettres du pape, je retournerai vers lui, & lui rendrai compte de ce qui s'eft paffé. Les Tartares ajoûterent: De quel front ofez- vous avancer que le pape eft le plus grand de tous les hommes? Qui a jamais oui dire que votre pape ait conquis autant, & d'auffi grands royaumes que le Çan en a conquis, par la conceffion de Dieu dont il eft le fils? Le Can eft donc plus grand que votre pape & que tous les hommes? Afcelin répondit: Nous difons que le pape eft le plus grand de tous les hommes en dignité, parce que le Seigneur a donné à Saint Pierre & à fes fucceffeurs la puiffance univerfelle fur toute l'églife. Il s'efforça de fatisfaire plus amplement à la queftion des Tartares par plufieurs exemples & plufieurs raifons, qu'ils ne comprirent point, parce qu'ils étoient trop brutaux. Mais il ne paroît pas qu'il leur ait dit ce qui étoit le plus propre à les appaifer, que la puiffance du pape eft toute spirituelle, & ne regarde point les chofes tempo

47.48.49.

relles.

On traduifit enfuite les lettres du pape en Perfan, & de Persan en Tartare, afin que Baïothnoi pût les entendre; & les freres demanderent fa . réponse; mais ils furent plus de deux mois à l'attendre, étant traitez comme des miferables avec le dernier mépris. On les laiffoit à la porte de fa tente depuis le matin jufques à midi ou plus tard,

expofés

AN. 1247.

c. so.

expofés à l'ardeur du foleil pendant le mois de Juin & de Juillet, & fouvent on ne daignoit pas même leur parler. Enfin ils obtinrent leur congé le jour de faint Jacques vingt-cinquiéme de Juillet, & Baïothnoi dépêcha avec eux fes envoyés chargés de fa lettre pour le pape & de celle du Can à lui, qu'ils nommoient la lettre de Dieu. La lettre de Baïothnoi portoit: Voici la parole de Baïoth- e. sI. noi envoyé par l'authorité divine du Can. Sache pape que tes nonces font venus & ont apporté tes lettres. Ils ont dit de grandes, paroles: nous ne favons fi c'est par ton ordre ou d'eux-mêmes. Tu difois dans tes lettres : Vous tués & faites perir bien des hommes. L'ordre que nous avons receu de Dieu & de celui qui commande à toute la face de la terre eft tel. Quiconque obéira au commandement, qu'il demeure dans fon païs & dans fes biens, & livre fes forces au maître du monde : ceux qui n'obéïront pas, qu'ils foient détruits. Si vous voulez demeurer dans vôtre païs & dans vos biens, il faut que toi pape viennes à nous en perfonne & au maître de toute la terre; & avant que tu viennes il faut que tu envoyes des nonces, pour nous faire favoir fi tu viendras ou non : & fi tu veux traiter avec nous, ou être nôtre ennemi. La lettre du Can n'étoit qu'une commiffion à Baïothnoi au nom de Ginguiz-can, pour faire reconnoître sa puiffance par toute la terre. Voilà quel fut tout le fruit des travaux & des perils où s'expoferent ces zelez missionnaires. Le voyage de Frere Afcelin fut de trois ans & fept mois avant qu'il revint près du pape.

Tome XVII.

Eee

c. 520

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