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dont Paris avait été le théâtre depuis l'entrevue de Ferrières jusqu'à l'arrivée de M. Thiers, porteur de la proposition d'armistice des Neutres.

Ces négociations n'avaient pu être ni bien nombreuses ni bien actives. Investi depuis le 19 septembre, Paris s'était trouvé ainsi privé presque immédiatement de toute communication avec le reste de la France. L'habitude où est cette grande cité de vivre de sa vie propre et de se suffire à elle-même par l'abondance de ses ressources matérielles et morales, ne lui avait pas permis de mesurer au premier abord toute l'étendue des changements que les nécessités militaires lui avaient imposés. Néanmoins, le Gouvernement, meilleur juge de cette situation et comprenant tout ce qu'elle avait d'anormal pour le pays, s'attachait, contre l'évidence, à l'espoir qu'elle ne durerait pas longtemps, ou du moins que des combinaisons de diverse nature pourraient être employées avec succès afin de tromper la vigilance des troupes d'investissement. L'expérience ne tarda pas à déjouer ces calculs et à convaincre le gouvernement lui-même de la faute qu'il avait commise le jour où il avait pris la résolution de s'enfermer dans la capitale assiégée. Au bout de très-peu de temps, tous les fils télégraphiques secrets qui devaient relier Paris à la province furent découverts et coupés par les Allemands; et les mouvements de leur cavalerie autour de la ligne d'investissement furent déterminés et exécutés avec une telle précision, sur une circonférence de plus de vingt lieues, que la circulation devint absolument impossible, même aux émissaires isolés. A partir de la fin de septembre, il fallut donc se résigner à emprun

ter la voie aérienne pour correspondre avec les départements, toutes les autres voies étant irrévocablement fermées.

Le lecteur n'a pas oublié que les principaux membres du Corps diplomatique étranger accrédités en France, étaient allés s'établir à Tours, au siége de la Délégation, dont la présidence avait été confiée à M. Crémieux. Cependant, un certain nombre de chefs de missions, au nombre de quinze, avaient cru devoir rester à Paris, et le nonce du Saint Père, Mgr Chigi, avait informé officiellement le Ministre des Affaires étrangères que les représentants du Saint-Siége, de la Suisse, de la Suède, du Danemark, de la Belgique, du Honduras et de Salvador, des Pays-Bas, du Brésil, du Portugal, des États-Unis, de Monaco et San-Marino, d'Hawaii, de la République Dominicaine, de la Bolivie et du Pérou étaient résolus à ne pas s'éloigner de leur ¡poste, sous la condition toutefois qu'ils continueraient à jouir de la plénitude de leurs immunités. Dans une dépêche, datée du 24 septembre, M. J. Favre s'était empressé de répondre à Mgr Chigi que le Gouvernement de la Défense nationale ne pouvait que se montrer très-touché de cette marque de confiance, et il ajoutait qu'aucune mesure ne serait négligée pour garantir aux membres du Corps diplomatique leur sécurité et leurs intérêts en cas de bombardement ainsi que leurs communications avec le dehors.

En exécution de ces engagements, le ministre des Affaires étrangères adressa, le lendemain, à M. de Bismarck deux demandes ayant pour objet : l'une, d'être fixé sur l'époque à laquelle commencerait le bombardement de Paris; l'autre, d'obtenir le départ hebdoma

daire d'un courrier diplomatique autorisé à se rendre avec ses dépêches, usqu'a un point où elles pourraient-être conces à un service postal. La réponse du Chancelier fut telle qu'on devait l'attendre de son implacable dédain pour les convenances internationales. Au sujet de la première demande, d'ailleurs assez étrange, M. de Bismarck mit en avant les considerations militaires qui lui defendaient toute communication sur l'époque et le mode d'attaque projets contre la forteresse de Paris. Au sujet de la seconde, il invoquait les usages de la guerre qui interdisent l'entrée ou la sortie de toute correspondance dans une place forte assiégée. Cependant, le quartier général prussien déclarait consentir à laisser passer les dépêches du Corps diplomatique, sous la condition qu'elles ne seraient pas fermées, et qu'elles ne traiteraient aucun sujet touchant à la guerre.

Cette réponse fut apportée, le 3 octobre, à Paris par le général américain Burnside: elle concordait avec une notification faite à la date du 26 septembre par M. de Thiele, sous-secrétaire d'État du ministère des Affaires étrangères de Prusse, aux représentants des Puissances neutres à Berlin. Il y était dit qu'après le refus de l'armistice par le nouveau pouvoir issu de la révolution du 4 septembre, et l'installation à Tours d'un gouvernement de fait, les communications avec Paris n'existeraient plus que dans la mesure où elles seraient permises par les événements militaires.

Les membres du Corps diplomatique enfermés dans la capitale ne crurent pas devoir souscrire à de pareilles exigences, aussi blessantes pour eux que pour le Gouvernement de la Défense nationale. A la date du 6 octobre,

ils adressèrent à M. de Bismarck unc protestation collective dans laquelle ils déclaraient qu'ils se seraient fait une loi, quant au contenu de leurs dépêches, de se conformer à leurs devoirs professionnels, mais qu'il ne leur était pas permis, sans porter atteinte à leur caractère, de correspondre avec leurs gouvernements respectifs par dépêches ouvertes. Cette protestation semble avoir piqué au vif le Chancelier allemand, car dans sa réplique du 10 octobre, il se livra à un véritable cours de droit international pour démontrer qu'en maintenant leur résidence dans une forteresse assiégée, les membres du Corps diplomatique, accrédités à Paris, s'étaient virtuellement résignés à partager avec le Gouvernement de la Défense nationale les inconvénients du blocus et de l'investissement. Néanmoins, M. de Bismarck insinuait, en terminant, que cette affaire pourrait devenir l'objet de négociations ultérieures entre le cabinet de Berlin et les États qui continuaient à être représentés à Paris.

Le quartier général prussien admit une seule exception à la règle qu'il venait de poser: ce fut en faveur de M. Washburn, ministre des États-Unis à Paris, qui obtint et conserva jusqu'à la fin du siége le privilége d'expédier et de recevoir des valises fermées par la voie de Versailles. Parmi toutes les raisons qui ont été données pour justifier cette exception, une seule paraît plausible: c'est que la protection des sujets et des intérêts prussiens à Paris, à la suite de la déclaration de guerre, avait été confiée au ministre américain. Loin de nous la pensée de suspecter en quoi que ce soit la loyauté que M. Washburn apporta dans l'exercice de ses fonc-'tions, mais nous ne croyons blesser aucune convenance

en constatant qu'il ne trouva dans le spectacle des épreuves et des angoisses de toute sorte dont il fut, durant quatre mois, le témoin impassible, aucun prétexte suffisant pour sortir de la stricte neutralité qui lui était sans doute prescrite par ses instructions.

L'intermédiaire, dont M. de Bismarck s'était servi pour faire au Corps diplomatique de Paris les diverses communications que nous venons de résumer, n'était autre que le général Burnside. Ce personnage, obéissant, dit-on, à un sentiment de généreuse sympathie en faveur de la France, avait eu, à son arrivée à Versailles, plusieurs conversations avec le Chancelier allemand, et il avait obtenu de ce dernier l'autorisation verbale de s'entremettre auprès du Gouvernement de la Défense nationale pour amener la convocation d'une Assemblée constituante. A son arrivée à Paris, au commencement d'octobre, le général Burnside avait été présenté par M. Washburn à M. Jules Favre, et, après s'être acquitté auprès de lui de la mission spéciale qui était le prétexte et le but apparent de son voyage, il avait abordé, à titre privé, des questions plus importantes. Mais comme il ne connaissait encore qu'à demi la pensée de M. de Bismarck, et comme son désir paraissait être surtout de sonder les véritables dispositions du Gouvernement de l'Hôtel-deVille, il ne put échanger avec M. Jules Favre que des idées générales; après quoi il repartit pour Versailles, laissant entendre qu'il reviendrait sous peu. Il fut autorisé, en effet, à repasser les lignes prussiennes le 9 octobre suivant, et sans être muni d'ailleurs de pouvoirs

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