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à lui offrir, mais feulement nos prieres à Dieu;
pour lui, fes femmes & fes enfans. Enfin que nous
le prions au moins de nous retenir jufques à ce que
la rigueur du froid fût paffée. Mangou-can répon-
dit, que comme le foleil répand ses raïons de tou-
tes parts, ainsi sa puiffance & celle de Baatou, s'é-
tendoit par tout. Que pour notre or & nôtre ar-
gent il n'en avoit que faire. Jufques-là j'entendis
aucunement nôtre interprete, mais je ne pût rien
comprendre du refte, finon qu'il étoit bien yvre;
il me fembla que Mangou-can en tenoit un peu.
Telle fut nôtre audiance ; & au fortir il nous fit
dire, qu'il avoit pitié de nous, & nous donnoit
deux mois de temps pour laiffer paffer le froid, &
que nous pourrions demeurer à Caracarum ville
proche de-là.

&

Nous aimâmes mieux demeurer à la cour avec le moine Armenien, qui fe nommoit Sergius, & qui me dit que le jour de l'Epiphanie il devoit baptifer Mangou-can. Je le priai que je puffe y être prefent, pour en rendre témoignage en temps & lieu, & il me le promit. Le jour de la fête on nous appella au palais avec les prêtres Neftoriens; mais ce ne fut que pour leur donner à manger, & nous retournâmes avec Sergius, honteux de fon impof ture. Toutefois quelques Neftoriens me jurerent que Mangou avoit été baptifé; mais je leur dis que je n'en croyois rien, & qu'il faudroit que je l'euffe vû pour le dire. Sergius se disoit prêtre, mais il mentoit : il n'avoit aucun ordre & ne favoit rien: ce. n'étoit qu'un pauvre tifferan, comme j'appris depuis en paffant par fon païs.

moyen

Le jour de Pâques approchant, qui cette année 1.254. étoit le douzième d'Avril, tous les Chrétiens qui étoient à Caracarum, me prierent inftamment de celebrer la meffe. Or il y en avoit de plufieurs nations, Hongrois, Alains, Ruffes, Georgiens & Armeniens. J'ouis leurs confeffions par le d'un interprete, & leur expliquai le mieux que je pûs les commandemens de Dieu, & les difpofitions neceffaires pour ce facrement. Je celebrai le jeudi faint dans le baptiftaire des Neftoriens où il y avoit un autel. Leur patriarche leur avoit envoïé de Bagdad un grand cuir carré confacré avec le crême, qui leur fert d'autel portatif. Je me fervis de leur calice & de leur patene d'argent, qui étoient deux tresgrands vaisseaux. Je dis aussi la messe le jour de Pâques, & donnai la communion au peuple. La veille de Pâques plus de foixante personnes furent baptifées en tres-bel ordre; dont il y eut grande rejoüiffance entre tous les Chrétiens.

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XXI. Conference

niens.

224.

Le famedi trentiéme de Mai veille de la Pentecôte, se tint une conference entre les Chrétiens, les avec les Tui Sarrafins & les Tuiniens, c'eft-à-dire les idolâtres ; & elle se tint par ordre de Mangou-can, qui vouloit favoir les preuves dont chacun appuyoit fa religion. Pour arbitres de cette conference il envoya trois de fes fecretaires, un de chaque religion; & il· fit proclamer d'abord deffense fous peine de mort de s'injurier ou s'offenfer l'un l'autre, ni d'exciter aucun trouble qui pût empêcher la conference. Les Chrétiens me chargerent de parler pour eux, la difpute commença avec les Tuiniens, qui m'oppoferent un des leurs venu de Cataï, c'est-à-dire deB bbb iij.

la Chine. Il me demanda par où nous commencerions, favoir comment le monde a été fait, ou ce que deviennent les ames aprés la mort. Il vouloit commencer par ces deux questions, fur lesquelles il fe croïoit le plus fort; car ils font tous Manichéens, croyant les deux principes, l'un bon, l'autre mauvais ; & ils croyent aufli que les ames paffent d'un corps à l'autre. Je lui répondis que nous devions commencer par parler de Dieu, qui est le principe de toutes chofes ; & les arbitres jugerent que j'avois raison.

Je dis donc aux Tuiniens, que nous croyons fermement qu'il n'y a qu'un feul Dieu tres-parfait, & leur demandai ce qu'ils en croyoient. Ils répondire: Il faut être infenfé pour ne croire qu'un Dieu : n'y a-t-il pas de grands princes en vôtre païs, & ici un plus grand que tous les autres, qui eft Mangoucan? Il en eft de même des dieux. Je repliquai : La comparaison n'est pas juste, autrement chaque prince en fon pays pourroit être appellé Dieu. Et comme je voulois refuter leur comparaifon, ils m'interrompirent me demandant avec empreffement quel étoit donc ce Dieu unique. Je répondis : C'est le tout puiffant qui n'a befoin de l'aide d'aucun autre: au lieu que parmi les hommes, aucun n'eft capable de tout faire ; c'eft pourquoi il y a plufieurs princes fur la terre. De plus Dieu n'a point befoin de confeil, parce qu'il fait tout, & toute la fageffe & la fcience procede de lui : il n'a que faire de nos biens, c'eft en lui que nous vivons & que nous fommes.

Nous favons bien, dirent-ils, qu'il y a

au ciel

i

un Dieu fouverain, dont la generation nous eft inconue, & dix autres fous lui, & un autre inferieur à ceux-ci ; mais fur la terre il y en a une infinité. Ils vouloient ajoûter plufieurs fables pareilles; mais je leur demandai fi ce grand Dieu du ciel étoit tout-puiffant, ou s'il tenoit fa puiffance d'un autre. Au lieu de me répondre ils me dire: Si ton Dieu eft tel que tu dis, pourquoi a-t-il fait la moitié des chofes mauvaifes. Cela eft faux, répondis-je, celui qui a fait le mal ne peut être Dieu, il ne feroit plus Dieu s'il étoit auteur du mal. Cette, réponse étonna tous les Tuiniens; & ils me de-manderent d'où venoit donc le mal. Je leur répondis, qu'avant que de faire cette question, il falloit demander ce que c'eft que le mal, & commencer par me répondre s'ils croyoient qu'il y eût quelque Dieu tout-puiffant. Comme ils fe taifoient, les arbitres leur commanderent de répondre; & étant preffés ils dirent fans façon, qu'il n'y avoit point de Dieu tout-puiffant, dequoi tous les Sarrafins fe mirent à rire. Je dis enfuite aux Tuiniens, qu'aucun de leurs dieux ne pouvoit donc les garentir de tous maux, & qu'ils ne pouvoient fervir tant de maîtres. A quoi ils ne répondirent rien.

Je voulois continuer & prouver l'unité de l'effence divine, & la Trinité des perfonnes; mais les Neftoriens voulurent parler à leur tour, & fe mirent à difputer contre les Sarrafins, dont ils n'eurent autre réponse, finon qu'ils tenoient pour veritable. tout ce que l'évangile contient : qu'ils confeffoient un feul Dieu, & lui demandoient la grace de mou

4.233.

4.252. Sup. liv.

2. 12.

rir comme les Chrétiens. Les Neftoriens continuerent de parler, expliquant le miftere de la Trinité par des comparaisons. Ils furent écoutez paisiblement & fans contradiction; mais perfonne ne témoigna vouloir fe faire Chrétien. La conference finie, les Neftoriens & les Sarrafins chantoient enfemble à haute voix, les Tuiniens ne difoient mot; mais ils burent tous largement.

Le lendemain jour de la Pentecôte j'eus une audiance de Mangou-can, où il me dit entr-autres chofes Nous autres Mogols nous croyons qu'il n'y a qu'un Dieu, par lequel nous vivons & mourons, & vers lequel nos coeurs font entierement portez. Dieu vous a donné l'écriture à vous autres Chrétiens, mais vous ne l'observez pas : il nous a donné des devins, & nous faifons ce qu'ils nous commandent. Enfuite il me parla de mon retour, & demanda jusques où je voulois être conduit, je dis Jufqu'au terres du roi d'Armenie, & promis de me charger d'une lettre qu'il vouloit vous envoyer. On nous la donna vers la fin du mois de Juin, & voici ce qu'elle contenoit de plus remarquable : Un nommé David vous a été trouver comme ambassadeur des Mogols: mais c'étoit un menteur & un inpofteur. Vous avez envoyé avec lui vos ambaffadeurs à Ken-can; mais ils ne font arrivés à la cour qu'après fa mort & fa veuve Charmés vous a envoyé par eux, une piece de foye & des lettres. Mais pour les affaires de la paix, comment cette femme plus méprifable qu'une chienne en eût-elle pû favoir quelque chofe? Le furplus de la lettre de Mangou-can tendoit

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