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CHAPITRE VI I.

'Comment le droit romain se perdit en Espagne.

Lrs choses allèrent autrement en Espagne : la

loi des Wisigoths triompha, et le droit romain s'y perdit. Chaindasuinde a et Recessuindeb proscrivirent les lois romaines, et ne permirent pas même de les citer dans les tribunaux. Recessuinde fut encore l'auteur de la loi qui ôfoit la prohibition des mariages entre les Goths et les Romains. Il est clair que ces deux lois avoient le même esprit : ce roi vouloit enlever les principales causes de séparation qui étoient entre les Goths et les Romains. Or on pensoit que rien ne les séparoit plus que la défense de contracter entre eux des mariages, et la permission de vivre sous des lois diverses.

Mais, quoique les rois des Wisigoths eussent proscrit le droit romain, il subsista toujours dans les domaines qu'ils possédoient dans la Gaule méridionale, Ces pays éloignés du centre de la

a Il commença à régner en 642.

b Nous ne voulons plus être tourmentés par les lois étrangères ni par les romaines. Loi des Wisigoths, liv. II, ftit. I, §. 9 et 10.

c Ut tam Gotho Romanam quam Romano Gotham matrimonio liceat sociari. Loi des Wisigoths, liv. III, tit. I, eh. I.

monarchie vivoient dans une grande indépendance a. On voit par l'histoire de Vamba, qui monta sur le trône en 672, que les naturels cu pays avoient pris le dessus b; ainsi la loi romaine y avoit plus d'autorité, et la loi gothe y en avoit moins. Les lois espagnoles ne convenoient ni à leurs manières ni à leur situation actuelle; peutêtre même que le peuple s'obstina à la loi romaine, parce ce qu'il y attacha l'idée de sa liberté. Il y a plus les lois de Chaindasuinde et de Recessuinde contenoient des dispositions effroyables contre les Juifs; mais ces Juifs étoient puissants dans la Gaule méridionale. L'auteur de l'histoire du roi Vamba appelle ces provinces le prostibule des Juifs, Lorsque les Sarrasins vinrent dans ces provinces, ils y avoient été appelés: or, qui put les y avoir appelés, que les Juifs ou les Romains? Les Goths furent les premiers opprimés, parce qu'ils étoient la nation dominante. On voit dans Proscope que, dans

C

a Voyez dans Cassiodore les condescendances que Théodoric, roi des Ostrogoths, prince le plus accrédité de son temps, eut pour elles, liv. IV, lett. XIX et XXVI,

b La révolte de ces provinces fut une défection générale, comme il paroît par le jugement qui est à la suite de l'histoire. Paulus et ses adhérens étoient Romains; ils furent même favorisés par les évêques. Vamba n'osa pas faire mourir les séditieux qu'il avoit vaincus. L'auteur de l'histoire appelle la Gaule narbonnaise la nourrice de la perfidie,

c Gothi qui cladi superfuerant, ex Gallia cum uxoribus liberisque egressi, in Hispaniam ad Teudim jam palam tyrannum se receperunt. De bello Gother, liv. I, ch. XIII

leurs calamités, ils se retiroient de la Gaule narbonnaise en Espagne. Sans doute que, dans ce malheur-ci, ils se réfugièrent dans les contrées de l'Espagne qui se défendoient encore; et le nombre de ceux qui, dans la Gaule méridionale, vivoient sous la loi des Wisigoths en fut beaucoup

diminué.

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CHAPITRE VIII.

Faux capitulaires.

E malheureux compilateur Benoît Lévite, n'alla-t-il pas transformer cette loi wisigothe, qui défendoit l'usage du droit romain, en un capitulaire a qu'on attribua depuis à Charlemagne! Il fit de cette loi particulière une loi générale, comme s'il avoit voulu exterminer le droit romain par tout l'univers.

CHAPITRE IX.

Comment les codes des lois barbares et les capitulaires se perdirent.

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Es lois saliques, ripuaires, bourguignones, et wisigothes, cessèrent peu-à-peu d'être en usage chez les Français; voici comment.

a Capitul. édit. de Baluze, liv. VI, ch. CCCXLIII, p.981, tome L

Les fiefs étant devenus héréditaires et les arrière-fiefs s'étant étendus, il s'introduisit beaucoup d'usages auxquels ces lois n'étoient plus applicables. On en retint bien l'esprit, qui étoit de régler la plupart des affaires par des amendes: mais les valeurs ayant sans doute changé, les amendes changèrent aussi; et l'on voit beaucoup de chartres a où les seigneurs fixoient les amendes qui devoient être payées dans leurs petits tribunaux. Ainsi l'on suivit l'esprit de la loi sans suivre la loi même.

D'ailleurs, la France se trouvant divisée en une infinité de petites seigneuries qui reconnoissoient plutôt une dépendance féodale qu'une dépendance politique, il étoit bien difficile qu'une seule loi pût être autorisée : en effet, on n'auroit pas pu la faire observer. L'usage n'étoit guère plus qu'on envoyât des officiers extraordinaires b dans les provinces, qui eussent l'oeil sur l'administration de la justice et sur les affaires politiques: il paroît même par les chartres que, lorsque de nouveaux fiefs s'établissoient, les rois se privoient du droit de les y envoyer. Ainsi, lorsque tout à-peu-près fut devenu fief, ces officiers ne purent plus être employés; il n'y eut plus de loi commune, parce que personne ne pouvoit faire observer la loi commune.

a M. de la Thaumassière en a recueilli plusieurs. Voyez par exemple les ch. LXI, LXVI, et autres.

b Missi dominici.

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Les lois saliques, bourguignones et wisigothes, furent donc extrêmement négligées à la fin de la seconde race; et, au commencement de la troisième, on n'en entendit presque plus parler.

Sous les deux premières races, on assembla souvent la nation, c'est-à-dire, les seigneurs et les évêques; il n'étoit point encore question des communes. On chercha dans ces assemblées à régler le clergé, qui étoit un corps qui se formoit pour ainsi dire sous les conquérants, et qui établissoit ses prérogatives: les lois faites dans ces assemblées sont ce que nous appelons les capitulaires. Il arriva quatre choses; les lois des fiefs s'établirent, et une grande partie des biens de l'église fut gouvernée par les lois des fiefs; les ecclésiastiques se séparérent davantage, et négli gèrent des lois de réforme où ils n'avoient pas été les seuls réformateurs; on recueillit bles

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,, Que les évêques, dit Charles le Chauve, dans le ca„ pitulaire de l'an 844, art. VIII, sous prétexte qu'ils ont l'autorité de faire des canons, ne s'opposent pas à cette cons,,titution ni ne la négligent." Il semble qu'il en prévoyoit déjà la chûte.

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b On inséra dans le recueil des canons un nombre infini de décrétales des papes; il y en avoit très-peu dans l'ancienne collection. Denys le Petit en mit beaucoup dans la sienne; mais celle d'Isidore Mercator fut remplie de vraies et de fausses décrétales. L'ancienne collection fut en usage en France jusqu'à Charlemagne. Ce prince reçut des mains du pape Adrien I al collection de Denys le Petit, et la fit recevoir. La collection d'Isidore Mercator parut en France vers le règne de Charlemagne; on s'en entêta: ensuite vint ce qu'on appelle le corps du droit canonique,

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