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souhait; et c'est alors qu'il fut enivré du plaisir de la comédie, où il trouvait « l'image de ses misères, l'amorce et la nourriture de son feu 1. » Son exemple et sa doctrine nous apprennent à quoi est propre la comédie combien elle sert à entretenir ces secrètes dispositions du cœur humain, soit qu'il ait déjà enfanté l'amour sensuel, soit que ce mauvais fruit ne soit pas encore éclos.

Saint Jacques nous a expliqué ces deux états de notre cœur par ces paroles : « Chacun de nous est tenté par sa concupiscence qui l'emporte et qui l'attire: ensuite, quand la concupiscence a conçu, elle enfante le péché; et quand le péché est consommé, il produit la mort 2. » Cet apôtre distingue ici la conception d'avec l'enfantement du péché; il distingue la disposition au péché d'avec le péché entièrement formé par un plein consentement de la volonté : c'est dans ce dernier état qu'il engendre la mort, selon saint Jacques, et qu'il devient tout à fait mortel. Mais de là il ne s'ensuit pas que les commencements soient innocents: pour peu qu'on adhère à ces premières complaisances des sens émus, on commence à ouvrir son cœur à la créature: pour peu qu'on les flatte par d'agréables représentations, on aide le mal à éclore; et un sage confesseur, qui saurait alors faire sentir à un chrétien la première plaie de son cœur et les suites d'un péril qu'il aime, préviendrait de grands malheurs.

Selon la doctrine de saint Augustin, cette malignité de la concupiscence se répand dans l'homme tout entier 3. Elle court, pour ainsi parler, dans toutes les

1 Confess., lib. III, cap. (II. - 2 Jacob., 1, 14. 15. 3 Cont. Jul., lib. IV, cap. XIV, n. 6 et seq.; Confess., lib. X, cap. xxxi et seq.

veines et pénètre jusqu'à la moelle des os. C'est une racine envenimée qui étend ses branches par tous les sens: l'ouïe, les yeux et tout ce qui est capable de plaisir en ressent l'effet les sens se prêtent la main mutuellement le plaisir de l'un attire et fomente celui de l'autre ; et il se fait de leur union un enchaînement qui nous entraîne dans l'abîme du mal. Il faut, dit saint Augustin, distinguer dans l'opération de nos sens la nécessité, l'utilité, la vivacité du sentiment, et enfin l'attachement au plaisir sensible: Libido sentiendi. De ces quatre qualités des sens, les trois premières sont l'ouvrage du Créateur : la nécessité du sentiment se fait remarquer dans les objets qui frappent nos sens à chaque moment on en éprouve l'utilité, dit saint Augustin, particulièrement dans le goût, qui facilite le choix des aliments et en prépare la digestion : la vivacité des sens est la même chose que la promptitude de leur action et la subtilité de leurs organes. Ces trois qualités ont Dieu pour auteur: mais c'est au milieu de cet ouvrage de Dieu que l'attache forcée au plaisir sensible et son attrait indomptable, c'est-à-dire la concupiscence introduite par le péché, établit son siége. C'est celle-là, dit saint Augustin, qui est l'ennemie de la sagesse, la source de la corruption, la mort des vertus les cinq sens sont cinq ouvertures par où elle prend son cours sur ses objets et par où elle en reçoit les impressions: mais ce Père a démontré qu'elle est la même partout, parce que c'est partout le même attrait du plaisir, la même indocilité des sens, la même captivité et la même attache du cœur aux objets sensibles. Par quelque endroit que vous la frappiez, tout s'en ressent. Le spectacle saisit les yeux; les tendres discours, les chants passionnés, pénètrent le cœur par

les oreilles. Quelquefois la corruption vient à grands flots quelquefois elle s'insinue comme goutte à goutte: à la fin on n'en est pas moins submergé. On a le mal dans le sang et dans les entrailles avant qu'il éclate par la fièvre. En s'affaiblissant peu à peu, on se met en un danger évident de tomber avant qu'on tombe; et ce grand affaiblissement est déjà un commencement de chute.

Si l'on ne connaît de maux aux hommes que ceux qu'ils sentent et qu'ils confessent, on est trop mauvais médecin de leurs maladies. Dans les âmes comme dans

les corps, il y en a qu'on ne sent pas encore, parce qu'elles ne sont pas déclarées; et d'autres qu'on ne sent plus, parce qu'elles ont tourné en habitude, ou bien qu'elles sont extrêmes et tiennent déjà quelque chose de la mort où l'on ne sent rien. Lorsqu'on blâme les comédies comme dangereuses, les gens du monde disent tous les jours avec l'auteur de la Dissertation, qu'ils ne sentent point ce danger. Poussez-les un peu plus avant, ils vous en diront autant des nudités, et non-seulement de celles des tableaux, mais encore de celles des personnes. Ils insultent aux prédicateurs qui en reprennent les femmes, jusqu'à dire que les dévots se confessent eux-mêmes par là et trop faibles et trop sensibles pour eux, disent-ils, ils ne sentent rien, et je les en crois sur leur parole. Ils n'ont garde, tout gåtés qu'ils sont, d'apercevoir qu'ils se gâtent, ni de sentir le poids de l'eau quand ils en ont par-dessus la tête et pour parler aussi à ceux qui commencent, on ne sent le cours d'une rivière que lorsqu'on s'y oppose : si on s'y laisse entraîner on ne sent rien, si ce n'est peut-être un mouvement assez doux d'abord, où vous êtes porté sans peine; et vous ne sentez bien le mal qu'il vous fait

que tôt après quand vous vous noyez. N'en croyons donc pas les hommes sur leurs maux ni sur leurs dangers, que leur corruption, que l'erreur de leur imagination blessée, que leur amour-propre leur cachent.

IX

Qu'il faut craindre en assistant aux comédies, pon-seulement le mal qu'on y fait, mais encore le scandale qu'on y donne.

Pour ce qui est de ces gens de poids et de probité, qui selon l'auteur de la Dissertation, fréquentent les comédies sans scrupule ; que je crains que leur probité ne soit de celles des sages du monde, qui ne savent s'ils sont chrétiens ou non, et qui s'imaginent avoir rempli tous les devoirs de la vertu lorsqu'ils vivent en gens d'honneur, sans tromper personne, pendant qu'ils se trompent eux-mêmes en donnant tout à leurs passions et à leurs plaisirs. Ce sont de tels sages et de tels prudents à qui Jésus-Christ déclare que « les secrets de son royaume sont cachés, et qu'ils sont seulement révélés aux humbles et aux petits 1, » qui tremblent aux moindres discours qui viennent flatter leurs cupidités. Mais ce sont gens, dit l'auteur, d'une éminente vertu, et il les compte par milliers. Qu'il est heureux d'en trouver tant sous sa main, et que la voie étroite soit si fréquentée! <«< Mille gens, dit-il, d'une éminente vertu et d'une conscience fort délicate, pour ne pas dire scrupuleuse, approuvent la comédie et la fréquentent sans peine. » Ce sont des âmes invulnérables, qui peuvent passer des jours entiers à entendre des chants et des vers passionnés et tendres, sans en être émus: et des gens d'une si

1 Matth., x1, 25.

éminente vertu n'écoutent pas ce que dit saint Paul: << Que celui qui croit être ferme, craigne de tomber1: >> ils ignorent que quand ils seraient si forts, et tellement à toute épreuve qu'ils n'auraient rien à craindre pour eux-mêmes, ils auraient encore à craindre le scandale qu'ils donnent aux autres, selon ce que dit ce même Apôtre « Pourquoi scandalisez-vous votre frère infirme? Ne perdez point par votre exemple celui pour qui Jésus-Christ est mort 2. » Ils ne savent même pas ce que prononce le même saint Paul: « Que ceux qui consentent à un mal, y participent 3. » Des âmes si délicates et si scrupuleuses ne sont point touchées de ces règles de la conscience. Que je crains, encore une fois, qu'ils ne soient de ces scrupuleux « qui coulent le moucheron, et qui avalent le chameau 4; » ou que l'auteur ne nous fasse des vertueux à sa mode, qui croient pouvoir être ensemble au monde et à Jésus-Christ!

X

Différence des périls qu'on cherche et de ceux qu'on ne peut éviter.

Il compare les dangers où l'on se met dans les comédies à ceux qu'on ne peut éviter « qu'en fuyant, dit-il, dans les déserts. On ne peut, continue-t-il, faire un pas, lire un livre, entrer dans une église, enfin vivre dans le monde, sans rencontrer mille choses capables d'exciter les passions. » Sans doute la conséquence est fort bonne tout est plein d'inévitables dangers; donc il en faut augmenter le nombre. Toutes les créatures sont un piége et une tentation à l'homme 5; donc il est Matth.,

11 Cor., x, 12. -2 Rom., Xiv, 15. -3 Rom., 1, 32. XXIII, 24. 5 Sapient., XIV, 11.

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