Images de page
PDF
ePub

- la chaffe && des autres femblables, qui fans éclairer l'efprit, ne font que charger la memoire.

Or les fcolaftiques ont donné dans ce défaut en fe faifant un langage particulier diftingué de toutes les langues vulgaires & du vrai latin, quoi qu'il en tire fon origine. Ce qui toutefois n'étoit point neceffaire puifque chacun peut philofopher en parlant bien fa langue. Les écrits d'Ariftote font en bon grec, les ouvrages philofophiques de Ciceron en bon latin; & dans le dernier fiécle Defcartes a expliqué fa doctrine en bon françois & d'un ftile net & précis, qui peut fervir de modele pour le dogmatique. Ce n'eft donc point la neceffité de la matiere qui a introduit ce langage de nos écoles, c'est le mauvais goût du treiziéme fiécle & des fuivans.

Une autre erreur eft de croire qu'un ftile fec, contraint & par tout uniforme, foit plus court & plus clair que le difcours ordinaire & naturel, où l'on fe donne la liberté de varier les frafes, & d'emploier quelques figures. Ce ftile géné & jetté en moule, pour ainfi dire, eft plus long, outre qu'il eft très-ennuïeux. On y répete à chaque page les mêmes formules: par exemple: Sur cette matiere on fait fix questions: A la premiere on procede ainfi : puis trois objections: puis: Je répons qu'il faut dire. Enfuite vienent les réponses aux objections. Vous diriés que l'auteur eft forcé par une neceffité inévitable à s'exprimer toûjours de même. On répete à chaque ligne les termes de l'art: propofition, affertion, preuve, majeure, mineure, conclufion & le refte. Or ces repetitions allongent beaucoup le difcours. Je vois bien d'où elles font venuës: nos ancêtres étoient fort groffiers il y a cinq ou fix cens ans ; les étudians de ce tems-là n'auroient fçû diftinguer l'objection de la preu

fi on ne leur eût, pour ainfi dire, montrée au doigt : il falloit tout nommer par fon nom. Voici l'objection, voici la réponse, l'inftance, la corollaire. Les argumens en forme allongent encore notablement le difcours, & impatientent celui qui voit d'abord la conclufion: il est soulagé par un enthymême, ou par une fimple propofition qui fait fous entendre tout le refte. Il faudroit referver le fyllogifme entier pour des occafions rares de déveloper un fophifme fpecieux ; ou rendre fenfible une verité abftraite.

Cependant ceux qui font accoûtumés au ftile de l'école ne reconoiffent point les raifonnemens s'ils ne font revêtus de la forme fyllogiftique. Les peres de l'églife leur paroiffent des rhetoriciens, pour ne pas dire des difcoureurs, parce qu'ils s'expliquent naturellement comme on fait en converfation: parce qu'ils ufent quelquefois d'interrogations, d'exclamations & des autres figures ordinaires; & les fcolaftiques ne voient pas que les figures & les tours ingenieux épargnent beaucoup de paroles; & que fouvent par un mot bien placé, on prévient ou on détourne une objection, qui les occuperoit long-tems.

Mais ne doit-on compter pour rien d'éviter l'ennui & le dégoût inféparable d'un ftile fec, décharné & toûjours fur un même ton: Eft-il effentiel aux études férieufes d'être pénibles & défagréables? & n'a-t-on pas remarqué il y a long-tems, que celui qui en inftruifant, fait join

1

XVII. Canoniftes.

dre l'agréable à l'utile, atteint au point de la perfection? C'eft cette dureté du ftile fcolaftique qui rebute tant de jeunes gens & leur rend l'étude odieufe pour toute leur vie, après qu'ils ont paflé quelques années dans les colleges & les feminaires à écouter ce langage & à difputer fur des questions abftraites dont ils ne voient point l'utilité. L'inftruction eft la nourriture des efprits: imitons, en la donant, l'ordre de la nature ou plûtôt de la fagefle divine, dans la diftribution de la nourriture corporelle. Elle y a joint un plaifir qui en eft le vehicule & qui par une agréable neceffité nous engage à nous conferver & nous fortifier. Imitons S. Bafile & S. Auguftin, qui à la folidité & la fubtilité des pensées, joignent les tours délicats & les expreffions graticufes: quine nous propofent point des queftions frivoles & pueriles, mais les objections effectives des heretiques de leur tems: qui ne nous repaiffent point de doutes & d'opinions, mais de verités certaines : qui joignent l'onction à la doctrine, même dans les matieres les plus abftraites. Voilà les guides qu'un theologien fe doit propofer.

Les Canoniftes du treiziéme fiecle fuivirent la même methode & le même ftile que les theologiens: mais ils ne conferverent pas fi bien la tradition pour le fonds de la doctrine, étant perfuadés, comme il est vrai, que la difcipline n'eft pas auffi invariable que la foi. J'ai montré dans le difcours précedent les fources de ce changement : l'autorité des fauffes décretales & de tout le decret de Gratien, l'opinion que le pape n'étoit point foumis aux canons & que fon pouvoir étoit fans bornes. Dèslors on s'éloigna de plus en plus des maximes de l'antiquité, on ne fe mit pas même en peine de les connoître: la jurifprudence canonique devint arbitraire & par confequent incertaine, par la multitude exceffive de nouvelles conftitutions dérogeant les unes aux autres, enfin par les difpenfes des loix qu'on n'ofoit abroger. Les docteurs qui expliquoient dans les écoles le Decret de Gratien & les Decretales de Gregoire IX. y firent des gloses, qui font devenuës fameufes, quoique l'utilité n'en foit pas grande, fi ce n'eft par les renvois, car ils indiquent affès bien les chapitres & les paflages qui ont raport les uns aux autres. Mais ces gloffateurs n'expliquent point les mots difficiles des anciens canons, ils ne les entendoient pas eux-mêmes ; & ils ne raportent guere les caufes ou les occafions hiftoriques des conftitutions. Ce qu'ils appellent en pofer le cas ne confifte qu'à mettre en marge les propres paroles du texte. QuelGlof.in c. 1 De- quefois pour montrer leur érudition ils donent des étymologies: mais Jum. Tr. fouvent ridicules, comme celle de Diabolus au commencement des Decretales. Leur principale application eft de tirer des inductions & des confequences des paroles du texte, pour les appliquer à quelque autre fujet, ordinairement pour y fonder quelque chicane.

I Confid..9.10.

45.

Car c'étoit l'efprit qui regnoit alors: voiés les plaintes que fait S. BerHit.iv.xix.. nard des avocats qui plaidoient en cour de Rome, & par là jugés des autres tribunaux: voiés les canons du grand concile de Latran, & encore plus ceux du premier concile de Lion, & vous verrés jufques à quel excés étoit dés-lors montée la fubtilité des plaideurs, pour éluder toutes les loix & les faire fervir de pretexte à l'injuftice: car c'eft ce que

j'appelle efprit de chicane. Or les avocats & les praticiens en qui dominoit cet efprit étoient des clercs, ils étoient alors les feuls qui étudiaffent la jurifprudence civile ou canonique, comme la medecine & les autres fciences: il étoit bien défendu aux moines d'en faire profeffion publique, mais non pas aux clercs feculiers. Si la vanité feule & l'ambition de fe diftinguer fournifloit aux philofophes & aux theologiens tant de mauvaifes fubtilités pour difputer fans fin & ne fe confeffer jamais vaincus: combien l'avidité du gain y excitoit-elle plus puiffamment les avocats, & qu'étoit-ce qu'un tel clergé ? L'efprit de l'évangile n'eft que fincerité, candeur, charité, defintereffement: des clercs fi depourvûs de ces vertus étoient bien éloignés de les enfeigner aux autres.

Les évêques & les autres fuperieurs les mieux intentionnés étant inftruïts aux mêmes écoles n'en favoient pas aflés pour remedier à ces maux: nous le voïons par leurs conftitutions, qui ne tendent la plûpart qu'à regler le détail de la procedure & pourvoir à des inconveniens particuliers fans aller à la fource du mal. Il falloit reprendre l'édifice par les fondemens, en formant un nouveau clergé, choifi comme autrefois entre les plus parfaits du peuple, examiné par de longues épreuves & élevé au facré miniftere par la feule confideration du merite. Voiés ce que j'en ai dit au fecond difcours. Sans ces fages précautions les meilleures loix font méprifées & par confequent inutiles. Mais pour former un tel clergé il eut fallu que les évêques euffent renoncé à leurs interêts particuliers: qu'ils n'euffent pas défiré d'avancer leurs parens dans les dignités ecclefiaftiques; & qu'ils euffent eu la force de refifter aux princes, qui vouloient en pourvoir leurs enfans à la décharge des familles. Il cut fallu du moins connoître l'anciene difcipline, mais on n'étudioit plus les livres où l'on cût pû l'aprendre.

Etudions-les donc à prefent, nous qui les avons entre les mains: remontons aux Constitutions apoftoftoliques, aux canons de Nicée & des autres premiers conciles: aux épîtres canoniques de S. Gregoire Thaumaturge & de S. Bafile, aux lettres de S. Cyprien & des autres peres? j'ai marqué dans l'hiftoire celles que j'ai crû les plus propres à nous inftruire de l'anciene difcipline. Et comme nous ne pouvons nous tranfporter hors de nôtre fiécle, nichanger l'ufage felon lequel nous vivons: étudions auffi les conftitutions modernes & les livres des canoniftes, mais contentons-nous de lesfuivre, autant qu'il eft befoin, pour nous conformer à l'état préfent des affaires: fans les admirer, & nous boucher les yeux pour ne pas voir leurs défauts, leur groffiereté, leur ignorance de l'antiquité, leurs mauvaises fubtilités, la baffeffe de leurs fentimens Souvenons nous toûjours de la nobleffe & de la pureté des anciens canons, qui ne tendoient qu'à conferver les bones mœurs & à fortifier la pratique de l'évangile.

On pourroit de même à proportion rétablir l'étude de la theologie,& l'ouvrage eft déja bien avancé. Les univerfités ont eu le malheur de commencer dans un tems où le goût des bones études étoit perdu; mais on l'a retrouvé peu à peu depuis plus de deux cens ans, comme vous verrés dans la fuite de l'hiftoire; & elles en ont profité. On a étudié cu

n. 6.

XVIII.

Plan des meil

leures études.

Rom. XII. 3.

Jo. IV. 23.
Ti. 11. 14.

rieufement les langues favantes, on a cultivé & perfectioné les langues vulgaires. On s'eft apliqué à l'hiftoire, à la critique, à la recherche des livres originaux en chaque genre, on en a fait des éditions correctes. Il ne refte qu'à profiter du bonheur de nôtre fiécle & mettre en œuvre la matiere fi bien préparée.

Or j'eftime que le meilleur moïen eft de garder dans l'étude la fobrieté que S. Paul nous recommande dans les fentimens, n'étudiant que -ce que nous pouvons favoir, & commençant toûjours par le plus important. Lifons affiduëment l'Ecriture fainte, nous arrêtant au fens literal le plus fimple & le plus droit, foit pour les dogmes, foit pour les mœurs. Retranchons toutes les queftions préliminaires de la theologie en general & de chaque traité en particulier : entrons d'abord en matiere, voïons quels textes de l'écriture nous obligent à croire la Trinité, l'Incarnation & les autres myfteres ; & comment l'autorité de l'église a fixé le langage neceffaire pour exprimer ce que nous en croïons.Contentons nous de favoir ce que Dieu a fait, foit que nous le conoiffions par nôtre experience où par fa revelation fans entrer dans les queftions dangereufes du poffible ou du convenable.

Quant à la morale, il faut s'en tenir aux grands principes fi clairement propofés dans l'Ecriture, la charité, la fincerité, l'humilité, le défintereffement, la mortification des fens; & fur tout fe bien garder de croire que le chemin du ciel fe foit aplani avec le tems, & que le relâchement des derniers fiécles ait prefcrit contre l'évangile. J. C. eft venu au monde, non pour établir un culte exterieur & inftituer de nouvelles ceremonies: mais pour faire adorer fon Pere en efprit & en verité : pour se purifier un peuple agréable à Dieu & appliqué aux bones œuvres. Toute morale qui ne tend pas à former un tel peuple n'eft pas la fienne.

HISTOIRE

ECCLESIASTIQUE.

LIVRE LXX X.

le

I. Conquête des Chrétiens en EL

pague.

Luc Tudens.

N Efpagne les Chrétiens prenoient AN.1230. deffus & faifoient des conquêtes, profitant de la divifion des Mores & de la chûte des Almohades, dont la puiffance alloit toûjours en déclinant. Al- chr. fonse roi de Leon affiegea & prit l'ancienne ville de Merida: puis aïant remporté une grande victoire fur les infideles, il affiegea Badajos & la prit en peu jours. Les Mores avoient abandonné Elvas & plufieurs autres places, que les Chrétiens trouverent vuides & les repeuplerent. Ainsi le roi Alfonse retourna Tome XVII.

A

de

« PrécédentContinuer »