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l'autre au fond de leur province, pour ne plus songer qu'à remplir leurs multiples et souvent minutieux devoirs ?

Notre évêque, d'ailleurs, semble avoir eu le goût de la construction: tandis qu'il embellissait sa cathédrale et mettait en état décent les églises de son diocèse, il transformait son évêché, et lui donnait la disposition et l'aspect qu'il conserve encore aujourd'hui. C'est lui aussi qui faisait dessiner ce jardin, planter ces ombrages et couper ces allées, qui donnent à la résidence épiscopale d'Aire tant de valeur et d'agrément. Un goût sévère présidait à tous ces travaux, car il y avait de l'artiste dans l'âme de Fromentières, comme le prouvent ses armes ciselées en relief, sur une porte intérieure, véritable chef-d'œuvre de sculpture, qu'on admire encore à l'évêché.

Cependant, le soin qu'il donnait aux embellissements de sa résidence ne l'absorbaient pas, au point de l'empêcher de songer aux autres. Aux habitants de sa bonne ville il faisait creuser et construire un puits public, et leur donnait de l'eau claire ce qui n'est pas une plaisanterie, mais un bon et durable service, car c'est encore à ce puits qu'on va puiser de nos jours. Son activité s'étendait à tout, et le même homme qui présidait à ces travaux d'art, donnait de sa main reçu d'une charge de pierres ou d'une charretée de froment. (1) L'homme se plaît aux contrastes : Bossuet faisant travailler à Germiny le fontainier de Condé, n'est pas aussi admirable que lorsqu'il tient la plume ou porte la parole devant les rois : mais qui donc l'en aime moins?

Ce ne furent là, d'ailleurs, que les moindres occupations de la vie de Fromentières. Dès son arrivée dans son diocèse, des affaires d'une gravité exceptionnelle mirent au grand jour les ressources de son intelligence et ses vertus apostoliques. En 1674, il arriva juste à temps, pour mettre fin à des désordres qui avaient profondément troublé le pays de Chalosse, compris dans son diocèse. On sait qu'en 1664 Colbert travaillait à répartir

(1) Archives de l'Evêché d'Aire. Livre-Rouge,

galement l'impôt, et à supprimer les privilèges des provinces eximées. Le sel qui sortait de la fontaine de Salies arrivait en Béarn et en Chalosse libre de tout droit. Colbert soumit au droit commun ces provinces eximées, et chargea Pellot, intendant de Guyenne, d'assurer l'exécution du décret. Les Etats du Béarn s'émurent et adressèrent une supplique à Colbert: mais, leurs vœux ne. furent pas pris en considération, et les convois de la gabelle se mirent en route.

Ils furent reçus en Chalosse par des décharges de mousqueterie. La sévérité de la répression exercée par l'intendant Pellot, ne fit qu'augmenter la résistance. Elle fut organisée par un cadet de famille, Audijos, ancien soldat au régiment de Créqui. De part et d'autre les représailles furent atroces. Louis XIV publia un édit qui défendait aux habitants de Chalosse de recevoir l'aventurier; Pellot fit arrêter sa mère et sa sœur. Audijos répondit à ces mesures en assassinant son curé, coupable d'avoir lu l'édit en chaire; il tuait ensuite le commandant de la gabelle et brûlait le convoi. Les compagnies de dragons sillonnaient le pays, mais les paysans, de connivence avec les révoltés, les recevaient chez eux. Le maréchal duc de Gramont, seigneur de Hagetmau en Chalosse, le syndic de la noblesse, vicomte de Poudenx, le marquis de Poyanne, gouverneur de Dax, Bayonne et les Etats du Béarn favorisaient secrètement l'émeute contre le pouvoir. Aussi, la lutte dura-t-elle près de deux années, 1654-1665. Au bout de ce temps, la lassitude de l'état de guerre, la misère, qui en fut la conséquence, ainsi que les mesures de clémence prises par Pellot, firent rentrer le pays dans le calme et le devoir.

Quant à Audijos, comme il était exclu du nombre de ceux auxquels l'indulgence était promise, il continua à courir le pays à la tête d'une bande de partisans, qui vivaient de pillage et d'assassinat. Dix ans plus tard, il errait encore.

Un tel homme ne pouvait finir que frappé à distance par le mousquet d'un dragon, ou suspendu à la potence. Cependant il

mourut réhabilité, à la tête d'un régiment, de la mort des braves L'intendant de Sève, successeur de Pellot, traita avec lui. En 1675, Mgr de Fromentières se mit en relations avec lui, lui fit faire une retraite de dix jours dans son séminaire, et fut assez heureux pour le ramener au bien. Le chef des brigands fit amende honorable, s'humilia, se confessa. Il parut devant le parlement de Bordeaux : « la teste nue, à genoux, les fers aux pieds, les mains levées il jure de fidèlement servir son roi.» Le roi se montra bon prince, et lui expédia des lettres de grâce avec le grade de colonel des dragons. En vertu d'une dispense accordée par l'évêque d'Aire, le 25 janvier 1676, Audijos épousa le 28 du même mois sa cousine Jeanne Dubourdieu. Quelques jours plus tard il était embarqué pour la Sicile, où il allait combattre sous les ordres de Vivonne. La tradition assure qu'il y mourut pour son pays, auquel il put donner sa mort en expiation de sa vie. (1)

C'est ainsi que Fromentières inaugurait son apostolat nouveau. Il continuait son œuvre, en relevant son diocèse de ses ruines morales, comme il le relevait de ses ruines matérielles. Il commença par son clergé, au milieu duquel, nous dit Richard, << il supprima bien des abus ». Lesquels? le biographe n'a pas jugé à propos de nous le dire, et de nous faire savoir où en était le clergé d'Aire, quand Fromentières fut mis à sa tête. Mais nous savons, par les lettres de Camus, ce qu'était à cette époque le clergé de Grenoble ; nous avons des détails navrants sur le clergé d'Autun. (2) Ce qui est vrai d'Autun et de Grenoble l'était, à peu de différence près, de toute la France. Les lettres de St Vincent de Paul ne laissent pas de doute à ce sujet : ignorance et inconduite, souvent, dans le clergé des campagnes réduit à la portion congrue; orgueil et jouissance de la vie, trop souvent, dans le clergé des villes richement prébendé, et, par

(1) Tous ces détails sont empruntés à la Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV recueillie et mise en ordre par Depping. Tome III page 91 et suiv.

(2) Un évêque réformateur au XVIIe s. Histoire de Gabriel de Roquette par H. Pignot. Paris 1856.

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dessus tout, manque de zèle et insouciance vis-à-vis du devoir. Fromentières, qui veillait à ce que les paroisses fussent pourvues d'églises convenables, veilla de même à ce qu'elles fussent gouvernées par des prêtres irréprochables, et ne consentit à mettre à leur tête que des hommes, dignes de leur fonction par leurs vertus, à la hauteur de leur ministère par leur instruction. Dans ce but, ajoute Richard, il s'assujettit lui-même à quatre belles règles : « La première, à être prompt, vigilant et exact à signer les expéditions, à toute heure, la nuit aussi bien que le jour, et à sacrifier son repos aux affaires de son diocèse. La seconde, à ne donner les bénéfices qu'à ceux du diocèse qui en « étaient le plus capables, sans avoir égard à aucune recommandation. La troisième, à faire retirer, autant que la commodité « le pouvait permettre, les Ordinands dans un séminaire, où il << faisait souvent des conférences, prenant un singulier plaisir à << leur expliquer les cas de conscience, et à les entretenir de la << manière avec laquelle ils devaient s'appliquer à l'instruction << des peuples. La quatrième, à recevoir chez lui tous les << ecclésiastiques avec une grande charité, à les faire manger à << sa table sans distinction, à terminer leurs différends et à leur "apprendre les moyens nécessaires, pour s'acquitter fidèlement «< de leur emploi. »

Parmi les abus que Fromentières eut à supprimer, il faut mettre, en premier rang, la facilité chez les ecclésiastiques à s'affranchir des lois de la résidence. Il y avait à Mont-de-Marsan une chapelle de la Trinité, qui était desservie par douze prébendiers tenus à la résidence: c'étaient les douze prébendiers de Bresquit. Ces douze Messieurs estimaient, non sans quelque raison d'ailleurs, que deux prébendes valent toujours mieux qu'une. Avec le temps, et aussi, l'incurie des administrations précédentes, ils s'étaient pourvus chacun d'une cure où ils résidaient. Le service de la chapelle ne se faisait plus, ou se faisait mal; mais, leurs revenus ne s'en portaient que mieux. Durant sa tournée pastorale de 1677, Fromentières demanda à

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voir le titre de fondation de la chapelle et des douze prébendės. C'était un testament de Messire Ogier de Bresquit, en son vivant chevalier, chancelier de paix et juge de Marsan, duquel << il appert que ledit sieur Ogier et sa femme ont fondé et doté ladite chapelle, pour être desservie à perpétuité par douze << prébendiers actuellement constitués dans l'ordre de prêtrise, à «< condition expresse de résider dans cette dite ville, etc. » L'évêque d'Aire n'attendit pas d'être rentré dans sa chancellerie, pour faire parvenir ses ordres aux douze prébendiers en défaut ; mais ce même jour, de Mont-de-Marsan, il leur adressait une pièce détaillée, à formules comminatoires, de nature à faire réfléchir les délinquants : « Ordonnons... que les douze prébendiers résideront en cette ville de Mont-de-Marsan, et non << ailleurs; déclarons lesdites prébendes incompatibles avec les << cures et tous autres bénéfices sujets à résidence. Enjoignons à << chacun de maîtres Nicolas Vibet, curé de St Pierre du Mont ; << Mathieu Condon, curé d'Arouilhe, François de Cist, curé de << Mazerolles, Louis Cazade, curé de Canenx, et autres prében<< diers de Bresquit, qui seront ci-après pourvus de cures, << d'opter dans six mois, après la signification de l'extrait de cet << article des présentes, sinon, à faute de ce faire, et ledit terme << passé, déclarons, tant lesdites cures que prébendes, vacantes << et impétrables; ordonnons que les curés se retireront << incessamment de leurs cures; deffendons aux autres prében<< diers de Bresquit de leur faire cy-après aucune part des gros << fruits des dites prébendes, ni des menus profits et émoluments << qui sont en distributions manuelles.» (1) Suivent de nombreuses prescriptions sur la manière dont ces prébendiers s'acquitteront de leur emploi. On a dit que nul ne se servit plus fréquemment que Fromentières des foudres de l'Eglise. N'est-ce pas qu'il passe à travers ces lignes, citées plus haut, comme une menace d'orage et un roulement de tonnerre prochain? Que firent les

·(1) Archives départ. des Landes G. 26.

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