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MEMOIRES JOURNAUX

PAR

PIERRE DE L'ESTOILE,

DEPUIS LA REDUCTION DE PARIS (22 MARS 1594) JUSQUES A LA FIN DE L'AN 1597.

Mihi, non aliis.

SUPPLÉMENT

AU JOURNAL DU Règne de HenRI IV, DEPUIS 1599 JUSqu'a 1606,

TIRÉ DES ÉDITIONS DE 1736 ET 1732.

MEMOIRES JOURNAUX

DE

PIERRE DE L'ESTOILE.

[MARS 1594.] LE mardi vingt-deuxieme jour de mars 1594, à sept heures du matin, le Roy entra dedans Paris par la mesme porte que le feu Roy en estoit sorti; et fut la ville reduite en son obeissance sans saq et sans effusion de sang, fors de quelques lansquenets qui voulurent mener les mains, et deux ou trois bourgeois de la ville: la vie desquels le Roi dit depuis avoir le desir de racheter, s'il eust esté en sa puissance, de la somme de cinquante mille escus, pour laisser un singulier temoingnage à la posterité que le Roy avoit pris Paris sans le meurtre d'un seul homme.

Estant dans la rue Saint-Honoré vis à vis de la barriere, il demanda au mareschal de Mattignon, comme s'il eust esté estonné de se voir dans une telle ville, au milieu d'un si grand peuple, s'il avoit donné bon ordre à la porte; et qu'il y regardast bien. Puis aiant avisé un soldat qui prenoit par force du pain sur un boulanger, y courust lui-mesmes, et le voulust tuer.

Passant devant les Innocens, et s'y estant arresté avec sa trouppe, fust veu un homme à la fenestre

d'une maison qui fait le coing, lequel, la teste couverte, regarda long temps Sa Majesté, sans faire seulement semblant de la saluer. En fin voiant qu'on commençoit à en murmurer, ferma la fenestre, et se retira. Ce qu'aiant esté rapporté au Roy, s'en prist à rire, et ce pendant defendist tresexpressement qu'on n'eust à entrer en la dite maison, pour y fascher ou molester

aucun.

Estant arrivé sur le pont Nostre Dame, et oiant tout ce peuple crier si alaigrement vive le Roy! dit ces mots : « Je voi bien que ce pauvre peuple a esté tyran«<nizé. » Puis aiant mis pied à terre devant l'eglise Nostre Dame, estant porté de la foule, ses capitaines des gardes voulans faire retirer le peuple, il les en engarda, disant qu'il aimoit mieux avoir plus de peine, et qu'ils le vissent à leur aise : « car ils sont, dit-il, « affamés de voir un roy. »

Dés qu'il fust arrivé au Louvre, il voulust voir et parler au capitaine Saint Quentin, capitaine des Walons, prisonnier de l'Espagnol, pour le service qu'il pretendoit faire au Roy (s'il eust peu) en la reduction de Paris. Estant venu, Sa Majesté lui dist qu'il vouloit que les estrangers vidassent de sa ville de Paris dans deux heures aprés midi. L'autre s'estant jetté à ses pieds pour remercier Sa Majesté de la vie et liberté qui lui estoient rendues par son moien (car il devoit estre pendu l'aprésdisnée dans la cour de l'hostel de Longueville ), lui aiant offert son service, le Roy l'accepta et le retinst, lui disant, puis qu'il n'estoit point Espagnol, mais François, qu'il les laissast aller: qu'il demeureroit prés sa personne, et qu'il n'eust plus peur.

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