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que vous n'aurez point les biens celeftes, fi vous n'êtes Chrétien. Car Dieu dit: Qui croira & sera Marc 16. baptisé sera sauvé, mais qui ne croira damné.

pas

fera con

A ces mots il foûrit modeftement, & les autres Mogols commencerent à battre des mains, fe moquant de nous. Mon interprete eut grand peur, & je fus obligé de le raffurer. Après qu'on eût fait filence, je dis à Baatou : Je fuis venu vers votre fils parce que nous avons oui dire qu'il étoit Chrétien: je lui ai apporté des lettres de la part du roi de France, & il m'a envoyé à vous, vous en devez favoir la raison. Alors il me fit lever & fit écrire nos noms: puis il me dit, qu'il avoit appris que vous étiez forti de votre pays pour faire la guerre. Je lui dis que c'étoit contre les Sarrafins qui profanoient la maifon de Dieu à Jerufalem Il nous fit affeoir & nous fit donner à boire de fon cosmos, ce qui paffe chez eux pour un grand honneur. Nous fortîmes, & peu de tems après notre conducteur vint, & me dit: Le roi votre maître dit que l'on vous retienne en ce pays-ci, ce que Baatou ne peut faire fans la participation de Mangou-can. C'eft pourquoi il faut que vous alliez le trouver vous & votre interprete : votre compagnon & l'autre homme retourneront vous attendre à la cour de Sartach. Alors l'interprete Homodei se mit à pleurer fe croyant perdu, & mon compagnon protefta qu'on lui couperoit plûtôt la tête, que de le feparer de moi. Enfin Baatou ordonna que nous irions tous deux avec l'interprete, & que le clerc Gozet retourneroit vers Sartach: nous nous feparâmes ainfi avec larmes.

16.

XIX.

Jugures &

B. 107.

Nous marchâmes cinq semaines avec Baatou fui vant le cours du Volga; enfin vers l'Exaltation de la fainte croix, c'eft-à-dire la mi-Septembre, un riche Mogol vint nous dire : Je dois vous mener à Mangou-can: c'est un voyage de quatre mois, & par un pays où il fait un froid à fendre les pierres.

Nous marchâmes à cheval depuis le seiziéme de Septembre jufques à la Touflaints, tirant toûjours au levant, & ayant la mer Cafpienne au midi. On ne peut dire ce que nous fouffrîmes de faim, de foif, de froid & de fatigue. Les vendredis je demeurois à jeun jusques à la nuit fans rien prendre ; & alors j'étois contraint de manger de la viande avec douleur. Au commencement notre conducteur nous méprifoit fort; mais quand il commença à nous mieux connoître, il nous menoit aux riches Mogols, & il nous falloit prier pour eux : enforte que fi j'euffe eu un bon interprete, j'avois l'occafion de faire beaucoup de fruit. Ils étoient fort furpris de ce que nous ne voulions recevoir ni or ni argent, ni habits precieux. Ils demandoient fi le grand pape étoit aufli vieux qu'ils avoient oui dire, car on leur avoit dit qu'il avoit cinq cens ans,

Rubruquis raconte enfuite une conversation qu'il Neftoriens. eut avec les prêtres de certains idolâtres nommez H. p. 91. Jugures, & dit: Etant dans le temple, & y voyant quantité d'idoles grandes & petites, je leur demandai ce qu'ils croyoient de Dieu. Ils répondirent: Nous n'en croyons qu'un. Croyez-vous, leur dis-je, qu'il foit efprit ou quelque chofe de corporel? Nous croyons qu'il eft efprit. Croyez- vous qu'il ait jamais pris la nature humaine? Non, Puifque

vous croyés qu'il est esprit & unique, pourquoi lui faites-vous des images corporelles & en fi grand nombre ? & puifque vous ne croyez pas qu'il fe foit fait homme, pourquoi lui faites-vous des images d'hommes, plûtôt que d'autres animaux? Ils répondirent : Nous ne faifons pas ces images pour reprefenter Dieu, mais quand il meurt quelque homme riche entre les nôtres, fon fils, fa femme, ou quelque ami fait faire fon image & la met ici, & nous l'honorons en memoire de lui. Vous ne le faites donc, dis-je, que pour flater les hommes. Non, dirent-ils, c'eft pour honorer leur memoire. Alors ils me demanderent comme en fe moquant : Ou eft Dieu ? Et je leur dis: Où eft vôtre ame ? Dans nôtre corps. N'eft-il pas vrai qu'elle eft par tout votre corps, qu'elle le gouverne tout entier, quoi qu'on ne la voie pas ? Ainfi Dieu eft par tout & gouverne tout, & cependant il eft invifible, parce qu'il eft entendement & fageffe. Je voulois pouffer plus loin le raisonnement avec eux; mais mon interprete fatigué ne pouvant plus s'expliquer, m'obligea à me taire. Les Tartares font de cette fecte, en ce qu'ils ne croyent qu'un Dieu, & font auffi des images de leurs morts.

Parlant du Cataï qui eft la Chine, l'auteur dit, B. pi que les Neftoriens y habitent en quinze villes, & ont un évêché en celle de Segin. Ils font, ajoûtef-il, très-ignorans, & n'entendent point la langue Syriaque dans laquelle ils font leur fervice & lifent l'écriture fainte. De-là vient la corruption de leurs mœurs, fur tout l'ufure & l'yvrognerie. Quelquesuns ont plufieurs femmes comme les Tartares avec Tome XVII. Bbbb

p. 125. 127.

130.

lefquels ils vivent : ils fêtent le vendredi comme les Mahometans. Leur évêque vient rarement en Tartarie, à peine en cinquante ans une fois ; & alors ils font ordonner prêtres tous leurs enfans mâles, même au berceau ; d'où vient que les hommes font prefque tous prêtres, & ne laiffent pas de fe marier & fe remarier fi leurs femmes meurent.. Ils font tous fimoniaques & ne donnent aucun facrement fans argent. Le foin de leurs familles les rend interreffez & peu curieux de la propagation de la foi: outre que leurs mauvaises mœurs les font mépriser, car les idolâtres vivent plus honnêtement. Voilà ce qu'il dit des Neftoriens : puis il continuë ainsi sa relation..

Nous arrivâmes enfin à la cour du grand Mangou-can le jour de faint Jean, vingt septiéme de Decembre 1253. Plufieurs Mogols vinrent visiter celui qui nous avoit amenez, & nous interrogerent fur le fujet de nôtre voyage. Je dis que nous avions oui dire que Sartach étoit Chrétien, & que nous étions venu le trouver chargés de lettres du roi de France: qu'il nous avoit renvoïés à Baatou & Baatou au grand can. Ils demanderent fi nous defirions de faire la paix avec eux. Je répondis que ne leur aïant donné aucun fujet de guerre, vous n'en aviez aucun de leur demander la paix, quoique vous defiraffiez comme prince jufte & droit de l'avoir avec tout le monde. C'est qu'ils font fi fiers qu'ils croïent que tout le monde doit rechercher leurs bonnes graces.

Dans une maison prés du palais nous trouvâmes une chapelle où étoit un moine Armenien fort

auftere en apparence, qui nous dit qu'il étoit hermite de la terre fainte, que N. S. lui étoit apparu par trois fois, & lui avoit ordonné d'aller trouver le prince des Tartares. J'y fuis venu, ajoûtoit-il, il y a un mois, & j'ai dit à Mangou-can, que s'il vouloit fe faire Chrétien tout le monde fe foûmettroit à lui, même les Francs & le grand pape ; & je vous confeille de lui en dire autant. Mon frere, lui répondis-je, je voudrois pouvoir perfuader au can de fe faire Chrétien ; & je lui promettrois que les Francs & le pape en auroient bien de la joïe, & le reconnoîtroient pour frere & pour ami; mais non pas qu'ils devinffent fes fujets, & lui païafsent tribut, comme font les autres nations. Ce feroit parler contre ma confcience & contre ma commiffion. Cette réponse fit taire le moine.

XX.

Mangou-can.

p. 135.

Le quatriéme de Janvier 1254. on nous mena au palais à l'audiance de Mangou-can. Il me fit de- Audiance de mander lequel nous voulions de quatre bruvages qu'on nous prefentoit. Je goûtai un peu de celle qu'ils nomment cerafine, faite de ris; mais nôtre interprete but du vin, & fi abondamment qu'il ne favoit plus ce qu'il faifoit. Le can se fit apporter plufieurs fortes d'oiseaux de proïe, qu'il mit sur le poing & les confidera beaucoup. Affez long-temps aprés il nous commenda de parler. Je me mit à ge- p.139. noux & aïant fouhaité au can une longue vie, puis expliqué l'occasion de nôtre voyage, je lui demandai conformement à vôtre lettre, la permiffion de nous arrêter en son pays, parce que nôtre regle nous oblige d'enfeigner aux hommes à vivre felon la loi de Dieu. Que nous n'avions ni or ni argent Bbbb ij

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