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CHAPITRE III

DOCTRINES DE FROMENTIÈRES

I.

11.

But de ce chapitre... position prise par Fromentières vis-à-vis du Fansénisme; il ne le combat pas directement; il se déclare pour les Jésuites.

Vigueur avec laquelle il attaque le Protestantisme; appel au bras séculier; excès de zèle;... un mot sur les sacrilèges de la Voisin.

III. Caractère moral de la prédication au XVIIe siècle et chez Fromentières ;... comment Fromentières enveloppe dans un compliment les leçons qu'il fait au roi; morale qu'il prêche à Louis XIV: dangers de la flatterie; contre l'amour de la gloire, contre la passion de la guerre;... comment un bon roi doit administrer les finances de son royaume ;... liberté apostolique de cette prédication.

IV. Devoirs des grands : l'exemple, l'amour des ennemis, le jeûne, la pénitence, l'aumône; raison, qualités et mesure de l'aumône, du socialisme chrétien.

V.

Obligations des évêques, vocation, désintéressement, soin des pauvres, prédication, résidence;... devoirs des prédicateurs ;... devoirs des pères et mères de famille, à l'égard de leurs enfants, de leurs domestiques.

VI. Caractère pratique de cette prédication;... morale appuyée sur le dogme, ni trop sévère, ni relâchée.

VII. - Un mot de M. Jacquinet;... Fromentières et Massillon.

I

La prédication n'a pas d'autre objet que de faire naître ou développer la vie chrétienne dans les âmes. Or cette vie se réduit

à ces deux termes : croire et agir; donner l'adhésion de son esprit aux croyances qui constituent le dogme, et pratiquer les préceptes que comprend la morale chrétienne.

Les sujets que ce vaste ensemble de matières présente à l'orateur chrétien sont si nombreux, qu'il est obligé de choisir, et dans ce choix, il doit s'inspirer d'abord des besoins du peuple pour lequel il parle. S'il est, en effet, un genre littéraire qui doive se ressentir du milieu dans lequel il se produit, c'est assurément la prédication, parce qu'elle n'a précisément d'autre raison d'être que les besoins du peuple auquel elle s'adresse. Etudier ces besoins pour les connaître, les connaître pour y répondre, c'est le devoir de tout prédicateur qui ne se contente pas de frapper l'air de ses vaines paroles, mais qui veut aller à l'âme de ceux qui l'écoutent. Or ces besoins diffèrent avec les milieux et avec les temps: parfois c'est le dogme qui l'emporte sur la morale, parce que la foi court à certaines heures plus de dangers que les mœurs et dans la morale comme dans la foi, c'est tel précepte ou tel dogme qui dans des circonstances déterminées doit être particulièrement affirmé et plus énergiquement soutenu. Par là il arrive que la prédication fournit à l'histoire une source très riche de renseignements sur les dispositions morales ou les croyances d'une époque : plus que bien d'autres documents, elle nous fait connaître la vie intime d'un âge disparu. Quand l'histoire même se tairait, nous n'aurions pas de peine à deviner, par la lecture des écrits de saint Augustin, que le monde d'Occident au IVe siècle voyait renaître au sein du Christianisme une sorte de stoïcisme chrétien, d'une superbe diabolique lui aussi, puisqu'il enseignait à l'homme sa grandeur, en lui montrant dans sa liberté, séparée de la grâce, les énergies nécessaires et suffisantes pour faire le bien. Nul ouvrage ne nous fait mieux connaître la décrépitude de l'empire de Byzance et des peuples d'Orient, que les homélies de saint Jean Chrysostome. (1) Ainsi, les prédicateurs deviennent eux aussi les

(1) Cf. Saint Jean Chrysostome et son temps par A. Puech. Ch. II. Paris 1891...

témoins de leur temps, et leurs œuvres ajoutent à l'intérêt qui leur vient de l'éloquence celui que leur donne l'histoire.

Il faut noter encore que le choix du sujet n'est pas tellement imposé par l'auditoire, qu'il ne soit inspiré aussi par les tendances du prédicateur. Celui-ci est le témoin de son temps; mais il le voit à travers son âme indulgente ou sévère, tranquille ou inquiète, sereine ou chagrine. La chaire peut bien avoir ses Héraclites qui regardent d'un œil attristé les foules humaines défiler incessamment avec le lugubre cortège de leurs incurables misères : elle a aussi ses Démocrites, cœurs souriants et tranquilles, dont rien ne trouble l'inaltérable sérénité. Il peut y avoir dès lors, dans les doctrines prêchées par le prédicateur, comme un écho affaibli de confidences qu'il nous aurait faites pour se révéler lui-même à nous. Ce n'est donc point pour en juger l'orthodoxie que nous étudierons dans ce chapitre la doctrine de Fromentières, mais pour voir, derrière la doctrine, d'abord le temps auquel il crut de son devoir de la prêcher, ensuite, le tempérament qu'il apporta à son œuvre et la manière dont il s'y révèle à nous.

Les questions de doctrine qui agitèrent le plus le XVII° siècle sont celles que soulevèrent l'apparition du Jansénisme, les prédications des pasteurs protestants ou leurs ouvrages de controverse. Fromentières aurait eu quelques sympathies pour la doctrine janséniste, ou du moins pour ses représentants, qu'il ne faudrait pas s'en étonner outre mesure. Plus d'un, parmi les maîtres dont il avait conservé un souvenir affectueux et reconnaissant, avait donné dans les doctrines nouvelles. Le cardinal de Bérulle est soupçonné de s'être laissé circonvenir par l'abbé de Saint-Cyran, et l'on sait que l'Oratoire ne fut pas toujours hostile au réformateur. Si le P. de Condren, durant son généralat, fut peu tendre pour la doctrine de l'Augustinus, en revanche, quand cette charge passa aux mains du P. Bourgoing, les esprits eurent plus de liberté pour manifester leurs sentiments

et suivre leurs opinions. (1) Il y avait des jansénistes à Saint-Magloire. Aussi les Jésuites tiraient-ils sur la Congrégation, et le P. Annat, qui surveillait de près l'intrigue janseniste faisait-il connaître, dans ses lettres au public, les sympathies secrètes des Messieurs de Saint-Magloire pour le livre de Jansenius. C'était porter un rude coup à Saint-Magloire que d'accuser l'orthodoxie de ses professeurs; c'était menacer la maison dans son existence même. Le P. Sénault s'en émut, et un jour de l'année 1657, comme il avait prêché au Val-de-Grâce devant la Reine-mère, en descendant de chaire, il demanda une audience secrète de sa Majesté « dans laquelle il lui dit qu'il était fâcheux << que la maison de Saint-Magloire fut calomniée dans le public << sur ses sentiments par rapport aux cinq propositions, tandis que << tous ceux qui la composaient étaient soumis et prêts à faire, << entre les mains du grand vicaire du Cardinal de Retz, telle << déclaration qu'il jugerait à propos. » (2) Le P. Sénault criait à la calomnie: on peut croire sans hésiter qu'il était de bonne foi; mais il dut être douloureusement surpris, quand, quelques années plus tard (1661), le moment de donner des gages étant venu, plus de cent prêtres de l'Oratoire sur 430 refusèrent de signer le formulaire. L'un des plus obstinés fut le P. Léonard de Laborde, qui avait été et qui était peut-être encore professeur de morale à Saint-Magloire.

En dehors de ses anciens maîtres, Fromentières avait dans le Jansénisme de nombreux et puissants amis de Ligny, évêque

(1) « Malgré la défense du P. Bourgoing, on allait jusqu'à lire à table dans quelques maisons le livre de Jansénius et autres thèses jansenistes.>> Ann. de l'Orat. Année 1653, Archives nat... « Le P. Desmares affirme << qu'il n'y a pas de maison de l'Oratoire où l'on ne comptât de généreux << défenseurs de la grâce et peu de molinistes ». Remontrance chrétienne aux PP. de l'Oratoire. Biblioth. nat. B. 1417. Dans une lettre, M. Olier raconte qu'un homme étant allé se confesser à Saint-Magloire, le confesseur << l'avait assuré qu'à la cour tout était hérétique excepté << M. de Luynes et M. de Liancourt. » Voir Faillon, Vie de Mgr Olier. Tome I, page 196.

(2) Arch. nat. MM. 624.

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