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DEUXIÈME ANNEXE

RAPPORT

PRÉSENTÉ AU NOM DE LA COMMISSION

PAR LA DÉLÉGATION FRANÇAISE

Au début de ce rapport dont elle a été chargée par la bienveillance de la Commission, la Délégation française croit devoir faire remarquer que les propositions de l'Administration francaise et du Bureau international n'ébranlaient aucune des bases fondamentales de la Convention de Berne. Une expérience de dix années avait révélé quelques défectuosités, des doutes avaient surgi sur certains points, des tempéraments jugés nécessaires en 1836, au début de l'Union, pouvaient paraître inutiles après une période déjà suffisamment longue de vie en commun. Il s'agissait donc simplement de faire disparaître les doutes. de rendre plus claires certaines dispositions, de réaliser quelques progrès en continuant la marche en avant pour atteindre le but si ardemment désiré d'une protection vraiment complète et efficace du droit des auteurs sur leurs euvres littéraires et artistiques. Aux propositions de l'Administration française et du Bureau international sont venues se joindre les propositions que les diverses Délégations ont présentées à la Conférence et qui. sauf peut-être une exception, avaient pour but d'amender les propositions de l'Administration française; elles ne sortaient pas du cercle des questions soulevées lors de la convocation même de la Conférence et sur lesquelles chacun des pays unionistes avait pu porter son attention. La Commission a donc délibéré sur ces diverses propositions, et c'est du résultat de ses délibérations que nous venons vous rendre compte, en nous attachant à présenter brièvement, mais aussi clairement qu'il nous sera possible, les motifs des résolutions adoptées.

La Commission a été encore plus réservée que n'avait été l'Administration française; dans le but d'arriver à l'unanimité désirable, elle a fait les plus grands efforts; la majorité a consenti à ajourner certaines solutions qui lui tenaient particulièrement à coeur. La Commission a touché, d'une main légère, à un petit nombre d'articles: elle croit avoir fait disparaitre certaines obscurités, elle a réalisé une amélioration de quelque importance relativement au droit de traduction. Il ne s'agit done pas d'une révolution, mais d'une modeste évolution. La discussion à laquelle a été soumise la Convention de 1886 a prouvé, croyons-nous, qu'elle était bonne dans

son ensemble: tous les États unionistes sont satisfaits de l'association qu'ils ont formée, et la plupart d'entre eux ne demandent qu'à resserrer les liens qui les unissent. Cette constatation n'est-elle pas un résultat fort appréciable de notre réunion en Conférence, et ne pouvons-nous espérer qu'il aura quelque influence sur les résolutions des États qui sont restés étrangers à notre Union et dont les Délégués ont bien voulu assister à nos travaux ?

Nous allons examiner successivement les diverses propositions soumises à la Conférence en les rattachant aux dispositions qu'elles ont pour but de modifier ou de compléter.

Article 2 de la Convention.

Diverses propositions avaient été faites par l'Administration française comme par les Délégations allemande, belge et suisse, pour modifier le second alinéa de cet article. Elles avaient pour but de faire disparaître une difficulté soulevée devant quelques tribunaux au sujet de la portée de la disposition contenue dans ce second alinéa, en ce qui touche les conditions et formalités à remplir pour jouir de la protection. En outre, la Délégation suisse proposait de modifier la teneur de la règle relative à la durée. La grande majorité de la Commission aurait volontiers modifié l'alinéa dont il s'agit dans le sens de ces diverses propositions. Cette idée a été abandonnée sur la déclaration de la Délégation britannique, qu'elle ne pourrait accepter ces modifications et qu'elle devait s'en tenir à l'article 2 tel qu'il était rédigé. La Commission propose donc de laisser subsister l'article 2 dans son entier, sauf deux changements sur lesquels aucune difficulté ne s'est élevée.

Dans le premier alinéa. on mentionnera expressément que les œuvres doivent avoir été publiées pour la première fois dans un pays de l'Union. Les mots soulignés n'étaient peut-être pas bien nécessaires; la nécessité de la première publication dans l'Union résultait évidemment de l'esprit et même du texte de l'article, mais enfin l'addition qui met mieux la règle en relief ne saurait avoir aucun inconvénient.

Un cinquième alinéa sera ajouté à l'article pour exprimer que les œuvres posthumes sont comprises dans les œuvres protégées par la Convention. Aucune objection n'a été faite à l'admission de cette proposition qui avait été faite par l'Administration française et la Délégation italienne, cette proposition ayant paru être pleinement dans l'esprit de la Convention de Berne. Il n'y a aucune raison pour que les principes de cette Convention ne s'appliquent pas aux œuvres posthumes et pour que ces œuvres soient laissées simplement sous l'empire des lois nationales et des traités particuliers. Des doutes s'étant produits. il vaut mieux s'expliquer d'une manière positive.

Si la Commission a renoncé à modifier le texte même du second alinéa de l'article 2, elle n'abandonne pas les idées qui avaient inspiré les diverses propositions mentionnées plus haut et sur lesquelles elle va s'expliquer.

Disons d'abord quelques mots de la phrase proposée par la Délégation suisse au sujet de la durée du droit.

D'après le texte actuel, la jouissance du droit d'auteur ne peut excéder, dans les autres pays, la durée de la protection accordée dans le pays d'origine. Cette règle, combinée avec le principe du traitement national, entraîne cette conséquence que, dans les rapports entre deux pays dont la législation établit un délai de protection différent, c'est le délai le plus court qui est appliqué, par exemple: le délai

de 30 ans à partir de la mort de l'auteur pour les rapports entre la France et l'Allemagne ou la Suisse. Mais, si, pour un ouvrage français, on ne saurait songer à réclamer en Allemagne ou en Suisse la protection pour plus de 30 ans, rien n'empêche la France d'accorder, si elle le veut, la protection à une œuvre allemande ou suisse pendant 50 ans conformément à sa propre loi, sans tenir compte de la durée plus courte fixée par la loi d'origine. La Convention donne aux États unionistes la faculté de ne pas accorder, sur ce point de la durée, la plénitude du traitement national; elle ne leur impose pas et ne saurait leur imposer l'obligation d'agir ainsi. Ils sont toujours libres d'aller au delà et de faire bénéficier les œuvres publiées dans le territoire de l'Union d'un délai de protection plus long que celui qui est prévu par la loi de leur pays d'origine. La proposition suisse avait pour but de formuler expressément cette idée. Elle n'a soulevé aucune objection au sein de la Commission qui a pensé qu'il suffisait d'une explication en ce sens dans le rapport sans qu'il fût besoin de toucher au texte de la Convention.

Les autres propositions relatives au deuxième alinéa avaient plus d'importance à raison de ce qu'elles touchaient à une question qui, en fait, s'est présentée dans la pratique. D'après le texte de la Convention, la jouissance des droits des auteurs est subordonnée à l'accomplissement des conditions et formalités prescrites par la législation du pays d'origine de l'œuvre. Le sens de cette disposition ne paraît pas sérieusement discutable. Il en résulte qu'il suffit que l'auteur se soit mis en règle avec la législation du pays d'origine, qu'il ait rempli dans ce pays les conditions et formalités qui peuvent y être exigées. Il n'a pas à remplir de formalités dans les autres pays où il veut invoquer la protection. Cette interprétation conforme au texte était certainement dans l'esprit des auteurs de la Convention de 1886, et ils avaient considéré que la suppression de la nécessité de formalités multiples était un des plus précieux avantages de l'œuvre commune. Néanmoins, certains tribunaux d'un pays de l'Union ont cru pouvoir admettre que les œuvres publiées dans les autres États unionistes étaient soumises dans ce pays aux mêmes formalités que les œuvres nationales, la Convention ne les ayant dispensées que des formalités qui pouvaient être imposées aux œuvres étrangères. La Commission ne saurait accepter une pareille interprétation qui, d'ailleurs, d'après les explications qu'a bien voulu nous donner la Délégation britannique, aurait été abandonnée par la jurisprudence la plus récente. Tout en ne voulant pas, pour les raisons indiquées plus haut, modifier le texte même de l'article 2, elle demande à la Conférence que le sens qu'elle attribue à ce texte soit consigné dans une Déclaration séparée, qui n'aura nullement le caractère d'une disposition nouvelle, mais simplement d'une interprétation authentique de la Convention. Il sera nettement entendu entre les pays qui signeront cette Déclaration, que, aux termes de l'article 2, deuxième alinéa, la protection assurée par la Convention dépend uniquement de l'accomplissement, dans le pays d'origine de l'œuvre, des conditions et formalités qui peuvent être prescrites par la législation de ce pays.

L'article 2 parle des œuvres publiées dans un des pays de l'Union sans indiquer ce qu'il faut entendre par là. Quand pourra-t-on dire qu'il y a publication dans un pays de l'Union et que, par conséquent, la condition à laquelle est subordonnée la protection a été remplie? La question n'a pas été soulevée directement sur l'article 2, mais à propos de l'article 3. Toutefois, l'article 2 étant le premier article. de la Convention où il soit parlé de la publication, il paraît utile d'y rattacher les explications relatives à la publication. (')

(1) V. ci-après, p. 189 et p. 191, les Mémoires présentés par les Délégations allemande et française sur ce sujet.

Personne n'a contesté qu'il fût utile de déterminer avec précision ce qui cons titue la publication au sens de la Convention. mais certains Délégués ont pensé qu'il valait mieux renvoyer la solution de la question aux diverses législations, d'autant plus que la question était en elle-même très ardue et qu'on arriverait difficilement à une entente. Néanmoins, la majorité de la Commission a été d'avis qu'il y avait là une question essentiellement internationale à résoudre. La publication ne produit pas d'effets seulement dans le pays où elle a lieu, mais dans les autres pays de l'Union. Un auteur unioniste a fait représenter une oeuvre dramatique à Paris, il l'a fait éditer ensuite en Suisse. Quel est le pays d'origine de l'œuvre? Est-ce la France où l'ouvre a été représentée pour la première fois, ou la Suisse où elle a été éditée? La réponse à cette question intéresse les divers pays de l'Union, puisque la législation du pays d'origine influe sur la durée de la protection. La majorité de la Commission a done estimé qu'il y avait lieu de rechercher l'interprétation qui devait être donnée à la Convention en ce qui touche la publication et de consigner dans une Déclaration séparée les solutions admises.

La question ne se présente pas dans les mêmes termes pour les ceuvres littéraires dont l'auteur tire exclusivement profit par l'impression: pour les œuvres dramatiques, musicales ou dramatico-musicales pour lesquelles il y a un droit de représentation ou d'exécution publique distinct du droit de reproduction; enfin pour les œuvres artistiques.

En ce qui concerne les œuvres littéraires, ce qui constitue pour elles la publication dans un pays déterminé, c'est le fait d'y avoir été éditées, d'y avoir été directement mises au jour ou en vente par quelqu'un qui prend la charge et la responsabilité de la publication. Le fait de l'impression dans ce pays s'y joindra le plus souvent, mais pas nécessairement. En fait, l'auteur traite avec un éditeur pour les conditions de la publication de son œuvre, sans se préoccuper du point de savoir qui l'imprimera et où se fera l'impression. C'est un détail qui regarde l'éditeur et qui ne saurait exercer d'influence sur l'application de l'article 2. Le pays dans lequel une œuvre est ainsi mise au jour, tire de ce fait même des avantages matériels et moraux suffisants pour que la protection soit assurée sur son territoire et sur le territoire des États, ses associés.

Pour les œuvres dramatiques, musicales ou dramatico-musicales, il n'y a pas de question, si, avant toute divulgation, elles ont été éditées pour la première fois dans un pays de l'Union. Il résulte de la combinaison des articles 2 et 9 que, par le fait même de cette édition, le double droit de l'auteur. pour la reproduction comme pour la représentation ou l'exécution publique, est pleinement sauvegardé. Mais on peut supposer qu'il y a eu représentation ou exécution publique, sans que l'œuvre ainsi représentée ou exécutée ait été éditée. Si le fait a eu lieu sur le territoire de l'Union, l'auteur ressortissant y est protégé, quel que soit le caractère que l'on attribue à la représentation ou à l'exécution, puisque la protection est accordée aux œuvres publiées ou non publiées. De plus. si on suppose que la première édition de l'œuvre musicale, dramatique ou dramatico-musicale, soit faite également sur le territoire de l'Union, aucune difficulté ne se présentera quant à l'application de la Convention en ce sens qu'il est bien certain que le bénéfice de la Convention pourra être invoqué; il y aura toujours un certain intérêt à savoir dans lequel des pays de l'Union la première publication de l'œuvre sera considérée comme ayant eu lieu, à raison de l'influence de la législation du pays d'origine sur la durée de la protection (alinéas 2 et 3 combinés de l'article 2).

Mais les circonstances ne seront pas toujours les mêmes. Un ressortissant fait jouer ou exécuter son œuvre pour la première fois dans un pays étranger à l'Union et la fait éditer ensuite dans un pays de l'Union. Ou, à l'inverse, après l'avoir fait

jouer d'abord dans un pays de l'Union, c'est dans un pays étranger à l'Union qu'il la fait éditer. Pour savoir quelle situation lui sera faite dans ces deux hypothèses, il faut absolument prendre parti sur le point de savoir si la représentation ou l'exécution publique constitue ou ne constitue pas une publication dans le sens de Tarticle 2; c'est ce qu'a très bien montré un mémoire spécial de la Délégation allemande.

La majorité de la Commission estime que, pour une ceuvre dramatique, musicale ou dramatico-musicale, la représentation publique ou l'exécution publique ne doit pas plus constituer la publication dans le sens de la Convention de Berne que pour une ceuvre littéraire, pour une poésie par exemple, la simple lecture faite en public. Cela paraît résulter, presqu'à l'évidence, de la combinaison des articles 2 et 9 de la Convention, spécialement du troisième alinéa de cet article 9. De plus, le fait de la représentation ou de l'exécution publique peut être plus ou moins difficile à constater, tandis que le fait de l'édition est apparent. La majorité de la Commission pense donc qu'on ne pourrait pas reprocher à un auteur unioniste qui ferait éditer sa pièce pour la première fois dans un pays de l'Union, de l'avoir fait représenter antérieurement dans un pays étranger à l'Union. Au contraire, un auteur unioniste ne se mettrait pas en règle avec la Convention si, après avoir fait représenter son œuvre pour la première fois sur le territoire de l'Union, il la faisait éditer pour la première fois hors de ce territoire.

La conclusion est donc que, pour les œuvres littéraires, dramatiques, musicales ou dramatico-musicales sans distinction, la publication résulte seulement de l'édition.

La Délégation britannique a tenu à constater que, selon la loi anglaise, la première représentation d'une œuvre dramatique ou dramatico-musicale est la publication. C'est pour cette raison qu'elle n'a pu s'associer aux résolutions de la majorité.

Pour les œuvres artistiques (tableaux. statues, etc.), on peut se demander également ce qui constitue la publication. Un peintre ou un sculpteur français exposent leur tableau ou leur statue au Salon annuel; leur œuvre sera-t-elle par là considérée comme publiée? Il est bien certain que la contrefaçon sera réprimée dans le territoire de l'Union, quelle que soit la réponse faite à cette question, puisque la protection est accordée aux œuvres publiées ou non publiées; c'est la même situation que pour les ceuvres musicales ou dramatiques représentées et non imprimées. Mais ce peintre français envoie ultérieurement son tableau dans un pays hors de l'Union; là, il est gravé ou reproduit par un autre mode. Pour ces gravures, lithographies, etc., pourra-t-on invoquer la protection de la Convention? Oui, si l'exposition au Salon de peinture constitue vraiment une publication, puisqu'alors la condition exigée par la Convention de Berne a été remplie, la première publication ayant eu lieu à Paris, c'est-à-dire dans un pays de l'Union. Non, s'il n'y a vraiment de publication que par la reproduction de l'oeuvre, puisqu'alors cette première publication a été faite hors de l'Union. La question se présenterait dans des conditions analogues pour le cas inverse, c'est-à-dire pour celui où un peintre français, après avoir exposé son tableau hors de l'Union, le ferait ensuite graver ou photographier en France. La majorité de la Commission a pensé que la solution admise pour la représentation ou l'exécution publique, solution qui découle du texte de la Convention, entraînait la solution pour l'exposition d'une ceuvre d'art. Cette exposition ne saurait constituer la publication de l'oeuvre d'art, si la représentation ne constitue pas la publication de l'oeuvre dramatique.

Il va de soi que cette interprétation des mots publication ou œuvres publiées, que la majorité de la Commission propose de consigner dans une Déclaration séparée, ne s'applique pas seulement à l'article 2. mais à tous les articles de la Convention où ces mots sont employés. Il serait donc entendu, entre les pays qui

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