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Alarcon, Quevedo, Calderon', qui le devancent, l'accompagnent ou le suivent, lui forment un long cortége. Un tel groupe de poëtes exerça une légitime influence sur la littérature européenne.

Hardy et les dramaturges françois qui cherchent à réveiller le théâtre au commencement du xvIe siècle imitent d'abord tout ce qu'ils peuvent imiter; ils imitent jusqu'à la fécondité périlleuse dont l'Espagne donnoit l'exemple: Hardy n'a pas produit moins de six ou huit cents pièces. Du reste, il se donne toutes les licences; il confond tous les genres, mêle tous les styles, et n'a d'autre règle que celle que proclamoit Lope de Véga: « Notre but est de faire plaisir, tout ce qui peut y tendre doit nous être permis. »

Alexandre Hardy a toutefois un mérite qui lui donne un rôle essentiel dans l'histoire du théâtre françois il a l'intelligence et la pratique de la scène; ce n'est plus un disciple studieux des anciens, ce n'est plus un spéculatif; c'est un homme du métier, maniant les véritables instruments de l'art comique, travaillant dans le milieu nécessaire. Il ramène par conséquent la littérature dramatique dans sa véritable voie, il réunit les éléments qui étoient en dissidence. C'est pourquoi l'on s'accorde avec raison à reconnoître à ce poëte une importance plus considérable que celle qui ressortiroit pour lui de la valeur réelle de ses œuvres.

Les vingt premières années du XVIIe siècle présentent aux yeux des historiens un spectacle d'anarchie théâtrale. Il semble que les conquêtes des érudits soient perdues; on ne retrouve plus ce qu'on apercevoit dans les pièces des Robert Garnier, des Larivey, des Turnèbe: une méthode déjà visible dans la composition, des efforts heureux pour appliquer l'observation comique à la peinture des mœurs, le choix d'un langage propre à la comédie. Ce travail du siècle précédent est pour

1. Né en 1601 et mort en 1687, quatorze ans après la mort de Molière, dont il est par conséquent le contemporain plutôt que le devancier.

ainsi dire rejeté à la fonte. Les matériaux que fournissent l'antiquité et le moyen âge, qu'apportent la vieille France, l'Italie et l'Espagne, s'allient dans cette étrange fusion. Les martyres et les tragédies, les farces et les pastorales, les comédies, les tragi-comédies et les intermèdes se rencontrent pêlemêle. Les Pantalons napolitains, les Matamores castillans coudoient les Satyres, Pan et Cupidon, auxquels on voit se joindre, dans certains drames historiques, des chœurs de maréchaux de France ou de conseillers du Parlement. Cette courte période forme comme un chaos transitoire où tous les germes sont enfermés et se confondent.

Puis, peu à peu, la tendance à l'ordre s'y fait sentir. Ce n'étoit pas en vain que Descartes imposoit la méthode à la pensée et Malherbe la discipline à la poésie. Le génie de l'antiquité revenoit tout naturellement, mêlé intimement cette fois à la veine nationale; on voyoit se dessiner la troisième phase de la grande révolution intellectuelle et on pouvoit prévoir cette fois son triomphe. Le théâtre accomplit ce mouvement avec lenteur; le progrès fut plus sensible d'abord dans le genre sérieux que dans le genre comique; cela devoit être : le genre comique paye en quelque sorte un tribut plus direct à la gaieté populaire. Le drame sérieux étoit plus dégagé aussi des vieux usages. Les tragédies de Mairet, de Théophile de Viau, les bergeries de Racan et de Gombault témoignent déjà de la marche du siècle. Le style s'assouplit, les caractères se dessinent, le fond et la forme s'élèvent en même temps. Rotrou, Tristan l'Hermite, Scudéry, Du Ryer, Benserade, Boisrobert arrivent tous ensemble et étendent le mouvement régénérateur à la comédie. Des œuvres surgissent de toutes parts; tout l'esprit public, stimulé par Richelieu, se porte du côté du théâtre.

On est arrivé au seuil de la grande époque: Desmarets de Saint-Sorlin, dans la comédie des Visionnaires, commence à s'attaquer à des travers contemporains, quoiqu'il outre ces travers et que sa pièce, comme disoit Fontenelle, soit toute pleine de fous. Paul Scarron, s'abandonnant à sa verve burlesque,

ouvre une veine à part qu'il ne faut pas trop mépriser. La didactique s'en mêle, et l'Académie, à peine fondée, prépare des décrets en faveur des règles de l'antiquité qu'elle commence, comme toujours, par fausser en les exagérant.

Pierre Corneille donne Médée en 1635 et le Cid en 1636; le même poëte qui porte la tragédie à une hauteur qu'elle ne dépassera pas ouvre toute grande la carrière comique; il fait, en 1642, jouer le Menteur. « Situations, caractères, peintures du temps, langage de la conversation, dit M. Nisard, toutes ces parties de la comédie sont dans le Menteur, les unes esquissées, les autres déjà en pêrfection. C'est pourtant moins un modèle qu'une indication supérieure de la vraie comédie..... Les personnages sont moins des caractères que des rôles; il falloit en faire des caractères. Les situations sont le plus souvent des inventions arbitraires; il falloit y substituer des événements naturels. Les mœurs n'y sont pas plus françoises qu'espagnoles; il falloit les remplacer par des peintures de la société françoise. Enfin, à un langage qui n'appartient pas eu propre aux personnages, qui vise au trait et que gâtoit un reste de pointes imitées de l'italien, il falloit substituer lat conversation de gens exprimant naïvement leurs sentiments et leurs pensées et n'ayant d'esprit que le leur; il falloit, en un mot, plus observer qu'imaginer, plus trouver qu'inventer, et recevoir des mains du public les originaux qu'il offroit au pinceau du peintre. » 1

La comédie, après une longue suite d'épreuves, approchoit de la maturité et de la perfection. Tout étoit prêt; les luttes étoient apaisées, les traditions réconciliées laissoient subsister

1. On cite ordinairement une anecdote d'après laquelle Molière auroit avoué à Boileau que ce fut le Menteur qui lui fit concevoir la bonne comédie. Cette anecdote, qui seroit fort honorable pour Molière, paroît d'invention moderne ceux qui l'ont rapportée les premiers ont déclaré l'avoir prise dans le Boloana, mais on ne la retrouve ni dans celui de Brossette, ni dans celui de Montchesnay. N'appartiendroit-elle pas tout simplement à M. François de Neufchâteau? Voir l'Esprit du grand Corneille, p. 149.

et les qualités naturelles de l'esprit national et les qualités acquises par l'étude. Qui alloit profiter du long travail accompli et résumer les efforts de si nombreux devanciers? Qui s'élanceroit dans l'espace libre et y feroit la première moisson? En voyant ce que devenoit la tragédie aux mains du grand Corneille, on pouvoit prévoir que la comédie ne seroit pas déshéritée et qu'elle alloit avoir à son tour son génie spécial, son souverain représentant.

En même temps, le théâtre étoit entouré de plus d'honneur qu'il ne l'avoit été depuis le moyen âge. Le roi Louis XIII prescrivoit, par une ordonnance de 1641, que désormais «<leur profession ne fût plus imputée à blâme aux comédiens et ne préjudiciât pas à leur réputation dans le commerce public. >> Cette ordonnance ne pouvoit sans doute abolir d'un seul coup les préjugés; mais elle prouvoit un progrès dans les mœurs et étoit, comme on dit, un signe du temps. L'auteur du Cid, à qui il étoit permis de revendiquer une si grande part dans ce mouvement de rénovation et de réhabilitation de la scène, avoit fait dire à l'un'des personnages d'une pièce qui jouit d'une longue vogue: 1 A présent le théâtre

Est en un point si haut que chacun l'idolâtre;
Et ce que votre temps voyoit avec mépris

Est aujourd'hui l'amour de tous les bons esprits,
L'entretien de Paris, le souhait des provinces,
Le divertissement le plus doux de nos princes,
Les délices du peuple et le plaisir des grands;
Il tient le premier rang parmi leurs passe-temps:
Et ceux dont nous voyons la sagesse profonde
Par leurs illustres soins conserver tout le monde
Trouvent, dans les douceurs d'un spectacle si beau,

De quoi se délasser d'un si pesant fardeau.

Même notre grand roi, ce foudre de la guerre,

Dont le nom se fait craindre aux deux bouts de la terre,

Le front ceint de lauriers, daigne bien quelquefois
Prêter l'œil et l'oreille au théâtre françois...

1. L'Illusion comique, dont les représentations furent très-nombreuses, de 1636 à 1660. On trouveroit beaucoup d'autres témoignages non moins expressifs que celui que nous empruntons à cette comédie.

A quoi un autre personnage, converti à ces nouveaux sentiments, répondoit :

J'ai cru la comédie au point où je l'ai vue;

J'en ignorois l'éclat, l'utilité, l'appas,

Et la blâmois ainsi, ne la connoissant pas;

Mais, depuis vos discours, mon cœur plein d'allégresse

A banni cette erreur...

Deux ans après l'apparition du Menteur, il se fonda à Paris une association d'enfants de famille pour jouer la comédie. Cette troupe, qui s'intitula l'Illustre Théâtre, donna, pendant. l'année 1645, des représentations au faubourg Saint-Germain et au port Saint-Paul. C'est dans cette troupe que s'enrôla un jeune homme de vingt-trois ans, Jean-Baptiste Poquelin, qui, en se faisant acteur, prit le nom de MOLIÈRE. En lui alloit se réaliser le type, non surpassé ni égalé, de l'auteur comique.

V.

NAISSANCE ET JEUNESSE DE MOLIÈRE.

Jean-Baptiste Poquelin naquit le 15 janvier 1622. Il vit le jour dans une maison de la rue Saint-Honoré, au coin de la rue des Vieilles-Étuves. Son père, Jean Poquelin, et Marie Cressé,

1. Voici la teneur de l'acte de baptême de Molière, inscrit sur les registres de la paroisse Saint-Eustache, et découvert par M. Beffara en 1821:

« Du samedi, 15 janvier 1622, fut baptisé Jean, fils de Jean Pouguelin, tapissier, et de Marie Cresé, sa femme, demeurant rue Saint-Honoré; le parrain, Jean Pouguelin, porteur de grains; la marraine, Denise Lescacheux, veuve de feu Sébastien Asselin, vivant marchand tapissier. ›

Le parrain, Jean Pouguelin, étoit aïeul paternel de Molière. Le véritable nom de cette famille étoit PoQUELIN; mais les registres de l'état civil portent tantot Pouguelin, et tantòt Pocquelin, Poguelin, Poquelin, Pocquelin, et même Poclin, Poclain et Pauquelin.

On remarque que l'acte de baptême ne porte que le nom de Jean et non celui de Jean-Baptiste. Un second fils, né en 1624, ayant été baptisé sous le nom de Jeau qui étoit particulièrement en usage dans la famille Poquelin, le fils aîné adopta et porta tout naturellement le nom du premier saint Jean, qui est Jean-Baptiste.

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