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peut-être que, comme on étendoit l'usage des. combats, on voulut les rendre moins sanguinaires. Le capitulaire a de Louis le Débonnaire donne le choix de combattre avec le bâton ou avec les armes. Dans la suite, il n'y eut que les serfs qui combattissent avec le bâton b.

Déjà je vois naître et se former les articles particuliers de notre point-d'honneur. L'accusateur commençoit par déclarer devant le juge qu'un tel avoit commis une telle action; et celui-ci répondoit qu'il en avoit menti : sur cela le juge ordonnoit le duel. La maxime s'établit que, lorsqu'on avoit reçu un démenti, il falloit se battre.

Quand un homme d avoit déclaré qu'il combattroit, il ne pouvoit plus s'en départir; et, s'il le faisoit, il étoit condamné à une peine. De là, suivit cette règle, que, quand un homme s'étoit engagé par sa parole, l'honneur ne lui permettoit plus de la rétracter.

Les gentilshommes e se battoient entre eux à cheval et avec leurs armes; et les villains f se battoient à pied et avec le bâton. De là il suivit que

a Ajouté à la loi salique, sur l'an 819.

b Voyez Beaumanoir, ch. LXIV, p. 323.

ċ Ibid. p. 329.

d Ibid. ch. III, p. 25 et 329.

e Voyez, sur les armes des combattants, Beaumanoir, ch. LXI, p. 308, et ch. LXIV, p. 328.

f Voyez Beaumanoir, ch. LXIV, p. 328. Voyez aussi les ehartres de Saint-Aubin d'Anjou, rapportées par Galland, p. 263.

le bâton étoit l'instrument des outrages, parcequ'un homme qui en avoit été battu avoit été traité comme un villain.

Il n'y avoit que les villains qui combattissent à visage découvert b; ainsi il n'y avoit qu'eux qui pussent recevoir des coups sur la face. Un soufflet devint une injure qui devoit être lavée par le sang, parce qu'un homme qui l'avoit reçu avoit été traité comme un villain.

Les peuples germains n'étoient pas moins sensibles que nous au point-d'honneur; ils l'étoient même plus. Ainsi les parents les plus éloignés prenoient une part très-vive aux injures; et tous leurs codes sont fondés là-dessus. La loi des Lome bards veut que celui qui, accompagné de ses gens, va battre un homme qui n'est point sur ses gardes, afin de le couvrir de honte et de ridicule, paie la moitié de la composition qu'il auroit due s'il l'avoit tué; et que, si par le même motif il le lie, il paie les trois quarts de la même composition.

Disons donc que nos pères étoient extrêmement sensibles aux affronts ; mais que les affronts d'une espèce particulière, de recevoir des coups

a Chez les Romains, les coups de bâton n'étoient point infâmes. Lege Ictus fustium. De iis qui notantur infamia. b Ils n'avoient que l'écu et le bâton. Beaumanoir, ch. LXIV, P. 328.

e Liv. I, tit. VI, §. I.

a Ibid. §. 2.

1

d'un certain instrument sur une certaine partie du corps, et donnés d'une certaine manière, ne leur étoient pas encore connus. Tout cela étoit compris dans l'affront d'être battu, et, dans ce cas, la grandeur des excès faisoit la grandeur des outrages.

CHAPITRE XX I.

Nouvelle réflexion sur le point-d'honneur chez les
Germains.

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"'ÉTOIT chez les Germains, dit Tacite a, une grande ínfamie d'avoir abandonné son bouclier dans le combat; et plusieurs, après ce malheur, ,, s'étoient donné la mort." Aussi l'ancienne loi b salique donne-t-elle quinze sous de composition à celui à qui on avoit dit par injure qu'il avoit abandonné son bouclier.

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Charlemagne, corrigeant la loi salique, n'établit dans ce cas que trois sous de composition. On ne peut pas soupçonner ce prince d'avoir voulu affoiblir la discipline militaire: il est clair que ce changement vint de celui des armes; et c'est à ce changement des armes que l'on doit l'origine de bien des usages.

a De Moribus german.

b Dans le pactus legis salicæ.

c Nous avons l'ancienne loi, et celle qui fut corrigée par ce prince.

N

CHAPITRE XXII,

Des mœurs relatives aux combats.

OTRE liaison avec les femmes est fondée sur le bonheur attaché aux plaisirs des sens, sur le charme d'aimer et d'être aimé, et encore sur le désir de leur plaire, parce que ce sont des juges très-éclairés sur une partie des choses qui constituent le mérite personnel. Ce désir général de plaire produit la galanterie, qui n'est point l'amour, mais le délicat, mais le léger, mais le perpétuel mensonge de l'amour.

Selon les circonstances, différentes dans chaque nation et dans chaque siècle, l'amour se porte plus vers une de ces trois choses que vers les deux autres. Or je dis que, dans le temps de nos combats, ce fut l'esprit de galanterie qui dut prendre des forces.

Je trouve dans la loi des Lombards a que, si un des deux champions avoit sur lui des herbes propres aux enchantements, le juge les lui faisoit ôter, et le faisoit jurer qu'il n'en avoit plus. Cette loi ne pouvoit être fondée que sur l'opinion commune: c'est la peur, qu'on a dit avoir inventé tant de choses, qui fit imaginer ces sortes de prestiges. Comme dans les combats particuliers les champions étoient armés de toutes pièces, et qu'avec des armes pesantes, offensives et défensives,

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a Liv. II, tit. LV. §. 11.

celles d'une certaine trempe et d'une certaine force donnoient des avantages infinis, l'opinion des armes enchantées de quelques combattants dut tourner la tête à bien des gens.

De là naquit le systême merveilleux de la chevalerie. Tous les esprits s'ouvrirent à ces idées. On vit dans les romans des paladins, des négromants, des fées, des chevaux ailés ou intelligents, des hommes invisibles ou invulnérables, des magiciens qui s'intéressoient à la naissance ou à l'éducation des grands personnages, des palais enchantés et désenchantés, dans notre monde un monde nouveau, et le cours ordinaire de la nature laissé seulement pour les hommes vulgaires.

Des paladins toujours armés, dans une partie du monde pleine de châteaux, de forteresses et de brigands, trouvoient de l'honneur à punir l'injustice et à défendre la foiblesse. De là encore, dans nos romans, la galanterie fondée sur l'idée de l'amour jointe à celles de force et de protection.

Ainsi naquit la galanterie, lorsqu'on imagina des hommes extraordinaires qui, voyant la vertu jointe à la beauté et à la foiblesse, furent portés à s'exposer pour elle dans les dangers, et à lui plaire dans les actions ordinaires de la vie.

Nos romans de chevalerie flattèrent ce désir de plaire, et donnèrent à une partie de l'Europe cet esprit de galanterie que l'on peut dire avoir été peu connu par les anciens.

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