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VALERE.

Non, quand toute la terre, après sa perfidie

Et les traits effrontés...

ASCAGNE.

Ah! souffrez que je die,

Valère, que le cœur qui vous est engagé

D'aucun crime envers vous ne peut être chargé ;
Sa flamme est toujours pure et sa constance extrême,
Et j'en prends à témoin votre père lui-même.

POLIDORE.

Oui, mon fils, c'est assez rire de ta fureur,
Et je vois qu'il est temps de te tirer d'erreur,
Celle à qui par serment ton âme est attachée
Sous l'habit que tu vois à tes yeux est cachée;
Un intérêt de bien, dès ses plus jeunes ans,
Fit ce déguisement qui trompe tant de gens;
Et, depuis peu, l'amour en a su faire un autre
Qui t'abusa, joignant leur famille à la nôtre.
Ne va point regarder à tout le monde aux yeux,'
Je te fais maintenant un discours sérieux.
Oui, c'est elle, en un mot, dont l'adresse subtile,
La nuit, reçut ta foi sous le nom de Lucile,
Et qui, par ce ressort qu'on ne comprenoit pas,
A semé parmi vous un si grand embarras.
Mais, puisque Ascagne ici fait place à Dorothée,
Il faut voir de vos feux toute imposture ôtée,
Et qu'un nœud plus sacré donne force au premier.

personnage, pour ainsi dire double, expliquoit sa nature réelle et sa nature apparente avec une subtilité énigmatique qui souvent redoubloit l'obscurité du mystère au lieu de l'éclaircir. Les comédies des prédécesseurs et des contemporains de Molière en offrent de nombreux exemples. »

1. Tour de phrase peu correct.

ᎪᏞ Ᏼ Ꭼ Ꭱ Ꭲ .

Et c'est là justement ce combat singulier

Qui devoit envers nous réparer votre offense,
Et pour qui les Édits n'ont point fait de défense.

POLIDORE.

Un tel événement rend tes esprits confus,

Mais en vain tu voudrois balancer là-dessus.

VALERE.

Non, non, je ne veux pas songer à m'en défendre,
Et si cette aventure a lieu de me surprendre,

La surprise me flatte, et je m'en sens saisir

1

De merveille à la fois, d'amour et de plaisir.
Se peut-il que ces yeux...?

Ꭺ Ꮮ Ᏼ Ꭼ Ꭱ Ꭲ .

Cet habit, cher Valère,

Souffre mal les discours que vous lui pourriez faire.
Allons lui faire en prendre un autre, et cependant
Vous saurez le détail de tout cet incident.

VALERE.

Vous, Lucile, pardon, si mon âme abusée...3

LUCILE.

L'oubli de cette injure est une chose aisée.

ALBERT.

Allons, ce compliment se fera bien chez nous,

Et nous aurons loisir de nous en faire tous.

1. Merveille, dans le sens d'étonnement, d'admiration, étoit d'un commun usage. Boisrobert a dit :

Non sans merveille, on vous voit estimé

De l'appelant comme de l'intimé.

2. Le pronom en est ici mal placé.

3. Ce vers et les trois suivants étoient supprimés à la représentation. (Edit. 1682.)

ERASTE.

Mais vous ne songez pas, en tenant ce langage,
Qu'il reste encore ici des sujets de carnage.
Voilà bien à tous deux notre amour couronné:
Mais de son Mascarille et de mon Gros-René,
Par qui doit Marinette ètre ici possédée? .
Il faut que par le sang l'affaire soit vidée.

MASCARILLE.

Nenni, nenni, mon sang dans mon corps sied trop bien :
Qu'il l'épouse en repos, cela ne me fait rien.
De l'humeur que je sais la chère Marinette,
L'hymen ne ferme pas la porte à la fleurette.

MARINETTE.

Et tu crois que de toi je ferois mon galant?
Un mari, passe encor; tel qu'il est, on le prend:
On n'y va pas chercher tant de cérémonie :

Mais il faut qu'un galant soit fait à faire envie.

GROS-RENÉ.

Écoute quand l'hymen aura joint nos deux peaux,
Je prétends qu'on soit sourde à tous les damoiseaux.

MASCARILLE.

Tu crois te marier pour toi tout seul, compère?

GROS-RENÉ.

Bien entendu je veux une femme sévère,

Ou je ferai beau bruit.

MASCARILLE.

Hé! mon Dieu! tu feras

Comme les autres font, et tu t'adouciras.

Ces gens, avant l'hymen si fâcheux et critiques,
Dégénèrent souvent en maris pacifiques.

MARINETTE.

Va, va, petit mari, ne crains rien de ma foi:

Les douceurs ne feront que blanchir contre moi : 1

Et je te dirai tout.

MASCARILLE.

O la fine pratique!

1

Un mari confident!

MARINETTE.

Taisez-vous, as de pique.

Ꭺ Ꮮ Ᏼ Ꭼ Ꭱ Ꭲ .

Pour la troisième fois, allons-nous-en chez nous
Poursuivre en liberté des entretiens si doux.3

1. On dit d'un coup de feu qu'il n'a fait que blanchir, lorsqu'il n'a fait qu'effleurer une plaque, une cuirasse, une muraille, en y laissant une trace blanche. « On emploie ce mot au figuré, dit Furetière, pour exprimer que les efforts que l'on fait pour attaquer ou persuader quelqu'un sont inutiles. »

On ne peut les fléchir;
Contre eux les triolets,
Doux propos et poulets,

Ne font que blanchir.

(SCARRON, Chanson sur deux yeux noirs.)

2. As de pique, expression injurieuse qui étoit alors en usage. On l'explique de différentes manières. Auger y voit une allusion au proverbe : << Seul comme l'as de pique. » Génin l'interprète : langue piquante, mauvaise langue, et y voit un jeu de mots sur le sens figuré du verbe piquer. Cette dernière explication est celle qui convient le mieux à cet endroit de Molière. C'est peut-être aspic que Marinette veut dire.

3. « Le cinquième acte, dit Voltaire, employé à débrouiller ce roman, n'a paru ni vif ni comique. »

Avec le Dépit amoureux prend fin cette partie des œuvres de Molière que le poëte composa pendant ses pérégrinations en province et avant son retour à Paris. « Dès ce second essai de grande comédie, dit M. Géruzez, il révéla son habileté à peindre les mœurs et la passion... Son succès lui fit comprendre que la tâche unique d'amuser ses contemporains étoit un rôle vulgaire, que la scène devoit être élevée et épurée, et qu'elle pouvoit devenir une école pour réformer les travers de l'esprit et les vices du cœur, ou, tout au moins, pour les déconcerter par le ridicule. »

FIN DU DÉPIT AMOUREUX.

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