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qui pouvaient les justifier, et qui pourraient lui mériter encore une légitime faveur auprès des hommes qu'intéresse, dans l'histoire du XVII° siècle en général, celle de la prédication en particulier.

A le considérer de près, dans sa personne et dans l'ensemble de son œuvre, avec ses aptitudes naturelles, ses talents, ses facultés moyennes, et ses défauts tempérés, Fromentières nous apparaît des premiers, sinon le premier, parmi ces orateurs de second rang qui se firent admirer de la ville et de la Cour, pendant la première partie du règne de Louis XIV. Formé à la prédication dans la célébre école de Saint-Magloire, qui fit, au XVII° siècle, la renommée de l'Oratoire de France, et qui reste peut-être son meilleur titre de gloire, Fromentières en fut, sinon la plus brillante, du moins la plus complète personnification. Nul ne reproduisit plus entièrement les qualités du P. Sénault : « on << reconnaissait la composition du maître dans celle du disciple » a dit un biographe. Ce n'est pas assez dire. Les qualités du maître se perfectionnèrent encore en passant chez le disciple, sous l'influence du travail personnel et des progrès accomplis par le goût public. Mieux que son maître, il montra tout ce que peuvent l'application et le travail, mis au service d'un naturel heureusement doué. Il fit preuve d'élévation et de solidité, de profondeur et d'étendue dans ses connaissances, de sûreté dans ses doctrines, puisées aux meilleures sources par la lecture assidue des Pères et l'observation morale des hommes. 11 sut unir, dans un juste tempérament, la science sacrée et la science profane. Dans la composition, à défaut d'originalitè, il eut tout ce que peuvent donner le travail et l'étude des modèles, l'ordre, la méthode, le sentiment de l'harmonie, le goût de la proportion dans l'ensemble, et le soin du détail. Si, trop souvent, il manque d'inspiration, d'élan et de chaleur; si, trop souvent, il cherche l'éloquence dans son esprit plus que dans son cœur, il conserve du moins toujours un certain éclat, trop uniforme sans doute, mais qui, néanmoins, rend facile, encore aujourd'hui, la lecture de

ses œuvres, dont le temps n'a détruit ni tout l'agrément, ni tout l'intérêt. Ajoutez que son éloquence empruntait une partie de son mérite à la noblesse de son maintien... et... au zèle ardent << qui animait ses moindres discours. » C'est par de semblables qualités qu'il frappa l'esprit de ses contemporains, qui aimèrent à voir en lui un << personnage éloquent » et un évêque désintéressé. C'est aussi l'idée que cette étude devrait laisser dans l'esprit du lecteur, si l'auteur n'avait pas le regret de sentir combien il est resté au-dessous de sa tâche. Fromentières eût été au premier rang, dans une époque moins féconde en prédicateurs de génie.

Si, après l'avoir étudié en lui-même, on se rapporte au temps où il parut dans la chaire, son mérite nous semble encore plus grand. Son premier Carême à Paris est de 1662: de sorte qu'il paraît dans les chaires de la capitale avant Mascaron, avant Bourdaloue, avant Fléchier, et à une époque où le goût public, encore peu sûr, hésite entre la langue des Provinciales et celle des Romans, entre la tradition des Précieuses, et celle que viennent d'inaugurer dans la prose, Bossuet et La Rochefoucauld, dans la poésie, Boileau et Molière. Quand il quitte Paris, en 1674, Fromentières a prononcé la plus grande partie de ses sermons et composé ses plus belles œuvres, le Sermon du sacre, l'Oraison funèbre du P. Sénault, le Sermon pour la prise d'habit de Madame de La Vallière. De sorte qu'on peut bien dire que ses qualités n'appartiennent qu'à lui-même. Il ne doit rien aux grands prédicateurs qui contribuèrent à illustrer le grand siècle : ou, s'il leur doit quelque chose, c'est d'avoir disparu à leur ombre.

Et cependant, il sut conserver même auprès d'eux sa physionomie propre et son éclat particulier. Si personne ne peut être comparé à Bossuet, il est glorieux pourtant de se trouver quelquefois à côté de lui : on a vu que Fromentières eut plus d'une fois cet honneur. S'il eut moins de pénétration, de finesse, d'habileté oratoire et d'éloquente logique que Bourdaloue, il eut plus que lui de l'expression dans la physionomie et du feu dans l'action. Il n'alla pas si haut que Mascaron, il ne descendit pas

si bas ; il ne fut ni aussi éloquent, ni aussi hardi, mais il fut plus égal et plus tempéré; il reste bien loin de Fléchier pour l'harmonie du langage, l'art de la composition et la savante combinaison des effets oratoires peut-être faut-il le louer d'avantage d'av oir moins cherché sa propre gloire, et d'avoir dédaigné les applaudissements des hommes, pour procurer le bien des âmes et la gloire de Dieu.

Tout le monde connaît la fresque célèbre où Raphaël a représenté l'école d'Athènes. La prédication en France ne pourrait-elle pas faire le sujet d'un pareil tableau? Au centre, à la place occupée par Platon, le philosophe de l'idéal, qui montre le ciel, et par Aristote, le philosophe de l'expérience, qui étend sa main vers la terre, se trouveraient Bossuet, l'orateur inspiré, et Bourdaloue, l'impeccable logicien. A droite du tableau, du côté de Bourdal ue, ce groupe tourné vers lui nous représentera les prédicateurs de son ordre, Cl. de Lingendes, Larue, Cheminais, Girout, etc. Après eux, ce philosophe écrivant sur son genou, qui représente la philosophie éclectique d'Alexandrie, pourra marquer la place de la prédication, telle qu'elle fut au XVIIIe siècle. Pyrrhon qui le regarde travailler avec un air de mépris, c'est Brydaine, dédaigneux des formes convenues et des habiletés de la rhétorique. Ce philosophe preque nu, nonchalamment assis sur les degrés du temple, au-dessous d'Aristote, c'est Diogène. Il n'y a pas de cynique dans la chaire; mais le XVIIe siècle entendit la pittoresque éloquence du P. Lejeune, à qui son zèle et sa vertu firent pardonner plus d'une hardiesse. Ce méditatif qui se détache sur le premier degré et qui tient la plume pour écrire les réflexions que sa tête élabore, c'est Fénelon, écrivant ses Dialogues sur l'éloquence ou le IV chapitre de sa Lettre à l'Académie. Derrière lui, ce philosophe à la tête broussailleuse nous représente Mascaron, si éloquent à ses heures et parfois si négligé. Il ouvre un livre dans lequel Massillon, écrivant à la place où se trouve Pythagore, viendra s'inspirer à son tour,

Massillon, plus moraliste que théologien, comme Pythagore, fut peut-être plus mathématicien que philosophe. Entre les deux, mais en arrière, dans une attitude pleine d'élégance et de dignité, la physionomie fine et la tête noblement posée sur ses épaules, Anaxagore céderait la place à Fléchier. Dans le coin, le rieur Démocrite, couronné de chêne, se retirerait devant le joyeux petit P. André.

En remontant le degré supérieur, au-dessus de Mascaron et de Fléchier, nous trouvons un groupe de disciples qui écoutent les leçons de Socrate. Volontiers je mettrai là l'école de SaintMagloire, Sénault à la place de Socrate ; et celui de ces disciples qui, appuyé sur le piédestal de la colonne, tourne vers Socrate sa noble tête mélancolique et son regard attentif, Xénophon, qui deviendra l'ami et l'apologiste de son maître, serait Fromentières, le disciple le plus aimé et le panégyriste le plus éloquent du P. Sénault.

FIN

VU ET LU:

A Bordeaux, 1er décembre 1891.

Le doyen de la faculté des lettres,
P. STAPFER..

VU ET PERMIS D'IMPRIMER :

Bordeaux, le 18 décembre 1891.

Le Recteur,

A. COUAT.

ERRATA

Comme plusieurs fautes se sont glissées dans l'impression de ce volume, l'auteur demande la permission d'en corriger quelques-unes :

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