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renseignements flatteurs et de louanges à l'égard du monde, surtout à l'égard des grands.

Et cependant, nous pourrions ici comme plus haut, quand il était question du clergé de France et des femmes, citer d'honorables exceptions. Car dans ce milieu de la Cour, à côté des rivalités déchaînées, malgré la servilité, l'intrigue, la haine, l'ambition du plus grand nombre, il y eut des hommes d'une nature franche et loyale, qui se tinrent à l'écart des intrigues, et ne traversèrent la scène que pour y donner le spectacle de leur grand caractère et de leurs nobles vertus: un Chevreuse, « offrant << tout à Dieu, qu'il ne perdait jamais de vue »; (1) un Beauvilliers << dont la vie était entièrement partagée entre les exercices de << piété, les fonctions de ses charges et les affaires; (2) un Pomponne, digne fils de son père par l'austérité de ses mœurs ; unde Saint-Louis, « l'un de ces preux militaires, pleins de droiture << qui la mettent à tout.» (3) « La magistrature comptait dans son sein des modèles d'intégrité et de vertu, l'honneur de nos << vieux parlements, les Lamoignon, les Séguier, les Le Fèvre « d'Ormesson. » (4) Combien qui suivaient l'exemple donné par l'abbé de Rancé et l'abbé Le Camus, comme ce du Charmel qui, exilé de la Cour et du plus grand monde, devint « homme de << cilice à pointes de fer, à toutes sortes d'instruments de «< continuelles pénitences. » (5) Quel puissant ressort il y avait alors dans les âmes, puisqu'elles étaient capables de résolutions si soudaines et d'une persévérance si héroïquement soutenue! << Ainsi l'on s'abandonnait au mal, on s'y jetait souvent avec << fureur mais on ne s'y livrait ni sans combat, ni sans retour. « Pour être juste envers le XVII° siècle, il ne faut l'appeler << absolument ni le siècle de la vertu, ni le siècle de la corruption;

:

(1) Mémoires de Saint-Simon. T. IV. p. 97. (2) Ibidem, T. VII. p. 116.

(3) Ibidem, T. I. p. 397.

(4) A. Feugère Bourdaloue. 2o édit. p. 494. (5) Mémoires de Saint-Simon, T. III. p. 243.

• il faut l'appeler le siècle des grands repentirs, ce qui suppose tout à la fois et de graves désordres, et de puissantes énergies << morales pour les réparer. C'est là le trait dominant des mœurs << de cette époque, et ce qui les distingue plus profondément de << celles des temps qui suivirent. Au XVIIIe siècle, la licence << sera, sinon plus scandaleuse, du moins plus générale encore, • et l'on ne se repentira plus. » (1) Ajoutons à cette remarque d'un esprit impartial, qui fut un homme de savoir et de goût, que la meilleure preuve du christianisme, dont les âmes gardaient l'empreinte, au milieu même de leurs désordres, est dans la liberté que le XVIIe siècle accorda aux prédicateurs dans la chaire.

D'ailleurs, il faut se souvenir que la Monarchie française ne comptait pas seulement un roi entouré de sa noblesse. Après Paris et Versailles, il y avait encore la France; après la noblesse, la bourgeoisie et le peuple. Les rares écrivains qui ont daigné s'occuper du peuple, nous parlent de sa manière de vivre simple, de ses vertus antiques, de sa résignation à supporter les durs labeurs, de son énergie dans le travail et de sa persévérance à refaire sans cesse sa fortune, sans cesse compromise par les exigences de l'Etat. Entre la noblesse qui jouissait de ses avantages héréditaires, et le peuple qui travaillait, se plaçait la bourgeoisie. Celle-ci s'enrichissait; elle préparait lentement, peu à peu, sa fortune politique et sa place dans les conseils de la monarchie. Bientôt, nous la verrons dirigeant les affaires de l'Etat. C'est là que le travail, l'émulation, le désir de parvenir entretiennent le plus de vertus. Louis XIV fut l'héritier, grand seigneur et richement doté, d'ancêtres économes mais il dépense sur place la fortune qu'il a reçue, et, contrairement à la loi du progrès, il laisse à ses héritiers une situation moins brillante que ne l'était la sienne en 1660. Sans s'en douter, il a préparé la décadence. La noblesse agit comme son roi.

(1) A. Feugère. Bourdaloue. p. 499.

VI

Il est des moralistes qui ont besoin d'alimenter leur veine en s'inspirant d'autrui. On croirait, à les voir, ou que par eux-mêmes ils n'ont pas un assez riche fonds d'observation pour en vivre, ou qu'ils n'osent pas s'aventurer seuls, de peur de s'égarer. Ils aiment avoir quelqu'un qui leur marque le point de départ ou le point d'arrivée. Ces esprits manquent d'énergie ou d'assurance; peut-être sentent-ils l'impuissance de pousser bien loin leurs observations, s'ils ne sont pas soutenus. Montaigne aimait bien trouver dans Plutarque, Sénèque, ou d'autres encore, des maximes, des anecdotes qui servaient de point de départ à ses inspirations personnelles, excitaient sa pensée, stimulaient sa verve, et dispensaient de tout effort ce penseur nonchalant, qui d'ailleurs en était incapable: appuyé sur ses auteurs, il allait aisément son train, et entrait souvent dans sa pensée en pénétrant d'abord dans la pensée d'autrui. Dans un but et pour un motif différents, Fromentières fait un peu la même chose. Sans doute, il est doué d'assez de réflexion et d'observation pour être capable de voir par lui-même, et de dire ce qu'il a vu; cependant, il est rare qu'il s'aventure seul, et que, dans ses peintures ou observations morales, il ne soit accompagné d'une autorité qui donne du poids à sa morale et fortifie ses observations et cette autorité, on le devine, appartient toujours à la littérature sacrée, la Bible ou la Tradition. Parmi les passages déjà cités, il en est très peu qui ne puissent servir à faire la preuve de ce que nous avançons maintenant. En voici un autre exemple : c'est encore une peinture de la cour; elle complètera tout ce que Fromentières a déjà dit sur les grands et les courtisans : « Etes-vous engagés <«< dans la cour? Quel enchaînement de malheur pour vous ! << Avez-vous l'oreille du prince? Vous ne lui dites jamais la « vérité, à moins qu'elle ne vous soit avantageuse; toujours prêts

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re indifféremment le crime comme la vertu, si votre exige grands observateurs des saisons et des vents, iter de ceux qui vous seront favorables; religieux à s lois du temps et de la faveur et nullement celles de rdis et précipités dans vos promesses, froids et dans leur accomplissement, in promissione veloces, one mendaces; graves et sérieux dans vos paroles,

dans votre âme et votre conduite, in verbo animo turpes; ravis quand vos desseins réussissent, uand vous les voyez traversés, læti ad prospera, adversa; pleins d'orgueil quand on vous sert et loue, inquiets et impatients quand on vous méprise, obsequia, anxii ad opprobria. C'est du moins le que vous faisait autrefois saint Prosper.» (1) En ses observations morales à celles des Livres Saints Fromentières reste fidèle à sa méthode de faire jours la prédication à ses sources, de lui donner de fortifiant la parole de l'homme par les emprunts faits e Dieu. Ce n'est de sa part ni impuissance à observer , ni nonchalance à faire un effort pour pénétrer e, mais bien conviction raisonnée qu'un prédicateur oduire Jésus-Christ dans les cœurs, << qu'avec des ngéliques. » (2)

omentières s'écarte à peu près totalement de la ourdaloue. Si nous comparions les deux prédiconstaterions qu'ils ont prêché les mêmes doctrines. prochements très rapides, faits au cours de cette t prouvé que ces deux prédicateurs s'éclairent utre. Mais quelle différence dans leur manière ! loué d'un rare talent de pénétration, va très dans l'observation morale. Au lieu de s'arrêter, ntières, à ce que la pratique du monde a surtout int Sulpice. I part. nt Dominique. II part,

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d'extérieur, à ce que les penchants de l'âme manifestent au dehors, il démêle habilement les motifs qui nous font agir, analyse nos penchants secrets, et porte tellement la lumière au plus profond de nous-mêmes, qu'il y aurait bien lieu de répéter à son sujet ce que Madame de Sévigné a dit de Nicole : « Ce qui s'appelle chercher au fond du cœur avec une lanterne, c'est ce qu'il fait. » De là ces analyses fines, pénétrantes, admirables de clarté autant que de vérité, d'une logique surprenante, qui, de degré en degré, descendent dans les profondeurs de l'âme, y portent la lumière, et découvrent à l'homme ce qu'il est en son fond. Atteindre ainsi nos penchants à leur point d'origine est le privilège des moralistes de race, des observateurs de génie, le signe évident de la maîtrise intellectuelle. D'autres, moins clairvoyants et d'un regard moins ferme, restent plus à la surface de l'âme, et l'étudient moins en elle-même que dans ses manifestations au dehors : ils dépeignent la vie humaine plutôt que l'âme de l'homme. C'est dans ce dernier groupe qu'il faut placer Fromentières.

Cette différence en amène une seconde : les observations morales de Fromentières sont courtes, le plus souvent, comme des maximes; rapides comme des constatations, où l'on ne dit juste que ce qu'il faut. D'une manière très délicate et très fine, où le détail abonde, Bourdaloue nous rend compte de ses investigations poursuivies jusqu'aux derniers replis de l'âme humaine; ses analyses sont souvent des études complètes d'un coin inexploré de notre cœur. Si l'on veut se faire une idée de cette manière différente des deux prédicateurs, qu'on prenne le sermon de Bourdaloue Sur la Charité chrétienne et les amitiés humaines. Dans une page, trop longue pour être rapportée, le Jésuite montre comment de l'estime on passe à l'amitié, puis, par quelles pentes et quels degrés on arrive insensiblement à l'amour, et à l'amour sensuel. Il note tous les intermédiaires, et marque les moindres nuances. Tout le morceau est d'une observation morale remarquable, d'une ingénieuse analyse,

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