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XX

Silence de l'Écriture sur les spectacles: il n'y en avait point parmi les Juifs : comment ils sont condamnés dans les saintes Écritures : passages de saint Jean et de saint Paul.

On demande, et cette remarque a trouvé place dans la Dissertation, si la comédie est si dangereuse, pourquoi Jésus-Christ et les apôtres n'ont rien dit d'un si grand mal? Ceux qui voudraient tirer avantage de ce şilence, n'auraient encore qu'à autoriser les gladiateurs et toutes les autres horreurs des anciens spectacles, dont l'Écriture ne parle non plus que des comédies. Les saints Pères, qui ont essuyé de pareilles difficultés de la bouche des défenseurs des spectacles, nous ont ouvert le chemin pour leur répondre que les délectables représentations qui intéressent les hommes dans des inclinations vicieuses, sont proscrites avec elles dans l'Écriture. Les immodesties des tableaux sont con- · damnées par tous les passages où sont rejetées en général les choses déshonnêtes: il en est de même des représentations du théâtre. Saint Jean n'a rien oublié, lorsqu'il a dit : « N'aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde celui qui aime le monde, l'amour du Père n'est point en lui; car tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie; laquelle concupiscence n'est point de Dieu, mais du monde 1. » Si la concupiscence n'est pas de Dieu, la délectable représentation qui en étale tous les attraits n'est non plus de lui, mais du monde, et les chrétiens n'y ont point de part.

1 I Joan., II, 15.

Saint Paul aussi a tout compris dans ces paroles : « Au reste, mes Frères, tout ce qui est véritable, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint (selon le grec, tout ce qui est chaste, tout ce qui est pur), tout ce qui est aimable, tout ce qui est édifiant : s'il y a quelque vertu parmi les hommes, et quelque chose digne de louange dans la discipline; c'est ce que vous devez penser1» tout ce qui vous empêche d'y penser et qui vous inspire des pensées contraires, ne doit point vous plaire et doit vous être suspect. Dans ce bel amas de pensées que saint Paul propose à un chrétien, qu'on trouve la place de la comédie de nos jours, quelque vantée qu'elle soit par les gens du monde !

Au reste ce grand silence de Jésus-Christ sur les comédies, me fait souvenir qu'il n'avait pas besoin d'en parler à la maison d'Israël pour laquelle il était venu, où ces plaisirs de tout temps n'avaient point de lieu. Les Juifs n'avaient de spectacles pour se réjouir que leurs fêtes, leurs sacrifices, leurs saintes cérémonies : gens simples et naturels par leur institution primitive, ils n'avaient jamais connu ces inventions de la Grèce : et après ces louanges de Balaam. « Il n'y a point d'idole dans Jacob, il n'y a point d'augure, il n'y a point de divination 2, »> on pouvait encore ajouter : Il n'y a point de théâtres, il n'y a point de dangereuses représentations ce peuple innocent et simple trouve un assez agréable divertissement dans sa famille parmi ses enfants c'est où il se vient délasser à l'exemple de ses patriarches, après avoir cultivé ses terres ou ramené ses troupeaux, et après les autres soins domestiques qui ont succédé à ces travaux; et il n'a pas besoin de tant de dépenses ni de si grands efforts pour se relâcher. 1 Philip., IV, 8. - 2 Numer., XXIII, 21, 23.

C'était peut-être une des raisons du silence des apôtres, qui accoutumés à la simplicité de leurs pères et de leur pays, n'étaient point sollicités à reprendre en termes exprès dans leurs écrits des pratiques qu'ils ne connaissaient pas dans leur nation: il leur suffisait d'établir les principes qui en donnaient du dégoût : les chrétiens savaient assez que leur religion était fondée sur la judaïque, et qu'on ne souffrait point dans l'Église les plaisirs qui étaient bannis de la Synagogue : quoi qu'il en soit, c'est un grand exemple pour les chrétiens que celui qu'on voit dans les Juifs; et c'est une honte au peuple spirituel, de flatter les sens par des joies que le peuple charnel ne connaissait pas.

XXI

Réflexion sur le Cantique des cantiques et sur le chant de l'Église.

Il n'y avait parmi les Juifs qu'un seul poëme dramatique, et c'est le Cantique des cantiques. Ce cantique ne respire qu'un amour céleste: et cependant, parce qu'il est représenté sous la figure d'un amour humain, on défendait la lecture de ce divin poëme à la jeunesse : aujourd'hui on ne craint point de l'inviter à voir soupirer des amants pour le plaisir seulement de les voir s'aimer, et pour goûter les douceurs d'une folle passion. Saint Augustin met en doute s'il faut laisser dans les églises un chant harmonieux, ou s'il vaut mieux s'attacher à la. sévère discipline de saint Athanase et de l'Église d'Alexandrie, dont la gravité souffrait à peine dans le chant ou plutôt dans la récitation des Psaumes, de faibles inflexions tant on craignait, dans l'Église, de laisser

1 Confess., lib. X, cap. xxx.

affaiblir la vigueur de l'âme par la douceur du chant. Je ne rapporte pas cet exemple pour blâmer le parti qu'on a pris depuis, quoique bien tard, d'introduire les grandes musiques dans les églises pour ranimer les fidèles tombés en langueur, ou relever à leurs yeux la magnificence du culte de Dieu, quand leur froideur a eu besoin de ce secours. Je ne veux donc point condamner cette pratique nouvelle par la simplicité de l'ancien chant, ni même par la gravité de celui qui fait encore. le fond du service divin je me plains qu'on ait si fort oublié ces saintes délicatesses des Pères, et que l'on pousse si loin les délices de la musique, que loin de les craindre dans les cantiques de Sion, on cherche à se délecter de celles dont Babylone anime les siens. Le même saint Augustin reprenait des gens qui étalaient beaucoup d'esprit à tourner agréablement des inutilités dans leurs écrits: Et, leur disait-il, je vous prie << qu'on ne rende point agréable ce qui est inutile: Ne faciant delectabilia quæ sunt inutilia: » maintenant on voudrait permettre de rendre agréable ce qui est nuisible; et un si mauvais dessein dans la Dissertation n'a pas laissé de lui concilier quelque faveur dans le monde.

XXII

On vient à saint Thomas: exposition de la doctrine de ce Saint.

Il est temps de la dépouiller de l'autorité qu'elle a prétendu se donner par le grand nom de saint Thomas et des autres saints. Pour saint Thomas, on oppose deux articles de la question de la modestie extérieure2;

1 De Anim.et ejus orig., lib. I, n. 3. - 2 II-II, q. CLXVIII, art. 2 et 3.

et on dit qu'il n'y a rien de si exprès que ce qu'il enseigne en faveur de la comédie. Mais d'abord il est bien certain que ce n'est pas ce qu'il a dessein de traiter. La question qu'il propose dans l'article second est à savoir s'il y a des choses « plaisantes, joyeuses, » ludicra, jocosa, qu'on puisse admettre dans la vie humaine, «< tant en actions qu'en paroles, » dictis seu factis : en d'autres termes, s'il y a des jeux, des divertissements, des récréations innocentes: et il assure qu'il y en a, et même quelque vertu à bien user de ces jeux, ce qui n'est point révoqué en doute et dans cet article il n'y a pas un seul mot de la comédie; mais il y parle en général des jeux nécessaires à la récréation de l'esprit, qu'il rapporte à une vertu qu'Aristote a nommée eutrapelia1, par un terme qu'il nous faudra bientôt expliquer.

Au troisième article, la question qu'il examine est à savoir s'il peut y avoir de l'excès dans les divertissements et dans les jeux : et il démontre qu'il peut y en avoir, sans dire encore un seul mot de la comédie au corps de l'article, en sorte qu'il n'y a là aucun embarras.

Ce qui fait la difficulté, c'est que saint Thomas, dans ce même article, se fait une objection, qui est la troisième en ordre, où pour montrer qu'il ne peut y avoir d'excès dans les jeux, il propose l'art des baladins, histrionum, histrions, comme le traduisent quelques-uns de nos auteurs, qui ne trouvent point dans notre langue de terme assez propre pour exprimer ce mot latin, n'étant pas même certain qu'il faille entendre par là les comédiens. Quoi qu'il en soit, saint Thomas s'objecte à

1 De Moral., lib IV, cap. xiv.

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