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loit fixer une rançon raisonnable, il manderoit à la reine de la payer. Le fultan demanda un million de befans d'or, qui valoient alors cinq cens mille livres, monoye de France, & vaudroient aujourd'hui quatre millions, à trente livres le marc d'argent. Le roi dit, qu'il payeroit volontiers les cinq cens mille livres pour la rançon de fes gens, & rendroit Damiete pour fa perfonne; & qu'il n'étoit point de condition pour mettre fa délivrance à prix d'argent. Le fultan l'ayant appris, répondit : Par ma loi le François eft franc & liberal, de n'avoir point marchandé sur une si grande somme : allez lui dire que je lui donne fur fa rançon cent mille livres, il n'en payera que quatre cens mille.

AN. 1250.

Le traité fut donc conclu à ces conditions. Qu'il Duchefnes y auroit tréve pour dix ans entre les deux nations. P. 430. Que le fultan mettroit en liberté le roi Louis, tous les Chrétiens qui avoient été pris depuis fon arrivée en Egypte, & même depuis la tréve faite par l'empereur Frideric avec le fultan Camel, ayeul de celui-ci. Que les Chrétiens garderoient paisiblement toutes les terres qu'ils poffedoient dans le royaume de Jerufalem, à l'arrivée de Louis avec leurs dépendances. Louis de fon côté promettoit de rendre Damiete au fultan, & lui payer huit cens mille befans, tant pour la rançon des prifonniers, que pour fon dédommagement. Il devoit aufli mettre en liberté tous les Sarrafins pris en Egypte par les Chrétiens depuis fon arrivée, & dans le royaume de Jerufalem, depuis la tréve avec l'empereur. Le fultan devoit conferver au roi, & à tous les autres Chrétiens, les meubles qu'ils avoient laillez à DaTome XVII, L 11

miere; donner feureté & liberté aux malades & à AN. 1250. ceux qui resteroient pour leurs affaires.

Joinu. p. 69.70.

Ce traité ayant été ainfi conclu & juré de part & d'autre, le fultan Moadam marcha avec fes troupes Abulfar. p.324. vers Damiete pour en prendre poffeffion; mais comme il étoit à Pharefcour, les principaux émirs irritez de ce qu'il ne fuivoit pas leurs confeils & de ce qu'il avoit fait ce traité fans eux, le tuerent fortant de table aprés fon dîner. Il n'avoit regné que deux mois & quelques jours depuis son arrivée en Egypte; & en lui finit la race des fultans AïoubiFragm.Duchef- tes ou enfans de Job, dont Saladin fut le premier,. & qui avoit duré quatre-vingt deux ans. Alors commença le regne des Mammelucs; c'étoit des efclaves Turcs, que Melic Saleh avoit achetés des Tartares, au nombre de mille; les avoit fait élever & dreffer à la guerre, & en avoit mis quel-ques-uns dans les plus grands emplois. Le premier de leurs fultans fut Azeddin, autrement Moaz Ibec le Turcoman.

ne. p. 433.

tes,

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Auffi-tôt que Moadam fut mort, les émirs vinrent à la tente de faint Louis avec les épées fumanles mains enfanglantées, & les vifages furieux. Un d'eux lui dit : Que me donneras-tu pour avoir tué ton ennemi, qui t'eût fait mourir s'il eût vêDuch. p. 404. Cu? Le roi ne répondit rien, & l'émir lui prefentant l'épée, comme pour le frapper, ajoûta : Faismoi chevalier, ou je te tue. Le roi fans s'émouvoir répondit, que jamais il ne feroit chevalier un infidele. Enfin tous ces furieux s'appaiferent: ils p. 469. baifferent la tête & les yeux; & faluant le roi les mains croifées, à leur maniere, ils lui dirent ::

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Ne craignez rien feigneur vous êtes en fûreté. Ne vous étonnez point de ce que nous avons fait, il étoit necessaire. Faites promptement ce qui dépend de vous fuivant ce qui eft convenu & vous ferez bien-tôt délivré.

AN. 1250.

Mais il furvint de la difficulté fur les fermens p. 404. Joinv. p. 72. pour la confirmation du traité. Les émirs jurerent que s'ils ne tenoient les conventions ils vouloient être deshonorez comme celui qui va nuë tête au pelerinage de la Meque, qui reprend fa femme après l'avoir quittée, ou qui mange de la chair de porc. Le roi fe contenta de fes fermens, parce qu'un docteur nommé Nicolas d'Acre bien informé de leurs mœurs l'affura qu'ils ne pouvoient en faire de plus grands. Enfuite les émirs par le confeil de quelques renegats propoferent au roi deux formules de fermens. La premiere, qu'en cas qu'il ne tint pas les conventions il feroit feparé de Dieu & de la compagnie des faints. La feconde, qu'il feroit reputé parjure comme celui qui renonce à Dieu & à fon baptême & qui crache par mépris fur la croix & la foule aux pieds. Louis fe foûmit au premier ferment & refufa le fecond: dequoi les émirs irritez lui firent dire par Nicolas d'Acre, qu'ils étoient très mal contents de lui, en ce qu'ils avoient juré tout ce qu'il avoit voulu, & il ne vouloit pas jurer ce qu'ils demandoient. Nicolas ajoûta: Soyez affu. ré que fi vous ne faites ce ferment ils vous feront couper la tête & à tous vos gens. Ils feront ce qu'ils voudront, répondit le roi, mais j'aime mieux mourir bon Chrêtien que d'encourir l'indignation de Dieu & de fes Saints.

p.73.

Sup. liv..

LXXI n. 39.

Les émiers étant enfuite entrez, un d'eux dit que AN. 1250. c'étoit le patriarche de Jerufalem qui donnoit ce confeil au roi, & que fi on le vouloit croire il feroit bien jurer leroi en coupant la tête au patriarche, &, la faisant voler fur les genoux du roi. Ce prélat étoit Robert auparavant évêque de Nantes, & depuis dix ans patriarche de Jerufalem. Il étoit venu de Damiete avec fauf conduit pour aider au roi à faire le traité, & c'étoit un vieillard de quatre-vingt ans. Les émirs le prirent & le lierent devant le roi à un poteau, les mains derriere le dos, fi ferrées qu'elles devinrent en peu de tems groffes comme la tête & le fang en fortoit en plufieurs endroits. Il crioit Ha fire jurez hardiment: jen prens le peché fur moi, puifque vous voulez accomplir vôtre promeffe. Je ne fai, ajoûte le fire de Joinville, fi le ferment fut fait, mais enfin les émirs furent contens. Il fut convenu que Damiete leur feroit renduë le lendemain de l'Afcenfion, c'est-à-dire le vendredi fixiéme de Mai, & en même tems le roi & tous les prifonniers délivrez.

livrés

XXI.

Le roi executa de bonne foi la convention: il

3. Louis de- rendit Damiete le jour marqué & paya les deux cent mille livres du premier payement. Comme il manquoit trente mille livres pour achever la fomme, il la demanda à emprunter au commandeur du Temple, qui d'abord la refusa, sous prétexte qu'il ne pouvoit difpofer des deniers de l'ordre fans violer fon vou. Mais le fire de Joinville par ordre du roi s'etant mis en devoir de rompre à coups de coignée un coffre qu'on ne lui vouloit pas ouvrir, en tira l'argent neceffaire. Le roi fut

Joinv. p. 87.

enfuite averti que les Sarrafins s'étoient mécomp- AN. 1250. tez de dix mille livres mais il s'en fâcha ferieufement & les fit payer avant que de partir. Il quitta Duch p. 431. ainfi l'Egypte avec fes deux freres Alfonfe & Charles & plufieurs autres feigneurs & chevaliers : laiffant des commiffaires pour retirer le refte des prifonniers, & payer les autres deux cens mille livres.

Le roi arriva au port d'Acre où il fut reçû par Joinu.p. Hi ceux de la ville avec grand joye, & les proceffions vinrent au- devant de lui jufqu'à la mer. De-là il envoya encore des ambaffadeurs & des vaiffeaux en Egypte pour ramener les prifonniers, les ma- Duch. p. 431.chines, les armes, les tentes, les chevaux & tout le refte de ce qu'ils avoient laiffé. Les émirs retinrent long-tems au Caire ces ambassadeurs, leur donant de belles efperances, mais de plus de douze mille prifonniers ils n'en rendirent que quatre

cens,

& rien de tous les meubles. Dès leur entrée Joinv. p. à Damiete ils avoient égorgé tous les malades & brûlé toutes les machines & les autres chofes qu'ils devoient garder. Ils choifirent entre leurs prifonniers les jeunes gens les mieux faits, & leur mettant fur le cou le tranchant de leurs épées, ils s'efforçoient de leur faire profeffer la religion Mahometane; plufieurs apoftafierent, les autres fouffrirent le martire.

Louis avoit réfolu de revenir en France, fupofant que les prifonniers feroient délivrez, & que ce que les Chrétiens poffedoient outre - mer demeureroit en paix pendant tout le tems de la tréve; mais la mauvaise foi des émirs lui fit changer de réfolution. Voyant clairement qu'ils fe mo

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