Images de page
PDF
ePub

d'une admirable finesse. (1). Fromentières suit une marche plus rapide, il est vrai, mais moins frappante il n'analyse pas, il constate : « D'abord c'est une honnête civilité; cette civilité << est suivie de complaisance, cette complaisance d'attachement, << cet attachement d'amour impudique, cet amour impudique « d'infidélité à son propre mari. » (2) Cela est très sec auprès de la manière pleine et large de Bourdaloue. Celui-ci avait-il compris le goût de son siècle pour l'analyse morale et les portraits? Je ne sais. Toujours est-il, que c'est par là surtout qu'il séduisit ses auditeurs et les charma. Madame de Sévigné écoutait Bourdaloue, comme elle lisait Nicole, et pour les mêmes raisons l'enthousiasme qu'elle a pour le prédicateur est bien le même que celui qu'elle professe pour l'auteur des Essais de morale. C'est par là que Bourdaloue obtint plus de suffrages, au XVIIe siècle, que Bossuet lui-même; et c'est par là que Fromentières lui serait notablement inférieur, s'il était vrai, qu'en tout le reste, il put lui être comparé.

En revanche, c'est ici que Fromentières se rapproche d'une manière assez sensible de Massillon, et qu'on peut voir dans le second la continuation ou plutôt le perfectionnement du premier. Dans l'observation morale, Massillon, comme Fromentières, ne descend pas à une grande profondeur. On ne peut pas dire qu'ils aient vu l'homme et la société de leur temps, autrement que le plus grand nombre de leurs contemporains, et qu'en cette matière, ils aient fait des découvertes. Les moralistes profonds de la chaire sont Bossuet et Bourdaloue; les autres n'ont guère pénétré au-delà de la surface extérieure, par laquelle se trahit l'âme de l'homme; et, s'ils ont pu quelquefois faire illusion sur la profondeur de leur pénétration, c'est, comme souvent La Bruyère, par l'originalité du tour et le pittoresque de l'expression qui traduit leur pensée. Mais ce qui distingue Fromentières de Massillon, c'est le charme et l'ampleur avec lesquels

(1) Cette page est citée par A. Feugère, op. cit. p. 419.
[2] Sermon Sur la Décollation de saint Jean-Baptiste. Ire part.

celui-ci développe ses pensées morales, l'habileté, dans laquelle il excelle, à les envisager sous tous les aspects et à les montrer dans le jour le plus intense. C'est le moins sentencieux des moralistes; il se plaît dans l'amplification et connaît tous les secrets pour développer un lieu commun. Là il est maître. Au contraire de Bourdaloue qui descend de plus en plus, par degrés, dans l'âme de l'homme, Massillon ne change pas de niveau, mais il explore et nous fait connaître parfaitement celui où il s'est arrêté. Et, tandis que Fromentières, se contentant d'indications précises et brèves, interroge surtout sa raison, Massillon, jusque dans l'observation morale, fait œuvre d'imagination et de sensibilité.

Nous n'insisterons pas sur ce point. Aussi bien la comparaison que nous avons établie à la fin du précédent chapitre, entre Fromentières et Massillon, suffit à montrer l'intervalle qui sépare les deux prédicateurs. Par tout ce que nous venons de dire, nous avons surtout voulu nous ménager le droit de conclure, que les œuvres de Fromentières ne sont pas dépourvues de cet intérêt particulier que donnent, à toute œuvre littéraire, la peinture d'une époque et le reflet des mœurs du temps.

CHAPITRE V

S PANÉGYRIQUES DE FROMENTIÈRES

Nombre et variété des panegyriques de Fromentières... Comment le XVII® siècle entendait le panégyrique... Comment l'entendait Fénelon... Comment l'entendait Fromentières... Comment il l'a traitė.

- Dans son ensemble le panegyrique a été mal compris par Fromentières... On y rencontre de bonnes pages; d'heureux détails; exemples pris dans les panegyriques de saint Pierre... de saint Paul...

II. — De l'histoire dans les panegyriques de saint Sulpice, de saint Bernard et de saint Charles Borromée... Fromentières et Fléchier... Conclusion du chapitre.

I

Quand j'ai parlé de la Rhétorique de Fromentières, de sa doctrine et de sa morale, je me suis appuyé également sur des exemples empruntés soit aux Panegyriques, soit aux Oraisons funèbres. Si ces deux derniers genres n'offraient pas un caractère tout différent de celui du sermon, il est clair qu'il n'y aurait pas lieu de leur consacrer une étude à part, et les deux chapitres qui vont suivre n'auraient plus leur raison d'être. Mais, par la nature des sujets qu'ils traitent et du but qu'ils poursuivent, les panegyriques et les éloges funèbres se distinguent du sermon, sinon dans leur forme et dans la doctrine qu'ils contiennent, du moins dans leur caractère général, dans le ton, et aussi dans la manière dont ils doivent être conçus. Il n'est pas sans intérêt, il

est même nécessaire, pour que cette étude soit complète, de voir quelle idée Fromentières s'était faite du panégyrique et comment il l'a réalisée.

Ce qui frappe tout d'abord, quand on parcourt le recueil de la prédication de Fromentières, c'est la place considérable que les panegyriques y occupent. Sur les six volumes, il y en a deux qui ne contiennent que des panégyriques. Si l'on était pressé de conclure, on serait porté à dire que Fromentières aimait particulièrement ce genre de prédication, et qu'il s'y distinguait, peut-être, plus que dans le sermon. Je ne serais pas éloigné de croire qu'il eut un faible pour les manuscrits qui contenaient ses panégyriques, qu'il les conserva avec plus de soin, et que, pour cela même, ils ont eu meilleure fortune, je veux dire qu'il s'en est moins perdu. L'élève du P. Sénault eut sans doute la faiblesse de croire, comme son maître, que le panégyrique est l'œuvre d'un homme habile, qui s'applique à rehausser les vertus admirables des saints par sa parole << que c'est le dernier effort de l'éloquence, et que << l'orateurse couronne lui-même, quand il compose des guirlandes << pour les autres.» (1) Puisque donc il s'agit de guirlandes, disons tout de suite qu'il en a composé près d'une quarantaine, consacrées à des saints de tout rang, de toute condition, de tout sexe, de toute époque, saint Pierre, saint Paul, saint André, saint Jean l'Evangéliste: voilà pour les apôtres; saint Benoît, saint Bernard, saint Dominique, saint François d'Assise, saint Ignace : voilà pour les fondateurs d'ordres religieux, desquels l'hagiographie et l'histoire ecclésiastique conservent pieusement les traits, la physionomie morale, et le souvenir de leurs grandes actions; saint Louis, saint Charles Borromée, saint François de Sales, dont le nom, à chaque page de leur histoire, se trouve mêlé aux évènements contemporains; qui prirent une part active aux luttes de leur temps, eurent une influence marquée sur la marche des idées dans leur époque, qu'ils dominent par l'ascendant de leur sainteté, ou même quelquefois, de leur génie. Il en est d'autres

(1) Cité par M. de Tréverret. Du Panegyrique des Saints au XVII® siècle. Page 9.

qui n'éveillent en nous que peu de souvenirs, comme saint Victor, saint Sulpice, saint Etienne, les saints Gervais et Protais. En revanche, des figures comme celles de sainte Monique, de sainte Thérèse, offraient une riche matière pour d'émouvants tableaux et d'intéressantes études. Si dans ces panégyriques Fromentières eût été supérieur à ce qu'il est dans ses sermons, disons tout de suite qu'il nous présenterait un spectacle unique parmi les prédicateurs du XVIIe siècle. On voit déjà la conclusion à laquelle nous arriverons à la fin de ce chapitre. Essayons d'en établir les preuves.

:

Dans son Traité de la Prédication », saint François de Sales nous enseigne qu'il y a trois manières de faire un panégyrique « Il faut rapporter les pièces de la vie du sainct «< chascune à son rang... Ou bien considérer comme il a combattu «<le diable, le monde, la chair... ou bien.... comme il faut << honorer Dieu en son sainct, et le sainct en Dieu. » (1) L'aimable prélat comprenait, sans doute, que le vrai panégyrique est celui qu'il met au premier rang, et qui nous fait connaître le saint par le récit des faits qui composent la trame de sa vie. Mais, il savait aussi que cette méthode n'était pas toujours possible, parce qu'il y a des saints dont la vie est peu ou point connue : le moyen, en effet, de faire connaître saint Michel par l'histoire ? Comme, d'ailleurs, toute prédication ne doit jamais perdre de vue le but d'édifier et d'instruire, quand la matière historique, pour faire connaître le saint, venait à manquer, il restait toujours possible de développer, à son sujet, une suite de considérations théologiques et d'applications morales; c'est-à-dire, comme l'entend saint François de Sales, de faire une instruction religieuse et morale, sur un sujet chrétien, à propos du saint qu'on avait à louer ; ce qui n'est rien de plus qu'un sermon. C'est cette dernière méthode qui prévalut au XVIIe siècle. Comme si les prédicateurs avaient craint le danger de n'intéresser

(1) Euvres complètes de saint François de Sales. Edit. Berche et Tralin. T. II, page 20.

« PrécédentContinuer »