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Pologne, de Hongrie et de Bohême, gardiens des frontières de la chrétienté contre les barbares, seront élus par le congrès européen, de concert avec les délégués de ces royaumes. Les Pays-Bas et les provinces du Rhin, les Suisses avec l'Alsace, le Tyrol et la Franche-Comté, feront deux grandes républiques. Les parts sont assignées au pape, au duc de Savoie, à Venise. Tout est fixé, tout est réglé, les limites des quinze dominations dont se composera la fédération européenne, l'organisation du grand conseil européen, les villes où il s'assemblera, les contingents que chaque état fournira contre le Turc. Il est évident, ici, que ce qui avait été, pour Henri IV, spéculation lointaine, matière de causerie avec son confident, s'est transformé, sous la plume de celui-ci, le plus passionné des deux, en un plan d'opérations immédiates. Les historiens, qui, justement frappés de ce que le Grand Projet offre de téméraire ou même de chimérique à ce dernier point de vue, sont partis de là pour tout nier, n'ont pas fait les distinctions qu'il convient de faire. Sulli, ce génie si pratique, avait, dans un coin de son cerveau, une disposition singulière aux utopies. Au reste, même ce qu'il peut y avoir de purement hypothétique dans tout ceci, est encore digne d'un intérêt sérieux on aime à savoir où allait la pensée de ces deux grands hommes, quand elle se donnait libre carrière loin des entraves du présent '.

Il y a des passages fort curieux dans les divers mémoires dressés par Sulli sur les magnifiques projets dont il semble souvent revendiquer l'idée première, bien qu'ailleurs il représente Henri IV les rêvant dès sa jeunesse. Il s'exprime quasi comme Hotman sur l'élection primitive des rois de France, et traite fort mal les rois dont le libertinage a envahi les libertés publiques et visé à la royauté absolue. Il veut que, dans l'organisation de la République chrétienne, on favorise les états électifs et populaires, afin de les rendre aussi puissants que les monarchies. Sur quelques autres points, il exprime des opinions bizarres : ce ministre

Les idées volent, les faits se traînent : l'homme s'égale à Dieu, quand il crée par la pensée; mais les peines et le temps que lui coûtent à réaliser la moindre partie de ces conceptions si rapides, le rendent bientôt au sentiment de sa faiblesse!

La paix signée à Vervins, en 1598, entre la France et l'Espagne, paix précaire, qui n'était point une réconciliation, n'avait pas mis fin aux luttes qui déchiraient l'Europe. La guerre entre l'Église et la Réforme continuait dans les régions du Nord. Philippe Il était mort, mais la compagnie de Jésus, qui ne meurt pas, poursuivait ses audacieux efforts pour reconquérir l'Europe au saintsiége. Après avoir rendu la prépondérance en Pologne au catholicisme, un moment ébranlé et presque abattu, les jésuites avaient entrepris l'invasion de la Suède. La réunion des deux sceptres de Pologne et de Suède entre les mains d'un petit-fils de Gustave Wasa, de Sigismond, qui avait embrassé la foi romaine, sembla leur promettre la victoire, mais la ruse et la force échouèrent également': la Suède résista et chassa son roi, qui avait voulu restaurer le catholicisme dans la Scandinavie par les lances des Polonais (1598). Les hostilités se prolongèrent entre

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si français se montre opposé à la Loi Salique. — Voyez Economies royales, t. I, p. 243-355-437 ; — t. II, p. 450-242-220-323-346. Il est évident, d'après le témoignage de Sulli lui-même, que Henri n'acceptait pas sans réserve le grand projet tel que le rêvait Sulli, particulièrement pour ce qui concernait la Belgique et la Franche-Comté. Le roi ne poussait pas aussi loin que le ministre l'abnégation en fait d'agrandissement territorial.

1 Les Suédois refusant de reconnaître Sigismond, à moins qu'il ne jurât que la confession d'Augsbourg resterait seule autorisée en Suède, les jésuites l'autorisèrent à jurer; mais, en même temps, Sigismond, pour mettre sa conscience en repos, prêta un serment contraire entre les mains du nonce. Il se crut libre d'agir à sa fantaisie, les deux serments s'annulant réciproquement. Voyez Ranke, Histoire de la Papauté, liv. VII, c. 4o, § 2.

Sigismond et Charles de Suède, son oncle et son rival, dans les provinces que la Suède et la Pologne se disputaient sur la rive orientale de la Baltique (Livonie, Courlande). Le parti catholique se dédommagea de cet échec en Allemagne, où les princes ecclésiastiques, à Cologne, à Mayence, à Trêves, à Würtzbourg, à Bamberg, à Paderborn, expulsèrent violemment le protestantisme de leurs seigneuries : l'archiduc Ferdinand de Styrie, cousin germain de l'empereur, commença d'en faire autant dans les provinces austro-illyriennes ; l'empereur Rodolphe lui-même, jusqu'alors plus occupé de beaux-arts, d'astrologie et d'alchimie que des affaires de son empire, se mit en devoir d'interdire le culte réformé, non plus seulement en Autriche, mais en Bohême et dans la partie de la Hongrie qui n'était point au pouvoir des Tures. A l'autre bout de l'Europe, les révoltes des catholiques irlandais contre l'Angleterre, à peu près permanentes depuis longues années, prenaient un développement formidable sous la direction de Hugh O'Neil (ou O'Neale), qui défit plusieurs des généraux d'Élisabeth en 1598 et 1599 : les Espagnols préparaient une descente en Irlande, et profitaient de la paix de Vervins pour réunir des forces considérables contre les Hollandais. Ils violaient le territoire de l'Empire et occupaient les deux rives du Rhin, afin de prendre la Hollande à revers.

Henri IV était bien décidé à ne pas laisser périr les Hollandais. Il tint la parole qu'il leur avait donnée, lorsqu'il leur avait annoncé la nécessité où il se trouvait de signer le traité de Vervins. Il leur remboursa, dans les moments les plus opportuns, jusques à 1,500,000 et 1,800,000 livres par an, et ferma les yeux sur les enrôle– ments qui se faisaient en France pour leur compte; des

régiments entiers passèrent au service des Provinces-Unies, en dépit d'une défense royale accordée, pour la forme, aux instances de l'ambassadeur d'Espagne. Les intrigues que les Espagnols ne cessèrent de nouer avec les mécontents de France, étaient de nature à ôter tout scrupule au roi : on n'observa pas mieux la paix d'un côté que de l'autre. Tandis que la reine d'Angleterre renouvelait son traité avec les Hollandais, Henri IV dépêcha en Allemagne un agent chargé d'exciter les princes protestants à venger la violation du territoire germanique par les Espagnols. Les princes allemands armèrent en effet : leur armement réussit assez mal, à cause de l'indiscipline de leurs troupes; néanmoins ce fut pour les Hollandais une diversion fort utile (1599). Les troupes espagnoles se mutinèrent de leur côté, pour défaut de solde, et les menaces des nouveaux souverains des Pays-Bas contre la Hollande s'en allèrent en fumée. En 1600, les Hollandais prirent hardiment l'offensive; Maurice de Nassau débarqua de Zélande en Flandre avec une belle armée, et gagna, devant Nieuport, une sanglante bataille sur l'archiduc Albert en personne (1er juillet 1600.) Néanmoins, Maurice ne prit pas Nieuport, et les grandes villes de Flandre ne se soulevèrent point à son approche : l'armée protestante eut la preuve que l'esprit de la Réforme était éteint à Gand et à Bruges. Les Hollandais furent obligés de regagner leur territoire. La guerre continua avec des succès divers.

Tous les événements qui tendaient à prouver aux deux partis religieux l'impossibilité de se détruire l'un l'autre, servaient les plans du monarque qui visait à se rendre l'arbitre de l'Europe. Henri tâchait d'isoler la maison d'Autriche, en s'acquérant les gouvernements catholi

ques aussi bien que les princes protestants; il était lié d'une étroite amitié avec Venise; il s'était réconcilié avec le grand-duc de Toscane; il s'attacha la maison de Lorraine par une alliance de famille, en mariant sa sœur Catherine au fils aîné du duc de Lorraine, à ce marquis de Pont, qui avait autrefois prétendu au trône de France, et qui portait maintenant le titre de duc de Bar (51 janvier 1599). Catherine de Navarre, qui avait alors au moins quarante ans, s'était enfin résignée à étouffer sa malheureuse passion pour le comte de Soissons; mais elle ne renonça pas de même à sa foi protestante, et resta jusqu'au bout la digne fille de Jeanne d'Albret. II fallut la ferme volonté de Henri IV pour triompher des obstacles que le clergé opposait à ce mariage mixte.

Ce qui importait sur toutes choses, si l'on voulait arracher au parti autrichien la domination morale du monde catholique, c'était d'avoir l'amitié de Rome; et le seul moyen de détourner Rome de la politique ultra-catholique qui la liait à l'Espagne, c'était de la ramener à la politique nationale italienne, de prendre le pape par ses intérêts de prince temporel. Henri IV n'y manqua pas : il avait fort mécontenté Rome en publiant l'édit de Nantes et en ne publiant pas le concile de Trente, bien que la réception de ce concile eût été une des conditions de son absolution: il compensa ces griefs par l'assistance éner

Les plénipotentiaires du roi, du Perron et d'Ossat, avaient promis que le concile serait publié, « si ce n'est en ce qui ne se pourroit exécuter sans troubler le royaume (Voyez notre t. XI, p. 484). » Le parti parlementaire et gallican se servit de cette restriction comme d'un bouclier, et fit retarder indéfiniment la réception officielle du concile réclamée par le légat et par l'assemblée du clergé. Cette réception n'a jamais eu lieu. La considération des huguenots fut pour beaucoup auprès de Henri IV. Les huguenots eussent regardé comme une me

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