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Le procédé de Fromentières pourra donc paraître puéril. Si on y regarde de plus près, on est forcé pourtant de reconnaître que, dans l'économie de son sermon, ces transitions devenaient nécessaires. Il faut se souvenir, en effet, que chacune des parties de son sermon présente un double développement, l'un dogmatique l'autre moral. Si dans le corps d'un premier point le développement moral découle de vérités démontrées précédemment, on ne peut pas dire que ce développement moral amène logiquement et nécessairement la démonstration dogmatique qui va suivre au second. Il faut cependant que ces parties se relient entre elles, et voilà pourquoi Fromentières s'applique, à la fin de chacune des parties, à ménager le passage qui conduit à la suivante : « soit << dans la prospérité, soit dans l'adversité, ayons toujours << recours au Saint-Esprit dans la prospérité, afin qu'elle ne << nous enfle pas, dans l'adversité afin qu'elle ne nous accable << pas. Car comment nous accablerait-elle puisque le Saint-Esprit « sera notre consolateur et que J.-C. le promet aujourd'hui sous « cette qualité à ses Apôtres? Paraclitus Spiritus sanctus. C'est << par cette réflexion que je vais finir ce discours. >> Ce procédé, invariablement le même, est, comme on voit, assez simple. Si l'art a pour loi de se dissimuler, on ne peut pas dire que ce soit là du grand art.

La manière de terminer le sermon marque chez Fromentières des préoccupations beaucoup moindres. On sait combien les rhéteurs et orateurs anciens attachaient d'importance à la péroraison et l'effet qu'ils en attendaient. Quand deux ou plus de deux avocats plaidaient une cause, c'était le plus pathétique et le plus habile qui prenait pour lui la péroraison.

Pour apprendre à toucher, apprends à bien finir

dit l'auteur de l'Art de prêcher. Cependant, il ne parait pas que les prédicateurs du XVII° siècle aient attaché la même importance que les anciens à cette partie du discours. Les plus brillantes

oraisons funèbres de Bossuet, celle de Condé exceptée, finissent sur le ton simple de l'exhortation familière et calme. Quand on lit les sermons de Fromentières, on peut se demander souvent s'il y a une péroraison, ou plutôt, si la péroraison est autre chose que la fin du sermon. J'ai déjà eu occasion de dire que les troisièmes parties sont généralement traitées rapidement, abrégées, tantôt « à cause de l'excessive chaleur », (1) tantôt, • pour ne pas lasser une patience royale, » (2), tantôt, « parce • qu'il a donné beaucoup d'étendue aux deux premières parties « du discours, et qu'il reste trop peu de temps pour expliquer » (3) ce qu'il y aurait à dire. Le jour de l'Ascension il renvoie au jour de Pentecôte la troisième partie, parce qu'elle rentre dans le sujet qu'il doit développer dans cette fête. (4) Il arrive ainsi que souvent, pour des raisons diverses, le prédicateur est pressé de finir, et que la péroraison, s'il y en a une, se fond avec l'application morale de la troisième partie ou même en tient lieu. Il lui est aussi arrivé, quand il parlait devant le Roi ou devant la Reine, de terminer par un compliment ou par une simple exhortation à leurs Majestés : la même chose s'observe chez Bossuet et chez Bourdaloue, ce qui prouve que les prédicateurs du XVIIe siècle en usèrent assez librement avec ce qu'on appelle la péroraison.

Tel est en ses dehors et, pour ainsi dire, dans sa structure, le sermon de Fromentières œuvre méthodique par-dessus tout, d'une allure réglée et d'une marche à peu près invariable, avec

(1) Sermon Sur la Décollation de saint Jean-Baptiste. (2) Sermon Pour la fête de tous les Saints.

(3) Panégyrique de saint Bernard.

L'auteur de l'Art de prêcher blâme ce défaut.

Choisis pour tes sermons une heureuse matière ;
Ne la propose pas sans la fournir entière.
Souvent au dernier point on n'a pu parvenir
Que l'horloge sonnant avertit de finir.

Ch. II

(4) Sermon Pour le jour de l'Ascension.

ses trois divisions et la disposition symétrique de chacune d'elles. A ces marques on peut reconnaître l'élève du P. Sénault et les habitudes du maître. On sait que Fromentières a loué le supérieur de Saint-Magloire d'avoir introduit plus d'ordre dans «<le discours, par les divisions jusqu'alors inconnues »; (1) ce que nous avons dit précédemment prouve assez que la leçon et l'exemple du maître ne furent pas perdus pour le disciple. Comme Sénault, Fromentières « introduisit de l'ordre dans le << discours, par les divisions » ; comme Sénault, il s'appliqua à fortifier par le travail ses talents naturels; comme lui, il eut soin de ne pas négliger les détails et voulut « par sa conduite, par son application, par son désintéressement et par son zèle faire << honneur à son ministère. » (1)

V

L'élève de l'Oratoire ne se reconnait pas moins au fond des choses qui remplissent ce cadre que nous venons d'étudier. L'Ecriture Sainte, la théologie et les écrits des Pères sont les sources inépuisables où s'alimente constamment l'éloquence de l'abbé de Fromentières. Ce n'est pas qu'il se prive des lumières de la philosophie ou des secours que pouvaient lui fournir les leçons de l'expérience. Bien au contraire, il aime dans ses applications morales à user des connaissances qu'il a acquises sur les hommes et sur les choses, à faire appel à ce que la réalité lui découvre. Pour arriver au cœur de ses auditeurs, il affecte de les attaquer chez eux, en prenant directement à partie leurs inclinations et leurs vices. C'est ainsi que la prédication de Fromentières a toujours pied dans la réalité, et convient à l'auditoire auquel elle s'adresse. Chaque fois, en effet, qu'il a eu l'occasion de porter la parole devant un auditoire spécial et

(1) Orais. fun. du P. Sénault. II° partie.

homogène, confrérie de charité, communauté religieuse, assemblée à la Cour ou à la ville, il s'est mis en face de cet auditoire et de ses besoins particuliers, et s'est plu à lui parler un langage qui lui convenait spécialement. C'est aussi par là que la prédication chez Fromentières évite ce ton froid, impersonnel et quelque peu indifférent qu'elle a eu souvent, depuis le XVIIIe siècle. Nous aurons à le montrer bientôt.

Mais, ne l'oublions pas; ces considérations morales et ces applications pratiques ne viennent jamais qu'après un exposé doctrinal, après une démonstration dont l'Ecriture Sainte et les Pères fournissent la matière. C'est sur ce fond solide que Fromentières s'appuie, comme le firent les plus grands parmi les orateurs chrétiens du XVIIe siècle, avec cette différence toutefois, que ceux-ci, en s'établissant sur le dogme, surent s'en servir librement et mêler leurs propres inspirations à celles du texte sacré, illuminer leurs propres méditations de tout l'éclat que la révélation pouvait leur donner, et fortifier leurs pensées par celles de la foi. Bossuet pose le pied sur le dogme, marche un instant sur ce terrain solide, s'en détache bientôt, comme s'il y avait pris de l'élan et des forces, et vole de lui-même là où le portent ses inspirations personnelles et les sentiments de son âme. Bourdaloue se saisit du dogme, l'étreint, le scrute, on dirait qu'il le féconde, tant il le pénètre profondément et sait en saisir la substance cachée que son intelligence y a découverte, ce qui est encore une manière d'avoir du génie et de faire preuve d'originalité et de force.

Il n'en fut pas ainsi de Fromentières. Il a de la Tradition une connaissance étendue et même solide. C'est là qu'à défaut d'inspiration personnelle il va chercher les idées qui lui manquent. C'est près des auteurs sacrés qu'il aime à se tenir ; c'est en leur compagnie qu'il marche, faisant à leurs œuvres des emprunts aussi larges que répétés (1). Quelquefois même, il (1) Ce n'est pas ce qu'enseignait l'auteur de l'Art de prêcher: Que les citations soient courtes et serrées.

Ch. II.

se dispense du commentaire littéral qui explique librement le texte en le développant; mais il se contente de transporter dans son sermon une page de saint Augustin, qu'il traduit pour l'intelligence de ses auditeurs. Le sermon Sur le délai de la Pénitence en fournit plusieurs exemples remarquables; et si, dans ce sermon, on voulait faire la part de saint Augustin et celle de Fromentières, on trouverait que, ce jour-là, saint Augustin a prêché par la bouche de Fromentières. Il est vrai que notre prédicateur se proposait d'enseigner une doctrine tellement sévère, qu'ayant voulu s'abriter derrière une grande autorité, il a fait parler saint Augustin à sa place. D'ailleurs, Fromentières ne fait pas mystère des secours qu'il reçoit des docteurs sacrés, et des emprunts qu'il leur doit. Que le passage qu'il tire d'eux soit long ou court, il ne manque guère au devoir de prévenir ses auditeurs. Un jour il avoue qu'il n'a guère été que l'interprète de saint Bernard (1), tant il pensait peu devoir s'en cacher. Dans une autre circonstance, il déclare qu'il doit à saint Jean Chrysostome << tout ce qu'il y a de supportable dans ce discours. » (2). Il a dit, en louant saint Dominique, que « ses prédications, semblables << à celles des anciens Pères, n'étaient qu'un docte tissu des << passages de l'Ecriture; et regardant les Epîtres de saint Paul «< comme les plus précieuses fleurs de l'éloquence évangélique, << il en exprima comme l'abeille le suc sans les altérer pour en « faire la matière de ses discours. » On peut dire aussi que dans son fond, la prédication de l'abbé de Fromentières « n'est qu'un docte tissu de l'Ecriture » et des Pères. Les emprunts qu'il fait sont plus nombreux et plus larges à mesure qu'il avance dans la prédication. Aussi peut-on se le représenter étudiant sans relâche la Sainte Ecriture, en exprimant «< comme l'abeille les << sucs sans les altérer, pour en faire la matière de ses discours », (3) et amassant patiemment dans ce travail ininterrompu de riches

(1) Panég, de saint François de Borgia, IIIme part.

(2) Sermon Pour la translation de saint Benoît. IIIe part. (3) Panég. de saint Dominique, IIo part.

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