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Ce n'eft plus moi !

PYGMALYON.

Qu'entens-je ?

Il fuit tous fes mouvemens, l'écoute; l'observe avec une vive attention qui lui permet à peine de refpirer. Galathée

s'avance vers lui & le fixe: il fe lève précipitamment, lui tend les bras & la regarde avec extafe. Elle pofe une main fur lui, il treffaillit, prend cette main dans les fiennes, la porte fur fon cœur, la couvre d'ardens baifers. GALATHÉE avec un foupir

PYGMALION.

Encore moi !

Oui, cher & bel objet que mes feux ont fait naître !

Oui, c'eft toi, c'est toi feul, je t'ai donné mon

être,

Je ne vivrai plus que pour toi.

Ce dernier vers eft foible: mais l'idée de faire dire à la Statue en fe touchant, c'eft moi, & en touchant Pygmalion, encore moi, eft vraîment fublime. Il faudroit d'ailleurs voir repréfenter cette Scène & toute la pantomime dont elle eft accompagnée

pour concevoir tout le preftige qu'elle peut caufer. J'avoue qu'à la lecture j'aurois attendu quelque chofe de plus frappant de l'illuftre Philofophe de Geneve. Je préférerois de beaucoup à ce morceau lyrique la petite pièce de Vers de M. de Saint Lambert fur le même fujet. Je trouve ici plus d'exaltation de tête que de véritable fentiment. Quant aux Vers de M. Berquin, ils rendent prefque toujours très bien les pentées de l'original. Il n'y en a qu'un qui m'a choqué.

Il n'eft que trop heureux pour l'amant d'une pierre

De fe nourrir d'illufion.

Je ne me fouviens plus fi cet amant d'une pierre eft dans la Profe; mais quelque part qu'il foit, il n'eft pas fupportable.

A la fuite de cette Scène est une Idylle patriotique dans laquelle l'auteur fait exprimer à des habitans de la Campagne les fouffrances qui nuifent à leurs travaux & à leur bien être. Ellefinit par les tranfports de reconnoiffance d'un vieillard fur les jours heu

reux que nous promettent & le jeune Prince qui nous gouverne & le Miniftre éclairé qu'il a mis à la tête de fes finances.

Je fuis, &c.

A Paris, ce 10 Juin 1775.

LETTRE III.

Hiftoire de la Ville de Rouen, Capitale du Pays & Duché de Normandie, depuis fa fondation jusqu'en l'année 1774; fuivie d'un Effai fur la Normandie Littéraire. Par M. S.***: Avocat au Parlement de Rouen 2 vol. in-12 d'environ 400 pages. A Rouen chez Boucher le jeune Libraire rue Gan terie, & fe trouve à Paris chez diffé rens Libraires.

CETTE Hiftoire, Monfieur, contient tout ce qui s'eft paffé de remarquable dans Rouen, & tout ce que

fes habitans ont fait ou dit d'intéref fant pour la Poftérité. L'auteur remonte d'abord à l'origine de cette Capitale de la Normandie, & montre ce qu'elle étoit au temps des Gaulois. Il décrit enfuite fon état fous la domination des Romains, & fucceffivement fous les Rois de France, auxquels elle appartint jusqu'à la ceffion qui en fut faite à Raoul; il en fuit. 'Hiftoire fous les Ducs de Normandie, qui l'ont poffédée trois cens ans; enfin fous le Gouvernement François, auquel elle eft revenue en 1204 par la conquête de Philippe-Augufte. Le commencement du regne de chaque Souverain forme l'époque principale à laquelle l'auteur s'eft attaché, & fous laquelle il range tous les évènemens qu'il rapporte; il offre la fuite chronologique de tous les Rois ou Ducs qui ont été les maîtres de la ville de Rouen, & il donne une idée de leur caractère, lorsqu'ils ont mérité, par leurs qualités perfonnelles, d'occuper une place diftinguée dans l'Hiftoire.

Vous lirez avec plaifir, Monfieur; quelques anecdotes répandues dans

cette Hiftoire. Ce fut en 912, que Rasul, Chef des Normands, prit poffeffion de la Normandie. Ce Prince étoit ami de l'ordre & de la juftice; il déteftoit le vol, & le défendit dans fes Etats fous les peines les plus ri goureufes. On peut en juger par les deux traits fuivans. Raoul avoit fait publier que tous les Laboureurs pou voient, fans crainte, taiffer leurs charrues & leurs chevaux au milieu des champs & que, fi quelque chofe leur étoit enlevé, il s'engageoit à le leur faire reftituer ou à leur en payer luimême la valeur. Un Payfan, plein de confiance en la parole du Prince; revint un jour dîner chez lui fans ramener fes chevaux, qu'il avoit laiffés dans fon champ; fa femme en murmura beaucoup. Le mari, pour s'excufer lui fit part alors de ce que le Duc avoit fait publier. La femme fe moqua de fa fimplicité, & finit par lui dire qu'il en feroit la dupe, En effet, quelques jours après, ellemême alla dérober les chevaux, & les amena fecrettement dans l'écurie. Le mari, de retour au lieu de fon

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