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CHAPITRE VII

UN

DISCOURS DE CIRCONSTANCE

1.

FROMENTIÈRES & BOSSUET

Quelles relations existèrent entre Fromentières et Bossuet... Discours du sacre... Bossuet deux fois loué dans la chaire par Fromentières... Prise d'habit de Madame de la Vallière... Fromentières remplace Bossuet... Le manuscrit de l'Arsenal et le Discours faussement attribué à Fromentières.

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II. Analyse du sermon de vêture... Opinion des contemporains... Un mot de Bayle... Différences entre le sermon prêché par Fromentières à la prise d'habit et celui que prêcha Bossuet dans la cérémonie de la profession... Conclusion.

I

Si je rapproche, dans ce chapitre, un nom à peu près universellement inconnu d'un nom illustre, Fromentières de Bossuet, ce n'est pas que je cède à l'ambitieux désir de comparer deux hommes qui furent si différents d'esprit et de caractère. Mais l'histoire nous les montre à côté l'un de l'autre, et c'est la raison pour laquelle ils sont rapprochés dans cette étude. On n'a pas oublié, peut-être, que déjà, en 1665, Nicolas Colbert mettait Fromentières à côté de Bossuet sur la liste des candidats qui

pouvaient prétendre à la charge de précepteur du dauphin. L'honneur de figurer à côté de Bossuet sur une liste de candidats ne suffit pas à prouver que Fromentières eut avec lui des relations empreintes d'affectueuse estime et de cordialité. Ce qui est plus significatif assurément, c'est que le 21 septembre 1670, (1) au sacre de Bossuet, qui eut lieu dans l'église des Cordeliers de Pontoise, en présence de l'Assemblée du Clergé de France, l'abbé de Fromentières porta la parole au nom de toute l'assemblée et fit le discours d'usage. A quel motif les députés du clergé obéirent-ils, en confiant cet honneur à l'abbé du Jard ? Pensèrent-ils que cet honneur lui revenait comme au membre le plus éloquent de l'Assemblée ? Ou bien, existait-il, entre Fromentières et Bossuet, des relations intimes qui commandaient ce choix, et portaient à croire que personnne ne mettrait plus d'empressement et de bonheur à parler en cette occasion? Rien ne nous est parvenu des relations qui durent très certainement exister entre deux hommes qui étaient, en 1670, parmi les prédicateurs les plus remarqués et les plus écoutés de la capitale. Je voudrais pouvoir montrer que Fromentières se présente à la postérité honoré de l'amitié de Bossuet. Mais il ne reste que le Discours du sacre dont le caractère officiel ne permettait guère à l'amitié, si elle existait, de se manifester librement.

C'est un discours intéressant, et, encore aujourd'hui, d'une lecture attachante et utile, que celui que prononça Fromentières au sacre de Bossuet. Il est en trois points évidemment, « selon << notre méthode ordinaire » ; mais quelle liberté et quelle variété dans le choix des matières qui les remplissent: dogme et morale, droit canonique, histoire ecclésiastique, conseils et éloges, tout s'unit et se mêle sans confusion dans un développement harmonieux et rapide. Fromentières, au cours de son sermon a loué Louis XIV de l'esprit qui lui dictait le choix des évêques : il continue en parlant à Bossuet «< Votre personne, Monseigneur,

(1) Procès-v ́rbaux des Assemblées du Clergé. Tome VII. Gazette de France 26 septembre 1670.

une preuve trop éclatante de ce juste choix du roi, pour npêcher de faire quelque violence à votre modestie... Il ne drait pas, Monseigneur, d'autres sujets de vous estimer, e le choix que fait de vous le roi du monde le plus pénétrant le plus judicieux, pour remplir des places aussi importantes e sont celles où il vous élève; mais — et il faut que votre destie souffre que je dise encore ce petit mot-l'approbation e tout le royaume s'est jointe à celle du roi, et vous avez avantage, que les canons ont souhaité à tous les évêques, de voir que votre élection a été approuvée de tous ceux qui y ont ntérêt. » Quoi de plus flatteur pour un évêque, que d'entendre e qu'il est l'élu de tout un peuple, quand il est vrai que la pix du peuple a été si souvent, en pareil cas, la voix de Dieu ? Il serait surprenant toutefois que Fromentières s'en tînt à cet loge, et qu'il ne fit pas au moins allusion à cette éloquence qui ssurait déjà la renommée de Bossuet et lui valait, outre la charge de précepteur du Dauphin, l'évêché de Condom. Fromentières rappelle cette éloquence; il ajoute même que, par la vertu de la consécration épiscopale, elle aura dans l'avenir une vertu plus grande : « C'est, Monseigneur, dans le dessein « d'augmenter cette gloire de l'Eglise de France, que vous « devenez un de ses évêques aujourd'hui : jusqu'ici l'Evangile a << fait du bruit dans votre bouche, mais vos paroles auront dans la suite une autre fécondité... Oui, Monseigneur, je me << persuade que cette cérémonie extérieure n'étant que le signe • d'une onction intérieure faite en votre âme par le Saint-Esprit, quelque édifiant, quelque vertueux, quelque éloquent que < vous ayez été jusqu'ici, vous allez devenir, comme Saul après << son onction, un tout autre homme. »

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A quelques mois de là, 14 février 1671, Fromentières rendait de nouveau un solennel et public hommage au mérite et au génie de Bossuet. Il prononçait à Notre-Dame l'éloge funèbre de Hardouin de Péréfixe. L'orateur, se souvenant que Péréfixe avait été le précepteur de Louis XIV, trace le programme de

l'éducation d'un roi, et se demande ensuite à qui doit en être confiée l'exécution. « Pour moi, messieurs ajoute-t-il, je ne crois << pas que l'on puisse davantage disputer cet honneur à l'Eglise, «<le roi paraissant avoir décidé la chose en sa faveur, et par ce • qu'il a éprouvé et par ce qu'il vient de faire. Il a bien << reconnu l'avantage qu'il avait eu d'avoir pour précepteur un << ministre de J.-C., s'étant enfin déterminé de remettre << l'instruction de Monseigneur le Dauphin à un prélat aussi illustre par sa piété que par sa doctrine, et dont les rares talents << sont tous propres à nous rendre ce prince un fils de son auguste père. » L'éloge, ici, a d'autant plus de valeur que nous le trouvons sur les lèvres d'un prédicateur qui ne le prodigue pas il faut se souvenir, de plus, que cet éloge ne s'imposait pas, et qu'il était prononcé à Notre-Dame, dans un de ces grands jours où l'antique cathédrale contenait tout ce que Paris avait de plus distingué.

Fromentières n'a pas eu seulement l'honneur de louer Bossuet, il a eu aussi celui de l'avoir quelquefois rappelé ou même devancé. J'ai eu l'occasion de le montrer à propos du panégyrique de saint Sulpice, de l'oraison funèbre d'Anne d'Autriche, et en plusieurs autres endroits. Il eût été facile, sans forcer les termes du rapprochement, de le faire plus souvent encore; mais je n'insiste pas davantage sur ce point, car j'ai hâte d'en venir à une circonstance qui rapproche, plus que toute autre, Fromentières et Bossuet.

« Le 2 juin 1674, dit la Gazette de France, (1) dame Louise de << la Vallière, duchesse de Vaujours, prit ici l'habit de religieuse << au grand couvent des Carmélites, où elle s'était retirée, dès le << 19 avril dernier, pour se préparer à cette action. Le curé de • Saint-Nicolas du Chardonnet, supérieur de cette maison, en << fit la cérémonie et la pieure lui donna le voile blanc. L'évêque « d'Aire, M. de Fromentières, nommé depuis peu, y prêcha avec

(1) Gazette, 2 juin 1674. Page 520.

quence ordinaire et l'applaudissement de tout l'auditoire, sé de Mademoiselle, de Madame de Guise, des duchesses gueville et de Bouillon, de la princesse de Mecklembourg e plusieurs seigneurs et dames de condition, qui ne it assez admirer l'humilité, la modestie et la piété tout à xemplaire de cette illustre novice. » C'était Bossuet qui d'abord prêcher le sermon de vêture. Au défaut de et, La Vallière aurait désiré entendre Bourdaloue, dont le n de la Passion, prêché à la Cour à la fin du carême dent, l'avait fortement impressionnée. (1) Mais les nstances ne permirent ni à Bossuet ni à Bourdaloue de se ver à Paris pour cette cérémonie, et l'on se rabattit sur que d'Aire. Fromentières était bien connu des Carmélites, r avoir prêché plusieurs fois, soit au petit couvent de la rue Bouloi, soit aux Grandes Carmélites de la rue d'Enfer. Parmi dames dont la Gazette signale la présence à la cérémonie, us trouvons les duchesses de Longueville et de Guise, très ées avec La Vallière. Comme elles voyaient de très près et stimaient Fromentières, il est permis de penser qu'elles lui nénagèrent l'occasion de parler en cette circonstance.

Fromentières prêcha donc la prise d'habit de Madame de La Vallière. Mais, ici se pose un curieux problème dont la solution mérite qu'on s'y arrête quelque peu. Outre le sermon qui fut prononcé en cette circonstance, et que nous trouvons imprimé au tome troisième des œuvres de Fromentières, il existe encore à l'Arsenal (2), en manuscrit, un « sermon de Monsieur de Fromen« tières évesque dhair à la gloire de Madame de la Valière, << duchesse de Vaujour, sur la vêture de lhabit par elle prit au << grand couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques de << Paris le 3 juin 1674. » L'abbé Duclos croit avoir exhumé ce discours et l'a publié à la fin de son ouvrage, à titre de document

(1) Lettre de la Vallière au maréchal de Bellefonds 19 mars 1674. (2) No 2233. T. F. 122, in-4o de 24 pages.

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