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Libelles contre des hommes d'un mérite incontestable, pour quelques Compilations défavouées par le bon fens & le goût. Autant il y a d'intervalle entre la fphère étroite de leur foible entendement & l'efprit vafte de Leibnitz, entre leurs demi-connoiffances & le fçavoir de ce grand homme, autant fes principes religieux fontils éloignés des leurs. On l'a dit depuis long-temps: l'existence d'un Être fuprême eft le dogme fondamental de toute Philofophie. En détruifant ce premier anneau de la chaîne, tout le refte tombe de lui-même ; l'homme livré à l'efprit de fyftême & d'erreur, s'agite, s'égare & fe perd. Il eft un Etre indépendant, au trône duquel eft attachée toute la férie des vérités qui appartienent à l'ordre moral & Phyfique, & fans lequel l'Univers n'eft qu'un affreux cahos. Leibnitz établit dans fes œuvres cet axiome facré. Voici comme ce Philofophe immortel s'explique fur cet article. » Il a eu » bien raifon de le dire, cet homme » d'un efprit prefque divin, François

;

»Bacon de Verulam, que la Philofo»phie fuperficiellement cultivée fem» ble nous éloigner de Dieu, mais » que l'étude férieufe & profonde de » cette science nous ramené à fes » pieds. Quels exemples funeftes n'a» vons-nous pas de l'abus que l'on en >> fait dans ce fiècle auffi fertile en » doctes perfonnages qu'en impies » déterminés ! Ne voyons-nous pas tous les jours des efprits imbus des » connoiffances mathématiques, des » Philofophes, qui, après être def» cendus, à l'aide de la Chimie & » de l'Anatomie, dans toutes les pro» fondeurs de la Nature, ofent affûrer » qu'il est très-poffible de rendre rai»fon de tout par la figure des corps, » par les loix du mouvement & par » les principes de la Méchanique : » bien différens de l'Antiquité qui fe » croyoit obligée de recourir ou à » certaines formes incorporelles ou » au Créateur lui-même. Des ef»prits plus déliés ou plus hardis » ont effayé d'expliquer tous les » Phénomènes naturels & toutes les

N

» qualités des corps, en faifant abs» traction de Dieu. A peine ont-ils eu fait le premier pas, à peine, d'a»près cette fuppofition, ont-ils ef»fleuré les principes & les fonde» mens des chofes, qu'on les a entendus, dans leur ivreffe, fe félici, » ter de leurs découvertes, & pu»blier que le flambeau de la raifon » ne conduifoit ni au Sanctuaire de la » Divinité ni au dogme de l'immorta» lité de l'ame; mais que cette dou»ble créance s'étoit établie dans le » monde ou par la fanction des loix, » ou par les traditions hiftoriques.

Ainfi ne rougit point de l'affûrer »le fameux Hobbes, cet homme di»gne d'être plongé dans un éternel »oubli, fi, faute de l'attaquer ou» vertement, je ne craignois que fon

nom ne confervât encore quelque » poids. Eh, plût au Ciel qu'on en » fût demeuré là, & que le délire de

la Philofophie n'eût pas pouffé des » difciples de Hobbes jufqu'à s'infcrire » audacieufement en faux contre l'autorité des divins Ecrits, contre la

» vérité de l'Hiftoire & l'authenticité » de fes relations; jufqu'à fe décla»rer les apôtres déteftables de l'A» théïsme, jusqu'à en élever publi» quement l'étendard ».

M. Dutens a recueilli tout ce qui pouvoit orner & completter cette Edition, à la tête de laquelle il a mis la Vie de Leibnitz par M. de Fontenelle. On y trouve une autre Vie compofée en Latin par Jacques Becker; elle est extraite du cinquième Volume de fon Hiftoire de la Philofophie. Vous ne lirez rien dans la Vie Latine que vous n'ayez lû dans la Françoife. Becker dit feulement en style pompeux & du ton du Panégyrique, ce que Fontenelle rapporte d'une manière fimple & précife. Je ne fçais fi ce trait qu'on lit dans ce dernier vous eft connu. Leibnitz, reçu Docteur en droit à Altorf, alla à Nuremberg pour y voir des Scavants. Il apprit qu'il y avoit dans cette ville une fociété, fort cachée, de gens qui travailloient en Chimie, & cherchoient la pierre philofophale. Le voilà poffédé du defir de profiter de

cette occafion pour cultiver la Chimie; mais la difficulté étoit d'être initié aux mystères. Il prit des livres de l'Art, en raffembla les expreffions les plus obfcures & qu'il entendoit le moins, en compofa une lettre inintelligible pour lui-même & l'adreffa au Directeur de la Société fecrette, demandant à y être admis fur la preuve qu'il donnoit de fon grand fçavoir. On ne douta point que l'auteur de la Lettre ne fût un Adepte ou à peu-près; il fut reçu avec honneur dans le laboratoire, & prié d'y faire les fonctions de Secrétaire; on lui offrit même une penfion; il s'inftruifit beaucoup avec eux, pendant qu'ils croyoient profiter beaucoup avec lui; apparamment il leur donnoit. pour des connoiffances acquifes par un long travail les vues que fon génie naturel lui fourniffoit; enfin, il paroît hors de doute que, quand ils l'auroient reconnu, ils ne l'auroient pas chaffé.

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Je fuis, &c.

A Paris, ce 16 Juin 1775.

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