CINQUI E ME DISCOURS Jur l'Histoire Ecdesiastique. Ndes moïens dont Dieu s'est servi pendant les derniers tems pour U conserver la faine doctrine dans son église , a été l'institution des Ecoles de Paris universitez, qui ne prirent ce nom qu'au commencement du treiziéme & de Boulogne. Lécle, quoique quelques-unes fussent déja presque formées sous le fimple nom d'écoles. J'ai marqué dans le troisiéme discours la succession des écoles Latines, jusqu'à la fin du dixiéme siecle, celle de Reims étoit 3. Discours, a. alors la plus fameuse : elle continua de l’être pendant tout le siécle lui- 25. vant, & S. Bruno en fut le principal ornement. On y peut rapporter Boscelin de Compiégne & les deux illustres freres Anselme & Raoul de Laon, puisqu'ils enseignoient dans la Province de Reims. L'école de Paris étoit célébre dès la fin du dixiéme siécle, comme on Hift. liv. LvH. yoit dans la vie de S. Abbon de Fleury qui y vint étudier ; & peut-être n.31. le séjour de nos rois , qui en firent alors lcur capitale, ne contribua pas Liv. LXVI, n.25. peu à y attirer de bons maîtres. La réputation de cette école augmenta considérablement au cominencement du douziéme siécle sous Guillauine de Champeaux, & sous ses disciples , qui enseignerent à S. Victor. En même tems Pierre Abailard vint à Paris & y enseigna avec un grand Lit. LXVI. n.22. éclat les humanitcz & la philosophic d'Aristote: Alberic de Reims y enseignoit aussi & fut le plus fameux dialcéticien , quoiqu'attaché à la secte des Nominaux, dont Rofcelin fut l'auteur. Mais la grande lumiere de l'école de Paris fut l'évêque Pierre Lombard , si connu par son livre des Liz. LXX. r. 34, Sentences, qu'il composa vers le milieu du douziéme liécle. On le regarda comme le corps de theologie le plus parfait , & on le choisit pour être enseigné publiquement par préference à tant d'autres recueils semblables composez vers le même tems , par Hildebert archevêque de Tours, par le cardinal Robert Pullus,l'abbé Rupert &Hugues deS.Vi&tor. Ainsi entre plusieurs compilations des canons la plus universellement approuvée fut celle du moine Gratien composée dans le meme-tems à Ibid. n. 28. Boulogne en Italie; & son ouvrage semble avoir rendu plus fameuse cette école, qui l'étoit déja par l'étude des loix Romaines renouvellée vingt ans auparavant. Car il paroît qu'on alloit de loin les étudier en Lombardie par l'exemple entr'autres d'Arnoul évêque de Lisieux. Et en la 1220. le pape Honorius témoignoit dans une bulle , que l'étude des bonnes lettres avoit rendu la ville de Boulogne celebre par tout le mon Spisil.tom. 2 p. de. Remarquez encore que le maître des sentences étoit sorti de Novarre, & qu'avant lui Lanfranc archevêque de Cantorberi étoit venu de Pavie : ce qui nous découvre en Lombardic une suite de theologie comme 34. de jurisprudence. Aussi les deux plus anciennes universitcz que je connoin sont celles de Paris & dc Boulogne; & on les nomina uni Tome XVII. 336. I'XVIII.n verfitez d'études, pour montrer qu'elles les renfermoient toutes,& qu'en Cette institution fut trés-utile à l'église. Les docteurs affûrez de troua ver dans une certaine ville de l'occupation avec la récompense de leurs versitez. travaux, venoient volontiers s'y établir; & les étudians assurez aussi d'y La police des universitez étoit un bon moren pour affermir la tra- maîtres. Tout le corps en étoit garand , & avoit droit de corriger celui 1215. par le cardinal legat Robert de Courçon, pour enseigner les arts Les freres Prêcheurs ayant été agregez à l'univerfité de Paris dès le s commencement de leur inftitut, obfervoient l'ordre suivant pour la promotion de leurs docteurs en theologie. Celui qui étoit nommé III. XXIII. tems en tems: mais ce qu'il y avoit de bon est que personne n'étoit reçû docteur qu'après avoir enseigné publiquement. Au reste les leçons ne se faisoient pas en dictant des écrits, mais le professeur après s'être préparé, les prononçoit de suite comme des fermons ; & les écoliers en écrivoient ce qu'ils pouvoient. Or il est à croire que les freres Precheurs suivirent l'ordre qu'ils avoient trouvé établi dans l'université. L'institution des colléges qui commencerent vers le milieu de treiziéme fiecle fut un bon moien pour maintenir la police de l'université & Colleges.. contenir dans le devoir les écoliers qui y étoient renfermez. Les religieux furent les premiers qui fonderent de ces maisons pour loger en- Pafq. Recher. semble leurs confreres étudians & les séparer du commerce des séculiers. Liv.ix.6.15. Ainsi outre les frercs Prêcheurs & les freres Mineurs dont les premieres maisons à Paris sont les colleges de tout l'ordre, on y fonda pour les moines ceux des Bernardins, de Clugny & de Marmoutier. Celui de Sorbone fut un des premiers destiné à des clercs séculiers;& ensuitc la Hift.l. 1XXXIII. n. 47. plûpart des évêques en fonderent pour les pauvres étudians de leurs diocésés. Par-là ils s'acquitoient en quelque maniere de l'obligation d'instruire & de former leur clergé, qui est un de leurs principaux devoirs: vû qu'ils ne pouvoient esperer de leur donner chez eux d'aussi bons maîtres que dans les écoles publiques. Or la discipline des collégcs tendoit non-seulement à l'instruction des écoliers qu'on y entretenoit & que nous appellons Boursiers, mais à régler leurs mæurs & les former à la vie clericale. Ils vivoient en commun, célébroient l'office divin, avoient leurs heures réglées d'étude & de divertissement, & plusieurs pedagogues ou regens veilloient sur eux pour les conduire & les contenir dans leur devoir : c'étoit comme de petits feminaires. Enfin cette institution & tout le reste de la police des universitez fut si generalement approuvée , que tous les pais du rit latin suivirent l'exemple de la France & de l'Italie & depuis le treiziéme siecle on vit paroître de jour en jour de nouvelles universitez. Voyons maintenant quelles étoient ces études que l'on embrassoit IV. avec tant d'ardeur, & fion les avoit perfectionnées en augmentant le Cours d'écudes. nombre des étudians & des inaîtres. C'étoit sans doute l'intention, mais le malheur du tems ne le permit pas. Le goût des bonnes études étoit perdu , & on n'étoit pas encore revenu de l'erreur des savans Hift. liv. xlv. du neuviéme liécle, qui voulant embrasser toutes les études n'étudioient n. 19. rien exactement. On lupposoit coûjours que pour être admis aux leçons": de theologie , il falloit avoir apris les arts libéraux, c'est-à-dire, au moins la grammaire, la rhetorique, la logique & les autres parties de la philofo- 3. Difc. . 2. phie; & de-là nous est venu ce cours reglé d'études qui subsiste encore. Le plan étoit beau si l'éxecution eût été possible : inais la vie de l'homme est trop courte pour approfondir chacun de ces arts comme on prétendoit faire , & s'appliquer ensuite aux sciences supericures. Suposé Hift.liv. xx.», même que quelque heureux genie pût y réussir, il ne faudroit pas le pro- 2: poser à tout le monde; & d'ailleurs la vraie science ecclesiastique n'a pas Aug. ep. 34. al. besoin de tous ces préliminaires. L'antiquité ne les demandoit pas aux évêques mêmes ; & S. Augustin en nome un de fon voisinage qui n'avoit 18. ecclefiaftition convêqueneldonatite" lettimoita Grammaire, Cinquiéme Discours point étudié les lettres humaines, & qu'il estimoit toutefois fi bon theor logien , qu'il lui renvoie le Donatiste Proculeien pour être confondu. C'est que ce bon évêque ne laissoit pas de s'être suffisamment instruit par la méditation continuelle de l'écriture sainte & la lecture des auteurs ecclesiastiques , qui avoient écrit en Latin sa langue naturclle. Les études superficielles font croire qu'on sçait ce qu'on ne sçait pas, qui est un dégré au-dessous de l'ignorance. La grammaire selon l'idée des Grecs & des Romains, de qui nous l'avons reçûë & selon le bon sens, devoit être l'étude de notre langie maternelle pour la parler & l’écrire correctement: mais ce n'est pas ainsi qu'on étudioit la grammaire dans nos écoles. On ne l'appliquoit point aux langues vulgaires, on les méprisoit encore comme indignes d'être écrites & employées dans les discours serieux,& l'on s'opiniâtroit à tout écrire en Latin, quoique depuis plusieurs siécles on ne le parlât plus en aucun pais du monde. On commença toutefois vers le milieu du douziéme siécle à écrire en Roman, c'est-à-dire , en François du tems : mais ce n'étoit guere que des chansons traitant d'armes ou d'amours, comme on parloit alors pour le divertissement de la noblesse; & de-là est venu le nom de Romans aux fables amoureuses. Le premier ouvrage serieux que je connoisse en cette langue est l'histoire des ducs de Normandie écrite en l'an 1160. par un clerc de Caën nommé maître Vace. Environ cinquante ans après Geoffroi de Villehardoüin écrivoit en prose l'histoire de la conquelte de C. P. & depuis on s'enhardit peu à peu à écrire en langue vulgaire non-seulement en France, mais en Italie & en Espagne. Toutefois je ne ne vois point qu'on y ait appliqué dans ces premiers tems l'étude de la grammaire; il semble que l'on craignoit de la profaner. J'en juge par l'histoire de Villehardouin, où je vois les mêmes mots écrits li diversement qu'il est clair que l'ortografe n'en étoit pas encore fixée & peut-être la prononciation. Je n'y trouve point de distinction du plurier & du singulier ni de construdion uniforme : En un mot , aucune régularité. De-là vient qu'ils défiguroient si fort les noms des étrangers, & que nous trouvons Toldres Liasores dans Villehardoüin pour Theodore Lascaris: dans le Florentin Malelpini Pallioloco pour Paleologue & Ghirigoro pour Gregoire:enfin dans d'autres plus modernes Cecile pour Sicile. Il est encore important de sçavoir qu'en ces tems-là les laïques, même les plus grands Seigneurs n'avoient pour la plậpart aucune teinture des lettres, jusques à ne sçavoir ni lire ni écrire. Ensorte que s'ils vouloient faire une lettre, ils appelloient un clerc, c'est-à-dire, un ecclesiastique auquel ils disoient leur intention & qui l'écrivoit en latin , comme il jugeoit à propos: puis quand on avoit reçû la réponse, il falloit de même la faire expliquer. De-là vient qu'entre les lettres de Pierre de Blois, vous en voyez plufieurs au nom des princes & des princesses qu'il ne fait pas toûjours parler de la maniere qui leur étoit la plus convenable. On n'érudioit donc la grammaire que pour le latin, ou plûtôt on apprenoit l'un & l'autre ensemble, comine nous faisons encore. Mais au fieu qu'on nous montre à present le latin le plus pur qu'il est possible, Ceux qui étudioient si mal le latin dont ils se servoient continuellement pour parler & pour écrire,n'avoient garde d'étudier le groc ou l'hebreu; & toutefois les Latins mêlez avec les Grecs depuis la prise de C. P. avoient nécessairement commercé avec eux, & les Juifsétoient répandus en France comme dans tout le reste de l'Europe : mais les commoditez d'apprendre ne suffisent pas sans la curiosité. Car depuis les croisades les Francs avoient la même facilité d'apprendre l'Arabe, le Syriaque & les autres langues Orientales ; & toutefois parmi ce clergé latin répandu dans l’Orient pendant deux cens ans, je ne vois presque personne qui se soit appliqué à l'étude de ces langues si nécessaires pour connoître la religion, les loix & l'histoire des Musulmans ; & ne pas donner dans des erreurs groisieres, en disant , comme ont fait quelquesuns, qu'ils adoroient Mahomet & en avoient des idoles. . L'ignorance du grec réduisoit aux traductions pour lire les pere's Grecs & elles sont toûjours défectueuses : aussi les vois-je peu citez dans les tems dont je parle , si ce n'est Saint Jean Damascene & le prétendu .S. Denis. Je trouve toutefois quclques exemples de Latins sçavans en Grec & versez dans la lecture des peres Grecs : comme ces quatre reli- Hift. liv. ID gieux mandians envoïcz par le pape Gregoire IX. pour converser avec mo 29. les Grecs, dont ils combattoient si bien les erreurs au concile de Nym- Liv. LXXX. n. phée en 12 34. Ce qui m'étonne, eft qu'ils n'ayent point formé de dif- 30. ciples : que d'autres à leur exemple ne se soient pas appliquez à cette étude si utile; & que dés-lors on n'ait pas établi dans nos écoles des |