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les yeux la manière de vivre des ancêtres du roturier parvenu: << les festins étaient des repas de sobriété et de charité... << n'ayant point ici-bas de cité permanente, ils ne s'épuisaient << pas pour y faire des établissements brillants, pour illustrer << leur nom, pour élever leur postérité et anoblir leur obscurité et leur roture; ils ne pensaient qu'à s'assurer une meilleure • condition dans la patrie céleste; et... aujourd'hui, nul n'est << content de son état, chacun veut monter plus haut que ses << ancêtres, et leur patrimoine n'est employé qu'à acheter des << titres et des dignités, qui puissent faire oublier leur nom et la << bassesse de leur origine. » (1)

Enfin il est une autre différence, plus grave celle-ci et toute à l'honneur de Fromentières. La doctrine de Massillon est vague parfois, flottante, peu sûre même, en certains endroits. On connait son sermon Sur le mauvais riche. Procédant par élimination, Massillon se demande quel a donc été le crime de ce mauvais riche, et il arrive à cette conclusion que cet homme << essentiel sur la probité, réglé dans ses mœurs, vivant sans << reproche, et selon que le monde veut qu'on vive quand on a « du bien... un de ces hommes que le siècle loue, que la voix publique exalte, qu'on propose pour modèles et que la piété • elle-même n'oserait condamner » (2) n'a commis d'autre crime que celui d'être riche. Or je ne puis admettre une pareille conclusion je demande donc à Fromentières ce qu'il en pense et il me répond : « que la condition des riches est indifférente << par elle-même... Quelque indifférente qu'elle soit de sa nature, << elle est souvent une cause de réprobation, par rapport aux « péchés qui ordinairement sont inséparables des richesses. » (3) Cette fois j'en crois l'orateur, parce que le bon sens, qui se refuse à croire que la richesse soit criminelle par elle-même, comprend qu'elle est pourtant ou la cause ou l'occasion de bien des

(1) Massillon. Sermon Sur l'aumône.
(2) Sur le mauvais riche. Ire partie.
(3) Des péchés des riches. Exorde.

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rimes. Ce n'est pas le seul point sur lequel on pourrait couver en défaut la théologie de Massillon dans son œuvre ratoire, qui est assez étendue, il est plus d'une affirmation lont il serait facile de relever l'exagération et l'inexatitude. (1) C'est qu'à l'inverse de Fromentières, il se préoccupe assez peu d'appuyer sa d'appuyer sa doctrine sur la théologie. Les sujets dogmatiques ne semblent pas convenir à son tempérament. Il aime mieux expliquer, développer, commenter la morale. Mais la morale avec lui se sécularise au lieu de l'appuyer comme les prédicateurs du XVIIe siècle sur l'autorité de l'Ecriture Sainte et de la Tradition, il lui donne ce qu'au XVII° siècle elle n'avait pas, cet air de philosophie mondaine qui lui convient dans une chaire d'académie, non pas dans une église, « dans l'école d'Athènes aussi bien que dans la chapelle de Versailles. (2) Les textes tirés de l'Ecriture Sainte y sont assez rares, et quand ils se mêlent à la trame du discours, on sent bien qu'ils n'y sont qu'à titre d'ornements et pour donner au sermon les dehors chrétiens ils y sont parce qu'il convient qu'ils y soient. Le sermon Sur l'Aumône en fournit la preuve. On peut voir comment Massillon établit la nécessité de l'aumône, comment il en règle les convenances: ce sont des raisons de sentiment, d'intérêt, le code de la bienfaisance et de l'humanité pour les grands. » (3) Mais par là même, Massillon affaiblit la portée de son enseignement; car, tant qu'il s'en tient aux considérations humaines, le prédicateur court le risque de manquer de motifs suffisants pour toucher le cœur : « sans l'autorité de la doctrine, dit Nisard, sermon n'est qu'une leçon de morale sur le ton de « l'homélie. » (4) Il faut aux âmes communes, qui sont l'immense

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(1) F. Brunetière, Revue des Deux Mon les. 1er janvier 1881. l'Eloquence de Massillon.

(2) Ibid.

(3) Thomas. Eloge de Massillon.

(4) D. Nisard: Histoire de la littérature française. IIme édit. Tom. IV. Chap. VII, page 265.

majorité, d'autres stimulants que ceux de la morale, aimée pour elle-même. En la dépouillant de ses motifs divins, Massillon affaiblit la morale. Ce n'est pas tout si la chaire avec lui ne perd rien de son éloquence, elle perd de sa sainteté. Le temps n'est pas éloigné, où les prédicateurs traiteront dans la chaire des sujets qui n'ont rien de commun avec le Christianisme. (1) Sans qu'il s'en doutât, Massillon n'a pas peu contribué à lancer la prédication dans cette voie. C'est dans la voie toute opposée que nous avons trouvé Fromentières.

(1)« On prêchait alors, je m'en souviens avec douleur, sur les petites << vertus, sur le demi-chrétien, sur le luxe, sur l'honneur, sur l'égoïsme, << sur l'antipathie, sur l'amitié, sur l'amour paternel, sur la société « conjugale, sur la pudeur, sur les vertus sociales, sur la compassion, << sur les vertus domestiques, sur dispensation des bienfaits etc. etc. enfin « sur la sainte Agriculture... Maury. Essai sur l'Eloquence, Chap. XXIV << page 82. >>

I.

CHAPITRE IV

FROMENTIÈRES MORALISTE

Ce qui fait du prédicateur un moraliste; pratique de l'ascétisme;... Fromentières et Pascal; grandeur et misère de l'homme, des rois ;... l'intérêt, cause d'erreur.

II. - Fromentières et La Bruyère; l'ambitieux, les parvenus;... caractère général et pratique des peintures morales de Fromentières.

III. — Les femmes, ce qu'elles étaient au XVII° siècle ;... comment Fromentières les représente ;... luxe dans les églises ;... les demi-converties; pourquoi le prédicateur fut dur à l'égard des femmes;.. comment celles-ci acceptaient ces peintures;... ton ironique, Fromentières et La Fontaine... Fromentières et le P. Lejeune; femmes éminentes par leur leur piété ;... justice que Fromentières leur rend.

IV. - La Cour, dangers qu'elle offre aux rois; les courtisans, leur vénalité, leur lâcheté, leur hypocrisie; salut très difficile à la Cour, rares vertus qu'on y rencontre, vices qui y règnent; franchise avec laquelle en parle Fromentières; le bonheur n'est pas à la cour.

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V. Pourquoi Fromentières ne peint que les mauvais côtés du XVII° siècle. Vertus que ce siècle vit fleurir.

VI. Caractère de Fromentières moraliste: sobriété dans le

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détail, peu de profondeur et d'originalité... Différence avec Bourdaloue, ressemblance avec Massillon.

I

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On l'a remarqué et répété souvent il n'est pas de prédicateur qui, par son ministère, ne soit forcément doublé d'un moraliste

parce que, en chaire, tout se réduit à parler ou de Dieu ou de l'homme, et que pour parler de l'homme la première condition est de le connaître.

On a dit aussi que par le ministère qu'il exerce au confessionnal, le prêtre a des moyens d'information très puissants, qui le mettent en mesure de pénétrer les plus intimes secrets de notre nature: c'est là que les actions se dévoilent, que les mobiles se découvrent, que les vertus apparentes s'évanouissent comme de pâles ombres, pour nous révéler les vices cachés qu'elles recouvraient ; c'est là qu'on sonde les plaies vives de l'âme, qu'on étudie les troubles profonds que la déchéance originelle y a produits. Tout cela a été dit. Mais il est une considération sur laquelle on n'insiste pas assez, quand on veut expliquer pourquoi les prédicateurs furent généralement éclairés d'une lumière si vive à l'égard de l'âme humaine, et l'on ne tient pas assez compte de l'étude méditée qu'ils ont faite d'eux-mêmes, par la pratique religieusement quotidienne de l'ascétisme chrétien. On ne saurait dire à quel degré de profondeur cette pratique peut nous faire descendre dans l'étude de l'homme, et de quelles lumières elle peut nous envelopper. Il y a dans l'Ecriture Sainte des livres moraux d'une profondeur étonnante, et qui en disent plus long que les Pensées de Pascal et les Maximes de la Rochefoucauld. Il y a dans ces livres, pour l'homme qui sait s'isoler des bruits du dehors et s'absorber dans la méditation d'une pensée profonde, des mots suggestifs, d'une portée fort étendue, qui fournissent à l'âme qui réfléchit une riche matière à considérations morales, et illuminent au regard de son intelligence les profondes perspectives que présente la nature de l'homme.

Or il y a eu des hommes qui ont passé une grande partie de leur vie à prier, et à méditer la substance cachée dans les divine3 Ecritures. C'étaient souvent, en même temps que des saints, des hommes d'un esprit vaste et d'un génie profond, un saint Augustin ou un saint Bernard. De leurs méditations sont quelquefois sorties des œuvres mystiques d'une merveilleuse

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